Belgique

Pierre-Frédéric Nyst (UCM) : « Les pressions syndicales nuisent à l’attractivité de la Belgique »

Le patron de l’Union des classes moyennes (UCM) dégaine. Sur l’archaïsme de notre marché du travail. Sur les difficultés de la Belgique à garder des centres décisionnels. Sur la réforme des pensions en gestation, “un scandale”, selon lui. Pierre-Frédéric Nyst sort l’étendard “PME”, pour se rappeler au bon souvenir d’un gouvernement qu’il ne juge pas spécialement “pro-entreprise”.

Etre flexible au travail, c’est travailler plus et gagner moins ? C’est en tout cas en ce sens que va la salve de réactions à la suite de votre soutien à la direction de Delhaize il y a quelques jours…

C’est totalement faux ! Je suis d’accord, il y a probablement trop de points de ventes alimentaires en Belgique par habitant et il y a une concurrence importante avec les pays limitrophes, un Belge sur quatre ayant déjà fait ses courses au moins une fois à l’étranger en 2022. Mais ce pour quoi je plaide, c’est pour de la modernité sur le marché du travail. Je sais que le mot “souplesse” fait bondir les syndicats, mais demander de la polyvalence à un ou une employée du secteur alimentaire, est-ce vraiment trop demander, sans passer par l’aval d’un responsable syndicaliste ? Personnellement, j’y vois une forme de responsabilisation des travailleurs, la possibilité de varier les tâches, et de plus vite grimper les échelons dans des structures franchisées plus petites, plus familiales.

Pour quel type de salaire ?

Parlons-en. Entre les commissions paritaires 202, et 202.01, qui marquent la différence entre les magasins intégrés et les magasins franchisés, il y a 12 euros net par mois de différence, selon les calculs de la CGSLB (syndical libéral, NdlR). En outre, il y a moyen plus facilement dans ce type de structure de monter en grade, d’avoir des primes ou heures supplémentaires, qui font que tout le monde peut plus facilement s’y retrouver. Il faut arrêter de dire que l’on bascule dans l’enfer chez un franchisé, c’est ridicule. La vraie question philosophique qu’il faut se poser, c’est de savoir s’il est encore pertinent d’avoir une CP 202 qui concerne 28 entreprises, et une CP 202.01 qui en concerne 100 000. J’ai bien une petite idée…

Est-ce que la vraie question n’est pas de savoir pourquoi la Belgique ne parvient pas à garder certains centres décisionnels, non ?

Bien sûr que oui. C’est évident, mais pourquoi ? On peut avancer des raisons fiscales, des raisons tenant au marché du travail, ou à l’indexation des salaires, mais pour moi, si l’on voit ces centres décisionnels s’expatrier, comme cela a été les cas avec Delhaize, c’est à cause des syndicats. Allons jusqu’au bout des choses : les pressions syndicales expliquent cette perte d’attractivité.

Prenons l’exemple de Caterpillar, pour lequel on peine à trouver un remplaçant. S’il n’y avait pas eu les syndicats, Caterpillar serait toujours sur le site à Charleroi. Alors, attention, si les syndicats disent que le patronat c’est l’enfer, je ne le dis pas. On a besoin de concertation sociale dans ce pays, et j’aime discuter avec les syndicats. Mais dans les PME, on n’a pas besoin des syndicats, parce que l’expérience montre que cela fonctionne mieux sans eux. Un livre récent de Manou Doutrepont (Guide de la concertation sociale en entreprise, mars 2023, Edipro, NdlR) explique très bien cela. Vous savez, quand j’entends le ministre de l’Economie Pierre-Yves Dermagne parler de structures fragiles avec les magasins franchisés, je voudrais juste lui demander ce qui est fragile quand on voit la manière dont cela se passe avec la maison mère de Delhaize. Qu’est-ce qui est fragile ? Là-bas, aux Pays-Bas, les actionnaires sur place n’étaient même pas au courant de ce qu’il se passait en Belgique. Quelle gifle…

Est-ce que ce gouvernement est “pro-entreprise” ?

