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Bernard Cazeneuve : « Il faudra quand même que les dirigeants du Parti socialiste referment leur album de Babar »

Ce mouvement a-t-il un nom ?

Le mouvement s’appelle la Convention. Nous sommes plusieurs milliers à y avoir adhéré, en quelques jours seulement, dont un nombre d’élus non négligeable. Nous sommes donc dans une démarche collective, sans obsession de l’échéance présidentielle, car l’objectif est que cet espace de crédibilité, de responsabilité et d’alternance se constitue. Aussi longtemps qu’il ne sera pas constitué, la question de son incarnation sera dérisoire.

Mais c’est une machine qui est lancée dès aujourd’hui ?

C’est une dynamique qui est lancée, c’est une organisation qui va se mettre en place, pour permettre à la gauche de retrouver des couleurs, en réaffirmant des valeurs, en se positionnant de façon responsable et crédible sur toutes les grandes questions qui traversent la société française et européenne. La guerre en Ukraine marque le retour sur le continent européen de ce que les pères fondateurs de l’Union européenne avaient voulu rendre à tout jamais impossible, c’est-à-dire les atrocités, la guerre, les souffrances infligées à des populations civiles. Nous vivons également le grand retour de l’inflation sur le territoire de l’Union européenne, avec ses conséquences économiques pour la compétitivité de nos entreprises, pour le pouvoir d’achat des ménages. La question de la réforme des retraites mobilise à juste titre le pays car la réforme est perçue comme injuste. Nous ne pouvons passer sous silence la question de la transition écologique, qui est fondamentale, et qu’il faut rendre à la fois effective et praticable. Sur tous ces sujets, nous allons, de façon extrêmement précise, avancer des propositions au cours des prochaines années pour faire en sorte qu’au moment où les élections présidentielles se profileront, celui ou celle qui portera nos couleurs ait un message fort. C’est une contribution parmi d’autres, mais une contribution qui a pour ambition que la gauche retrouve sa crédibilité, sa force.

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Une parmi d’autres ?

Nous ne sommes pas seuls, il y a beaucoup de clubs et de structures qui réfléchissent. L’objectif c’est d’essayer de faire en sorte que toutes ces initiatives se fédèrent. Il y a beaucoup de lieux à gauche où l’on réfléchit et qui méritent d’être pris en compte.

C’est pour cela que vous parlez d’un mouvement et pas d’un parti ?

Notamment. Je demeure socialiste et attaché viscéralement à ma famille politique. J’ai quitté le Parti socialiste parce que j’avais un désaccord profond avec la stratégie d’alliance avec la France insoumise. Je pense qu’il est important, dans la vie politique d’affirmer toujours ses convictions et de le faire avec le souci, non pas de rompre, mais d’interpeller sur ce qui est essentiel. J’ai donc posé un acte parce que j’étais socialiste et non pas parce que j’avais cessé de l’être. Le fait que ce soit un mouvement et non un parti, permet à des femmes et à des hommes qui sont attachés à leur formation politique, mais qui aspirent à réfléchir ensemble, de trouver un lieu où il soit possible d’y parvenir.

On pourrait donc imaginer que vous puissiez accueillir au sein de ce mouvement les déçus du PS ?

Il y a dans ce mouvement des socialistes, des radicaux, des écologistes, des élus, un président de région, des présidents de département, des maires et des parlementaires socialistes. Je pense que la politique ne peut se réduire à un exercice d’excommunication, qu’elle est au contraire l’art de rassembler.

L’ambition serait donc de devenir le lieu où tous ces courants qui gravitent autour du PS pourraient se retrouver ?

Il faudra bien un jour que, pour reprendre l’expression de Jaurès, le fleuve retrouve son lit pour demeurer fidèle à sa source. Mon aspiration c’est donc qu’on puisse organiser, avant la présidentielle, les assises du socialisme et de la gauche humaniste, républicaine, qui permette d’ouvrir un espace qui ne soit pas de sectarisme, de fermeture, mais au contraire un espace de respect, d’ouverture, de tolérance.

Un espace de refondation du PS ou le PS est-il mort et il faut dès lors envisager autre chose ?

Je pense qu’il est urgent de refonder. Cette refondation se fera par un travail intellectuel, par une certaine exigence éthique, par la volonté de dire la vérité aux Français, de la dire sincèrement. Promettre, comme le font certains socialistes au sein de la Nupes, la retraite à 60 ans et l’augmentation des pensions pour tout le monde, d’un coup, c’est déraisonnable et démagogique.

Vous pensez qu’il est encore possible que le PS soit un contrepoids face à l’extrême droite en 2027 ?

L’orientation prise par la Nupes à travers ses outrances, ses excès, y compris dans le débat parlementaire sur les retraites, fabrique du vote Rassemblement national en quantité industrielle. Ils sont comme Charlie Chaplin dans les Temps modernes. Ils reproduisent les mêmes gestes quotidiennement sans jamais corriger leurs effets. Charlie Chaplin, c’était spirituel, subtil et drôle. Ici, c’est mécanique, répétitif, violent et dangereux pour la démocratie.

