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Coachella 2023 : Dans le désert californien, la magie opère toujours… pour le meilleur et pour le pire

De notre correspondant en Californie,

Quand il n’y a plus de Coachella, il y en a encore. Le second week-end du festival californien démarre ce vendredi – sans Frank Ocean, blessé – sept jours après un premier chapitre auquel a assisté 20 Minutes. Une expérience musicale incroyable à deux heures de Los Angeles, au cœur du désert californien, avec une affiche éclectique tournée vers l’international. Mais le prix d’entrée du paradis est élevé : souvent plus de 1.000 dollars pour ces trois jours qui, à moins d’être une célébrité, un influenceur – ou un journaliste – doivent se budgéter comme des vacances. Récit.

« Coachella, we maaaade it ! » Après une heure de bouchons pour accéder au parking et vingt minutes de marche sur un chemin poussiéreux, deux amis lèvent les bras au ciel. A gauche, la célèbre grande roue du festival, étoile polaire vitale pour s’orienter, surtout à la nuit tombée. A droite, l’immense tente Sahara, un hangar spatial à moitié couvert d’écrans, sous un toit géant qui culmine à 30 mètres de haut. Au loin, les silhouettes de palmiers se découpent devant les montagnes de San Jacinto. Un cadre spectaculaire voulu par le cofondateur Paul Tollett, qui a lancé Coachella en 1999 avec l’ambition de concurrencer le festival britannique de Glastonbury. La boue en moins.

Aux platines, le DJ et producteur français Dombresky envoie une house groovy parfaite en ce début d’après-midi. Car après un hiver californien détestable ayant battu des records de pluie et de neige, la foule, mélange de milléniaux et de « gen Z », est là pour danser. Dans ce beach-club du désert, la mercure dépasse les 33 °C, mais les pelouses n’ont rien à envier à celle du Masters d’Augusta. Accessoire indispensable : les jouets gonflables de piscine ou qui clignotent, pour retrouver ses amis en espérant que le SMS « Cherche le cornichon à droite de la scène Mojave » passe malgré le réseau saturé.

Art géant interactif

Côté mode, l’appropriation culturelle amérindienne et les couronnes de fleurs hippies ont enfin disparu pour laisser place aux incontournables crop-tops et à l’invasion du crochet, robes et bikinis y compris. Chez les hommes, beaucoup de deux pièces short-chemisette assortis. Et pour ceux qui veulent faire une vraie fashion statement, le « bucket hat » (bob) qui matche. « A Coachella, on est libre d’être qui on veut. On peut porter, comme moi, une robe à plumes en forme de cygne, et les gens vous donnent de l’amour pour ça », s’enthousiasme Adam.

Pour rejoindre l’espace médias, il faut traverser la diagonale d’un kilomètre de l’Empire Polo fields, un parc couvrant une surface équivalente à 100 terrains de foot. En chemin, impossible de rater le nuage moléculaire de l’artiste français Vincent Leroy, fait de sphères roses qui tournent pour créer des formes organiques. Un peu plus loin, la tour arc-en-ciel Spectra transforme les festivaliers en figurants d’une œuvre interactive : de l’extérieur, on aperçoit leurs silhouettes sombres gravissant cette spirale de huit étages ; de l’intérieur, on peut admirer l’ensemble du festival et se rafraîchir dans son seul espace climatisé.

L'art immersif de Coachella propose une demi-douzaine de structures géantes, notamment cette tour Spectra.
L’art immersif de Coachella propose une demi-douzaine de structures géantes, notamment cette tour Spectra. – K.SCHAEFER

Reformation de Blink 182 et débuts d’Angèle

Sur la scène voisine, le producteur britannique SG Lewis a la chance de jouer pendant la golden hour magique californienne. Mais alors que le soleil se couche, il faut déjà partir pour ne pas rater la réformation de Blink 182, avec le retour du guitariste/chanteur Tom DeLonge. Des milliers de fans reprennent en choeur le refrain de What’s My Age Again. Le groupe approche de la cinquantaine, mais l’humour pipi-caca n’a pas changé, avec une blague limite sur les bisous du Dalaï-lama. Les téléphones sont de sortie pour All The Small Things, qui transporte les quadras dans leurs années lycée.

Le gigantisme de Coachella, avec huit scènes pour 169 groupes et artistes sur trois jours, oblige à faire des sacrifices. Comme de rater une grosse partie de Gorillaz, avec Damon Albarn et Thundercat comme invité, et les membres survivants de De La Soul sur Feel Good Inc, pour assister aux débuts d’Angèle. D’abord clairsemée, la tente Mojave se remplit comme l’éclair. « Good evening Coachella, je m’appelle Angèle et je viens de Belgique ! », lance la chanteuse devant des fans francophones et beaucoup de curieux conquis par une performance disco, pop et queer.

200 dollars pour dormir à l’arrière de la Prius

A Coachella, la nuit tombe brutalement, la température aussi. Alors que le rappeur américain Metro Boomin accueille une pluie de guests surprises, notamment Future et The Weeknd, une brise glaciale se lève. Les habitués ont prévu le coup avec une tenue de rechange ou une couverture. Les autres passent une soirée misérable. Tout à coup, une marée humaine déferle en direction de la scène principale. Il est plus de 23h30 et Bad Bunny réchauffe tout le monde avec Titi Me Pregundo. C’est la première fois qu’un artiste chantant en espagnol est tête d’affiche, et il était plus que temps, avec un Américain sur cinq d’origine hispanique. « Vous préférez que je parle en anglais ou en espagnol ? », demande la star portoricaine, artiste le plus streamé dans le monde sur Spotify en 2022. « Español », rugit la foule. Certains commencent à quitter les lieux pour éviter de rester coincés sur le parking ou de faire la queue une heure pour l’une des navettes desservant les principaux hôtels.