Il faut être nuancé. Certains partenaires au sein de la Vivaldi sont “pro-entreprise”, ou plutôt pro-PME. Mais soyons clairs, le PS ne s’intéresse pas aux PME, juste aux grandes entreprises, et surtout à leurs travailleurs. Ce qui est très paradoxal, d’ailleurs. Pour les plus “petits”, Dermagne parle de structures plus fragiles, mais il est le premier à critiquer les salaires des grandes entreprises du Bel 20. J’ai des difficultés à comprendre la cohérence de son discours. Quant à Ecolo, ils ne sont ni pour ni contre. Ils ont quelques leitmotivs, comme le climat et la mobilité… peu importe le coût pour les entreprises. Un peu simple. Le ministre Clarinval a bien une fibre “PME” mais le gouvernement dans son ensemble, non.

Est-ce que vous pensez toujours, vu le contexte, qu’il faut toucher à l’indexation automatique des salaires ?

Oui. De nombreuses entreprises tirent encore la langue. Nous sommes en revanche en faveur d’une indexation nette pour les travailleurs. D’une indexation défiscalisée en somme. Je crois qu’il faut avoir le courage de mettre cette indexation sur la table, parce que le nombre de Casper – de travailleurs virtuels ou fantômes, qu’on paie, mais qui ne travaillent pas en raison de cette hausse de la masse salariale – commence à être vraiment important. Il faut y travailler, mais être imaginatif, créatif, pour que le net en poche du travailleur reste le même. Ou alors prévoir un plafond de revenus assez élevé, au-dessus duquel l’indexation serait dégressive ou supprimée.

Les discussions vont commencer pour l’attribution de la prime “pouvoir d’achat” de 500 ou 750 euros. Selon quels critères ?

Réponse très difficile à donner. L’accord parle de 500 euros pour un bénéfice ordinaire, et de 750 euros pour un bénéfice exceptionnel. Par rapport à 2021, où la prime était de 350 euros, les entreprises se portent moins bien, mais le montant est plus élevé, ce qui est en soi déjà étonnant. Soit. En termes purement comptables, l’excédent brut d’exploitation (Ebitda) serait un bon critère mais le contexte dépend d’un entreprise à l’autre. Or, il est probable que les syndicats vont vouloir que la discussion se passe à un niveau sectoriel, ce qui nous semble compliqué. D’autant qu’on ne sait pas encore quelle nature aura ce chèque. Un chèque “consommation”, sur lequel des cotisations sociales de 16,5 % sont dues – ce qui fera plaisir aux syndicats – c’est bien, parce qu’il doit être dépensé en Belgique, mais on aimerait que ce soit élargi aux éco-chèques.

On le sait, l’enjeu des pensions est importantissime en Belgique. Et pas seulement parce que la Commission européenne met la pression sur la Vivaldi pour qu’elle accouche d’une réforme des pensions, en discussions depuis le début de la législature, qui assure la soutenabilité du système à long terme. La ministre des Pensions Karine Lalieux (PS) devrait sous peu remettre une nouvelle épure de sa réforme. C’est peu dire que l’UCM l’attend de pied ferme. C’est que certains points figurant dans les dernières épures ne plaisent absolument pas à l’organisation patronale. Le premier est que l’incitant à travailler ne saute pas immédiatement aux yeux de l’UCM lorsqu’on évoque un nombre d’années de carrière effective avant d’avoir accès à la pension anticipée, et que le gouvernement débat sur les périodes assimilées.