Pour vous, l’offre qui est présente aujourd’hui n’est pas susceptible de faire barrage à l’extrême droite ?

L’offre politique à gauche aujourd’hui est insusceptible, compte tenu de son positionnement, de son discours, de faire barrage au RN. La désinhibition à laquelle les outrances conduisent, offre à l’extrême droite un électorat qu’elle n’imaginait pas pouvoir conquérir. Marine Le Pen ne s’y trompe pas, elle n’a même plus besoin de parler, elle n’a qu’à laisser parler les autres.

Comment expliquer cette chute du PS qui a remporté la présidentielle en 1981 et 1988 avec François Mitterrand. En 2012 avec François Hollande et qui, lors de la dernière présidentielle n’a pas atteint les 2 % ?

Cette situation trouve son explication dans plusieurs phénomènes de nature différente. Mais je soulignerai surtout la conviction ancrée chez beaucoup de socialistes, qu’un passage par l’opposition conduirait mécaniquement à un retour au pouvoir. Certains ne se sont pas rendu compte que l’opposition, quand on la provoque, pourrait amener à la disparition de leur parti.

Comment expliquez-vous la violence et les dérapages à répétition à l’Assemblée nationale française ?

Ce n’est pas nouveau. Cette violence a existé souvent dans le débat parlementaire en France. Sous la Troisième République, il a fallu interrompre des débats parce que la violence s’était emparée de l’hémicycle. Aujourd’hui, ce qui est recherché, ce n’est pas la juste position, ce n’est pas la mise en perspective rationnelle des difficultés qui se présentent, ce qui est recherché, c’est le bruit le plus tonitruant pour obtenir la visibilité la plus grande, au détriment de toute rigueur intellectuelle. Tout est transgression et des comportements se font jour, qui instillent la violence au cœur même de l’Assemblée nationale.

On a le sentiment que les extrêmes profitent bien de ces excès ?

Les extrêmes font plus de bruit mais intellectuellement, politiquement, ils ne produisent rien qui puisse constituer l’ébauche d’une réponse aux défis qui se présentent à nous ou redonner confiance aux Français pour surmonter la désindustrialisation, la mutation écologique et climatique, etc. Aucun de ces défis majeurs n’a vocation à être réglé par la stratégie du bruit et de la fureur. Si les Français votent encore pour les extrêmes, alors qu’ils ont conscience qu’ils constituent une impasse, c’est parce qu’ils n’ont aucune alternative digne. C’est la manifestation de leur colère, qui conduit à entretenir cette radicalité extrême.

J’entends votre discours posé mais est-il audible dans ce contexte ?

C’est difficile. C’est plus difficile que ça ne l’était jadis. C’est incontestable. C’est plus difficile de se faire entendre lorsqu’on est dans le respect d’autrui, que lorsque l’on cède en permanence à l’invective. Mais ma conviction profonde est qu’il est du devoir de tout républicain de refuser cette pente funeste. Aujourd’hui, le vrai courage c’est d’oser s’exposer à l’invective, en campant résolument dans la nuance.

L’institut Jean Jaurès a récemment publié une étude qui montre que le PS pourrait revenir sur le devant de la scène, qu’il y aurait une attente mais que la condition sine qua non serait pour le PS de prendre ses distances par rapport à la France insoumise…

Je pense que la fin de ce quinquennat va, mécaniquement, conduire à une redistribution des cartes politiques. Quoi qu’en pensent les actuels dirigeants du Parti socialiste, une grande partie des électeurs socialistes ne votent plus socialiste. Ils sont partis voter pour l’actuel président de la République parce qu’ils n’avaient pas d’autre solution pour éviter l’extrême droite. D’autres ont voté sans conviction pour Mélenchon parce qu’ils craignaient que la gauche disparaisse. Est-on capable de faire en sorte que cet électorat qu’on a contraint par la vacuité du paysage politique à voter deux fois pour d’autres puisse revenir vers la gauche de gouvernement, c’est ce que je souhaite. Je pense que si cette bascule ne s’opère pas, le risque de voir sombrer définitivement la gauche de gouvernement est considérable.

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Vous parlez d’un vote refuge pour Macron en 2017 et pour Mélenchon en 2022, pourtant le PS présentait un candidat au premier tour lors de ces deux scrutins…

En 2017, son candidat était le candidat de la fronde. Tous ceux qui étaient exaspérés par la fronde et qui n’avaient pas encore fait l’expérience du macronisme se sont tournés vers Macron, en espérant qu’il incarnerait une forme de sociale-démocratie moderne. Ils se sont trompés. En 2022, la candidature d’Anne Hidalgo était plus sociale-démocrate mais le parti avait cessé de l’être vraiment, ce qui a occasionné un nouvel accident électoral.

