FranceSport

Coupe de France, Roland-Garros, Tour… Les grandes compétitions à l’épreuve de la contestation

Même stade, mais certainement pas même ambiance. Un an après les sourires et les mots doux de Christophe Galtier avant la finale de la Coupe de France entre Nantes et Nice, Emmanuel Macron retrouve le Stade de France, ce samedi. L’enthousiasme de l’investiture pour un second mandat, s’il a jamais existé, semble loin. La réforme des retraites et la traîne de grogne sociale solidement accrochée dans son sillage accompagnent désormais le président de la République partout où il se déplace. Ce week-end encore à l’occasion de cette finale entre Nantes et Toulouse, signe supplémentaire que les compétitions sportives sont un endroit prisé pour exprimer ses revendications.

Au moins cette fois, Emmanuel Macron pourra peut-être apprécier la nouveauté. A défaut de casseroles, ce sont des sifflets qui se feront entendre, en tout cas selon la promesse de la CGT, qui a annoncé qu’elle en distribuerait en même temps que des cartons rouges à la sortie des RER et du métro. Preuve de la tension ambiante, cette manifestation faisait l’objet d’une bataille juridique vendredi soir, après son interdiction par la préfecture de police de Paris. L’intersyndicale a indiqué dans la foulée qu’elle déposerait un recours devant le tribunal administratif.

<img src="https://1001infos.net/wp-content/uploads/2023/04/coupe-de-france-roland-garros-tour-les-grandes-competitions-a-lepreuve-de-la-contestation.jpg" alt="Emmanuel Macron en attente de remettre la Coupe de France au vainqueur, le FC Nantes,
le 7 mai 2022 au Stade de France. » width= »648″>
Emmanuel Macron en attente de remettre la Coupe de France au vainqueur, le FC Nantes,
le 7 mai 2022 au Stade de France. – J.E.E/SIPA

Que ce grand rassemblement ait lieu ou non, près de 3.000 policiers et gendarmes seront mobilisés aux abords du Stade de France, autant pour des questions de sécurité à la suite du fiasco de la finale de la Ligue des champions l’année dernière que pour gérer la mobilisation sociale en cas de besoin.

Gênée aux entournures, la Fédération française de football, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, va bien être obligée de s’adapter. Le chef de l’Etat ne descendra ainsi pas sur la pelouse pour saluer les finalistes avant le coup d’envoi, comme le veut la tradition, et la remise de la Coupe se fera en tribunes. « Si la Fédération est embêtée, ce n’est auprès de nous qu’il faut s’adresser mais de l’Elysée, objecte Kamel Brahmi, secrétaire général de la CGT 93. C’est le Président qui crée le désordre en n’écoutant pas ce que le monde du travail lui dit. Cette réforme, on n’en veut pas. »

Coupures de courant

La FFF n’est pas la seule organisatrice de compétition à être ainsi contrainte de parer à toute éventualité. Les prochains grands rendez-vous sur le territoire, Roland-Garros en mai-juin, le Tour de France en juillet et la Coupe du monde de rugby en septembre-octobre sont dans le viseur. Sans parler bien sûr des JO 2024, encore lointains mais qui s’annoncent déjà comme un puissant levier dans le rapport de force, la France y jouant plus que jamais son image à l’international. Le hashtag #PasDeRetraitPasDeJO connaît déjà un certain succès sur les réseaux sociaux et a valu des premières opérations de déminage de la part du Comité d’organisation et de la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castera, qui ont appelé les potentiels manifestants à « ne pas se tromper de cible ».

Pour ce qui est des prochaines semaines, le contexte social brûlant n’a échappé à personne, tout comme les menaces de coupures de courant de la CGT Energie, qui a clairement cité le Grand Prix de Monaco et le tournoi du Grand Chelem de tennis dans son communiqué annonçant « 100 jours de colère et d’action », publié le 21 avril. La première mise en œuvre a eu lieu jeudi soir, avec l’interruption pendant une bonne demi-heure de la rencontre de Pro D2 de rugby entre Agen et Nevers.

« La visibilité du sport en fait une tribune attrayante »

Des méthodes totalement assumées par les syndicats. « Il est plus dur aujourd’hui, pour plein de raisons, de rassembler les gens dans une lutte, expose Kamel Brahmi. Du coup, comme les problèmes sont toujours là mais les moyens de se faire entendre plus compliqués à trouver, il se passe autre chose : des blocages, des actions sur les réseaux, des élus qui se font harceler. S’en prendre à des compétitions sportives fait partie de ces nouvelles formes d’action. »

On avait déjà pu le constater l’année dernière, quand des militants du collectif « Dernière Rénovation », qui lutte contre le réchauffement climatique par le biais de la rénovation énergétique des logements, avaient interrompu une demi-finale de Roland-Garros puis deux étapes du Tour. En Angleterre, le GP de Silverstone avait également été perturbé début juillet par l’intrusion de six membres du groupe militant « Just Stop Oil » sur le circuit.