“Comprenez-moi bien, je n’ai rien contre les périodes assimilées. Il y a des situations particulières, familiales, de santé, notamment, qui justifient un système solidaire. Tout le monde peut faire face à un accident de la vie. Mais je crois aussi qu’il faut une limite à ces particularités. Aujourd’hui, il y a 3 cotisants pour un retraité, demain, deux pour un. Quel message envoie-t-on en disant qu’après 15 ou 20 ans, on peut accéder à la pension anticipée, ou à une pension minimale de 1 700 euros net ? Certainement pas un message de valorisation du travail”, estime le président de l’UCM. Lequel plaide donc pour un plafond des périodes assimilées. Et dans le cadre de cette problématique de garder les gens au travail plus longtemps, l’homme ne nie pas la responsabilité des entreprises en matière de formation, ou l’accompagnement des fins de carrière.

“Mais ici aussi, on prend le problème par le mauvais bout. Nous sommes les champions du monde de la non-gestion des fins de carrière. On devrait pouvoir mettre en place un système différent de celui qui nous contraint aujourd’hui : on ou off. Soit on travaille soit on chôme. Rien n’est véritablement mis en place pour trouver un juste milieu, avec les incitants ad hoc, pour un atterrissage en douceur des fins de carrière. Soyons clairs, pour une entreprise, il est évident qu’engager un senior de 55 ans, ‘ça coûte bonbon’. En forme de boutade, je pourrais dire qu’il n’y a que le Val Saint-Lambert, qui peut se permettre d’engager un souffleur de 60 ans venant d’Italie qui maîtrise encore ce savoir-faire. La formation en amont, et en entreprise – ce qui se passe déjà beaucoup, contrairement à ce qu’on croit – reste la clé dans ce débat. L’employabilité tout au long d’une carrière, c’est important, mais reconnaissons qu’il y a de bons organismes de formation, mais que c’est d’une complexité institutionnelle sans nom. Cela devrait se faire plus naturellement, comme cela se fait déjà dans de nombreuses PME”, ajoute encore Pierre-Frédéric Nyst.

Enfin, là où le président avale son café de travers, c’est avec le projet de réforme du deuxième pilier des pensions, celles financées en entreprises. “D’abord, la ministre entend remettre en question un régime en cours de route ; on approche le scandale. Il y avait auparavant la possibilité pour les entrepreneurs de rattraper des années où ils n’avaient pas cotisé, parce qu’il faut parfois du temps avant de véritablement bien vivre d’une activité de société. Ici, la ministre veut mettre fin à cette possibilité, et cornaquer davantage les primes payables pour financer les retraites complémentaires des indépendants. Bref, on a encouragé pendant des années les indépendants à se constituer une pension complémentaire, et maintenant, on changerait les règles du jeu. Même en matière de taxation des capitaux perçus en fin de parcours, les règles changeraient, puisque la ministre entend instaurer une fiscalité beaucoup plus élevée pour les capitaux plus importants. Je rappelle à la ministre que syndicats et patronat ont demandé il y a quelques semaines un stand still fiscal sur le deuxième pilier des pensions. Nous attendons du gouvernement qu’il respecte cet accord important entre partenaires sociaux”, conclut le patron de l’UCM.

PORTRAIT

Pierre-Frédéric Nyst, patron de l’UCM depuis 2017, au moment où le conseil d’administration de l’Union des classes moyennes lui demande de reprendre le mandat de Philippe Godfroid, est avocat aux Barreaux Namur et du Luxembourg. Son ADN : la fiscalité et le droit des affaires. Réputé pour ne pas avoir sa langue en poche, Pierre-Frédéric Nyst, marié et père de trois enfants, est capable de sorties médiatiques “tonitruantes”, “quand la marmite déborde”. Pour ce “mousquetaire d’Armagnac”, le lobbying en faveur des PME, qu’il a chevillé au corps, se fait pourtant le plus souvent en face-à-face plutôt que par presse interposée. Pas le genre de la maison. Administrateur de l’UCM depuis 1998, ce passionné de tennis, de photographie et de lecture – “tous les styles, avec un penchant pour Marguerite Yourcenar” est aussi un vrai défenseur de la concertation sociale. Les syndicats, ce sont ses meilleurs ennemis. Même si, reconnaît-il, les grands accords se font plus rares…