Mais le PS est quand même responsable de ce que l’on pourrait appeler une erreur de casting ?

Le Parti socialiste est responsable de ne pas avoir profité des 5 ans qui le séparaient des élections pour faire le travail qui devait être fait. Certains dirigeants du parti socialiste ont considéré que le tacticisme, le godillage au jour le jour pour sauver des positions pouvait suffire. Ils ont réussi à faire fuir ce qui demeurait d’électeurs.

Donc il est possible d’aller rechercher ces électeurs ?

Je pense qu’un discours clair, puissant sur le plan politique et intellectuel, adossé à une réelle exigence éthique, peut rencontrer l’aspiration profonde des Français. Les Français veulent la justice ; ils veulent une transition écologique sereine ; un débat public apaisé ; ils veulent la République et ils veulent que tout cela soit décliné par un gouvernement à la tâche qui ait conscience que la France est plus grande que lui.

On entend votre message mais on ne peut s’empêcher de penser qu’un discours comme le vôtre aujourd’hui n’est pas audible. Ce qu’on entend, ce sont les petites phrases, les invectives…

C’est tout à fait ça, ça correspond à la réalité du moment. Et si je tiens ce discours avec détermination et force, c’est parce que je pense qu’il est urgent de prendre conscience du péril que constitue l’extrême droite. C’est donc pour cela qu’il faut du courage et de la détermination. Si l’on a des convictions, dont on est sûr qu’elles correspondent à ce qui est de l’intérêt du pays, il faut avoir le courage de les défendre face à la meute vociférante.

C’est cette conviction qui vous pousse à revenir aujourd’hui avec la Convention ?

Moi, je suis en effet avant tout animé par des convictions. Je ne suis pas obsédé par un destin personnel, je n’appartiens pas à la catégorie de ceux qui pensent être indispensables.

Vous n’y pensez pas tous les matins en vous rasant ?

Non, et je ne suis pas prêt à détruire la chance de cet espace d’exister au prétexte que ce ne serait pas moi qui l’incarnerais.

Mais vous pourriez l’incarner ?

Bien entendu, ce pourrait être moi. Mais ce qui compte aujourd’hui, c’est que cet espace existe. Il faut aujourd’hui qu’il y ait suffisamment d’individus engagés pour que l’opération réussisse. Tout cela ne peut donc pas être une nouvelle histoire d’ego.

Vous et d’autres poids lourds du PS, qu’on a appelé les éléphants, n’avez jamais caché votre opposition à la formation de cette alliance des gauches, la Nupes… D’autres éléphants sont-ils avec vous aujourd’hui ?

Cette histoire d’éléphants, c’est le niveau zéro de la politique. Il faudra quand même qu’un jour les dirigeants actuels du Parti socialiste et leurs relais médiatiques referment leur album de Babar. Ils ont l’âge maintenant de le faire. Ils ont été pour la plupart d’entre eux dans l’appareil toute leur vie. Ils ont été les collaborateurs d’éléphants. Ils n’ont fait que ça et beaucoup ne savent rien faire d’autre. Or, les urgences du moment impliquent qu’on fasse enfin plus ambitieux et plus à la hauteur.

En 2027, vous pourriez donc être candidat ?

Il faut être cohérent, responsable et donc ne pas fuir ses responsabilités si on est en situation et si on ne l’est pas, aider résolument ceux qui pourraient l’être.

Pourtant, selon certaines informations, en 2019 certains socialistes vous auraient proposé d’être sur la ligne de départ mais vous n’auriez pas donné suite ?

Il faut rétablir la vérité. En 2019, j’ai essayé de le faire mais mes amis socialistes ont déployé une énergie considérable pour rendre la chose impossible. Aujourd’hui, compte tenu du résultat auquel a abouti leur stratégie, ils tentent de réécrire l’histoire mais leur version, qui peut trouver sa place dans leur livre de Babar, ne correspond pas à la réalité. La réalité, c’est que le parti était déjà, dans son organisation et son fonctionnement, très dégradé et qu’ils ont tout fait pour aboutir à rendre cette hypothèse impossible.

Après 2017, on vous a vu faire un pas de côté. Vous avez repris votre métier d’avocat. Vous aviez des propos qui sonnaient comme un adieu à la politique. Cinq ans après, on vous voit revenir…

Si la situation n’était pas ce qu’elle est, je n’agirais pas de la sorte. Je le fais simplement parce que je ne veux pas que mon pays bascule vers le Rassemblement national. C’est la seule chose qui motive cette prise de position aujourd’hui. Je n’ai pas d’addiction à la politique. J’ai une passion profonde pour mon pays. Si nous avions été dans une situation d’alternance classique, je n’aurais pas éprouvé le besoin d’agir aujourd’hui.