L’hébergement et les transports, justement, restent le point noir du festival. Une chambre au Motel 6 le plus près flambe à 600 dollars la nuit – six fois plus que la normale. Le parc hôtelier quasi-complet fait exploser les prix, et les locaux en profitent pour louer leur maison avec piscine plusieurs milliers de dollars pour le week-end. Sinon, via Airbnb, on peut camper chez l’habitant sous une tente installée dans le jardin, pour 300 dollars la nuit. Ou encore sur un matelas à l’arrière d’une Prius. Ca fera 200 dollars, mais avec accès à la douche du propriétaire, car l’extorsion a ses limites. Les vrais guerriers, eux, campent directement à Coachella et dansent jusqu’à 4 heures du matin à la silent disco, avant se faire réveiller dans des tentes transformées en étuve dès 8 heures.

Pour survivre, il faut aussi se nourrir, sachant qu’apporter son sandwich est interdit. Ribs, burrito, ramen, poulet frit épicé… Le choix est presque illimité, y compris avec de nombreuses options vegan. Mais l’inflation a bon dos pour justifier une mini-pizza à 26 dollars ou un smashed burger à 21 dollars, sans les frites (11 dollars). La bière à 12 dollars est presque une affaire à côté d’un double vodka-redbull à 26 dollars. Les VIP (1.069 dollars le pass, contre 549 dollars pour l’admission générale) peuvent eux s’offrir une expérience chez Camphor, le restaurant du moment à L.A. avec une étoile décrochée au Michelin moins d’un an après son ouverture. Le menu dégustation est à 150 dollars. Et sinon, côté people, quels buzz lors du premier week-end ? Les bisous de Shawn Mendes et Camila Cabello, et la présence de Kylie Jenner, finalement sans Timothée Chalamet, malgré les rumeurs sur une improbable relation.

« Plus influent et incontournable que jamais »

Coachella est-il finalement devenu un festival inaccessible à la plèbe, pourri par les stars et les influenceurs, qui semblent parfois surtout être là pour se montrer sur Instagram ? Calvin et Joy, jeune couple d’Américains, rejette un faux procès : « Si on s’y prend à l’avance, il y a moyen de ne pas exploser son budget », assurent-ils avec des billets achetés en juin dernier, sans connaître l’affiche, pour profiter du paiement échelonné sur six mois.

Ce qui est sûr, c’est que le festival n’a jamais été autant tourné vers l’international, avec le carton de la popstar espagnole Rosalía et de la K-pop de Blackpink, première tête d’affiche en provenance d’Asie.

Des drones colorés de Skymagic dans le ciel de Coachella avant la performance de Blackpink, le 15 avril 2023.
Des drones colorés de Skymagic dans le ciel de Coachella avant la performance de Blackpink, le 15 avril 2023. – Coachella/Skymagic

L’énigmatique Jai Paul, qui n’avait jamais donné de concert de sa vie après avoir percé au Royaume-Uni avec ses démos Jasmine et BTSTU en 2010, a enfin osé chanter en public. Et Frank Ocean a signé son retour après six ans d’absence. En retard d’une heure, il a livré une performance déconcertante, alternant des moments de fulgurance et de gros flottement. A 0h20, il met brutalement fin à son concert : « On me dit que c’est le couvre-feu, c’est la fin du show, merci. » Au total, Coachella et son propriétaire, AEG, ont reçu une amende 117.000 dollars de la ville d’Indio pour avoir débordé après minuit dimanche, et après 1 heures du matin vendredi. Une paille pour le festival de musique le plus rentable du monde, qui avait généré plus de 100 millions de bénéfices en 2017.

« Toujours  »The place to be » ? Oui, fucking, oui. »

« Coachella est plus influent et incontournable que jamais, notamment grâce au streaming en direct sur YouTube. Davantage de personnes assistent à une performance (sur Internet) qu’au festival », relève Tom Windish, responsable A & R (recherche de nouveaux talents) et du business développement chez Wasserman Music, l’énorme agence américaine qui représente cette année 45 artistes présents à Coachella. Windish donne en exemple la belle histoire du chanteur indien Diljit Dosanjh, quasi-inconnu aux Etats-Unis, où il se produisait pour la première fois, et dont le concert a été vu par 16 millions de personnes en ligne, soit quatre fois plus que Blackpink.

Scott Butterworth, qui travaille comme manager en licensing musical pour Disney Plus, en est à sa 16e édition consécutive. Et sa passion ne faiblit pas : « Coachella signe le lancement non-officiel de la saison des festivals et donne le ton pour toute l’année. Il y a des premières mondiales, des reformations et des invités surprises, avec un équilibre parfait entre têtes d’affiche grand public et artistes peu connus qui explosent ensuite. Est-ce toujours  »The place to be » quand on aime la musique ? Oui, fucking oui. » Ceux qui détestent Coachella sont avant tout ceux qui n’y vont pas.