Une militante écologiste a interrompu la demi-finale de Roland entre Ruud et Cilic, le 3 juin 2022.
Une militante écologiste a interrompu la demi-finale de Roland entre Ruud et Cilic, le 3 juin 2022. – UPI/Newscom/SIPA

Qu’est-ce qui fait du sport une cible si recherchée ? « Les compétitions sportives sont une formidable caisse de résonance, expose Igor Martinache, maître de conférences à l’Université Paris Nanterre et dont l’un des thèmes de recherche est la (dé) politisation des activités physiques et sportives. Elles font partie des événements les plus regardés au monde, leur visibilité en fait une tribune attrayante. Et puis ça permet de toucher un large public puisque toutes les strates de la population les regardent. »

Une recherche d’exposition que ne nient évidemment pas les activistes. « On n’agit pas contre ces événements, mais ils sont très suivis et notre objectif est d’aller déranger les gens là où ils sont », explique Quentin, membre de « Dernière Rénovation ». Se faisant, les militants veulent choquer le plus grand nombre pour mettre fin à « notre déni climatique collectif ». Avec tout de même une petite spécificité 100 % sport : que l’on prenne enfin conscience que si l’on continue à cramer la planète, ces compétitions auxquelles on tient tant sont elles aussi condamnées.

(Im)popularité

Quant au risque de se mettre les gens à dos en gâchant leur petit plaisir, la question ne se pose pas en ces termes selon les intéressés. « Dans la lutte, il y a toujours des risques, estime Kamel Brahmi. L’opinion est un élément à prendre en compte. On ne s’interdit rien, mais on réfléchit aux conséquences de chaque action. »

« Il n’y a pas de calcul de popularité ou d’impopularité, on ne fait pas ça pour ça, poursuit Quentin. La plupart d’entre nous est attaché à ces événements, on ne prend aucun plaisir à les bloquer. On le fait car on n’a pas d’autres choix que de créer ces rapports de force. » Le sport a le grand avantage de l’efficacité. « Après le Tour l’an dernier, on a beaucoup parlé rénovation thermique des bâtiments, et même au-delà de nos frontières. Cette course permet aussi d’inspirer d’autres mouvements dans le monde. »

Durcissement des peines pour les intrusions

En face, les organisateurs prennent la menace au sérieux. « Nous regardons ça avec beaucoup d’attention, reconnaissait récemment la directrice générale de la Fédération française de tennis Caroline Flaissier auprès de l’AFP. Nous avons activé une veille et un dispositif adapté au contexte actuel, modulable. » Pour le prochain Roland-Garros, plus de mille personnes seront en place pour assurer l’accueil et la sécurité. De son côté, ASO, joint par 20 Minutes, assure simplement préparer le Tour « en contact avec les différentes autorités concernées ». 

Ces dernières sont regroupées sous l’égide de l’Unité de coordination des grands événements (UCGE) du ministère de l’Intérieur, qui fait le lien entre comités organisateurs, différents services de l’État, polices étrangères et entreprises privées de sécurité. Son rôle est de planifier le dispositif adéquat « en fonction de l’exposition de l’événement et de l’évaluation de la menace »*.

Au passage, le projet de loi relatif aux JO 2024, définitivement adopté ce mois-ci, prévoit que les intrusions sur les terrains de sport soient désormais considérées comme des délits, sanctionnés par des peines de prison en cas de récidive ou d’intrusion « en réunion ». « Ils font tout pour limiter au maximum cette expression de la contestation, constate le militant de « Dernière Rénovation ». Mais on ne lâchera pas tant qu’on n’aura pas gain de cause. C’est une question de survie. »

Pour les syndicats comme les associations militantes, le but de la manœuvre est de perturber, pas d’empêcher. Ils n’en ont de toute façon pas les moyens, estime Igor Martinache : « On a vu ces dernières années, avec Nuit Debout ou les Gilets Jaunes, il y a un moment où on arrive aux limites de la mobilisation quand il n’y a pas une organisation solide derrière. Les groupes de contestataires restent minoritaires et fragmentés, trop en tout cas pour inquiéter réellement l’organisation de tels événements. »

« Pour peser, il faut tout de même de la structure »

Reste que l’agrégation actuelle des luttes, entre climat, droits humains et modèle social, peut enclencher une dynamique nouvelle. A condition de savoir saisir les mouvements spontanés qui peuvent naître ça et là. « Si ça reste de l’agitation, ceux qui ont le pouvoir n’ont qu’à attendre que ces réactions épidermiques passent. Pour peser, il faut tout de même de la structure », dit le responsable CGT en prêchant pour sa paroisse.

« Nous on soutient toutes ces formes de résistance, quelles que soient les revendications, ajoute notre militant écologiste. Ça nous réjouit de voir toutes ces personnes qui ont recours à la désobéissance civile. Notre combat doit aussi servir à ouvrir la voie à d’autres. » Ce dernier assure que son collectif n’a encore rien planifié pour les semaines à venir. « Nos actions se décident à l’opportunité. Je ne sais pas s’il y en aura, sûrement. Et si ce n’est pas nous, ce seront d’autres personnes », dit-il, confiant. L’été s’annonce chaud, dans tous les sens du terme.

*Contacté pour davantage de précisions sur le rôle de l’UCGE et l’évaluation de la menace dans le contexte actuel, le ministère de l’Intérieur n’avait pas répondu à nos sollicitations vendredi soir.