France

Toulon : « Qui n’a jamais fraudé ? », stupeur et tremblements après le départ forcé de Hubert Falco

En cette matinée de printemps, il souffle un fort mistral sur la mairie de Toulon. Un vent de colère, ou de renouveau. C’est selon le sens dans lequel on le prend : ça, on le sait bien ici, dans cette ville qui vit au rythme de son port. Un vent, en tout cas, comme il en a rarement soufflé sur la préfecture du Var : depuis une semaine, Hubert Falco n’est plus à la tête de la mairie. En soi, c’est carrément une tempête : l’édile tient le gouvernail toulonnais depuis vingt-deux ans. Mais le capitaine de toujours a brusquement été débarqué par la justice.

Le 14 avril dernier, le tribunal correctionnel a condamné Hubert Falco pour détournement de fonds. L’ancien LR, aujourd’hui soutien d’Emmanuel Macron, est accusé d’avoir continué à déjeuner gratuitement durant des années à la cafétéria du conseil départemental, alors qu’il n’en était plus président depuis plus de dix ans, et d’avoir profité de repas à domicile et de frais de pressing, réglés, eux aussi, sur les fonds publics de cette collectivité.

« Rendez-nous Falco ! »

Et la peine est sans équivoque : outre les trois ans de prison avec sursis, le maire se retrouve privé de ses droits civiques pendant cinq ans et devient immédiatement inéligible. L’annonce de l’appel par l’avocat d’Hubert Falco n’y changera rien. Le 18 avril dernier, un arrêté préfectoral porte Hubert Falco démissionnaire « d’office » de tous ses mandats. Une nouvelle que les Toulonnais, plutôt cléments, peinent à comprendre.

« Hubert Falco, c’était le maire, mais c’était mon père aussi, s’émeut Joséphine, à la sortie d’un tabac du centre-ville. J’ai 46 ans et j’habite à Toulon depuis toujours. Et je peux vous le dire, c’est un homme très bien, qui s’occupe beaucoup des Toulonnais, des animaux, des personnes âgées. Il a fait plein de travaux pour transformer la ville. Il aime beaucoup le RCT en plus. Je ne comprends pas qu’on lui a fait ça. Le maire, il a un cœur en or. Non, en diamant même. L’or, c’est pas assez cher pour le qualifier. Rendez-nous Falco ! Si Falco revient pas, c’est simple : j’arrête de voter. Il a fait une bêtise. Qui n’a jamais fait de bêtises ? Qui n’a jamais fraudé ? On accuse le maire pour des broutilles ! »

Une décision « brutale »

« Falco, il a vachement restauré la ville, abonde Germaine. Ok, il s’est servi. Mais quel homme politique ne s’est pas servi ? Si c’est le prix à payer pour avoir des gens qui se bougent, moi je prends. » « C’est pas parce qu’on a fait des choses bien pour une ville qu’on doit pas être sanctionné quand on fait quelque chose de mal… » tempère sa compagne de déjeuner, Elodie.

La nouvelle à Toulon a surpris tout le monde, y compris dans les rangs de l’opposition. « Nous avons été étonnés de la rapidité dans la prise de la décision, confesse Amaury Navarranne, conseiller municipal RN de Toulon et responsable du parti dans la ville. Le fait que la peine ait un effet immédiat m’a semblé un peu brutal. Cela dit, je m’attendais à une condamnation. J’avais évoqué cette possibilité à la fin de l’année 2022 lors d’un débat sur l’orientation budgétaire, en disant que l’année 2023 serait plutôt l’année de l’orientation judiciaire. Hubert Falco m’a pris à partie à la fin du conseil municipal. Il a voulu se battre avec moi et en venir aux mains ! » Et d’accuser : « Hubert Falco est tombé dans un syndrome de la baronnie locale. Il a été élu au premier tour en 2008, en 2014, en 2020…. Au département, il s’est toujours estimé comme étant le patron, même s’il y était plus. Il était dans une forme d’habitude. »

Des proches sidérés

Le départ de ce patron de toujours sidère jusque dans ses propres rangs. La création d’un comité de soutien, « J’aime Toulon avec Hubert », a été annoncé sur les réseaux sociaux pour afficher la solidarité avec l’édile. « Stupéfaits, abasourdis, incrédules, effarés, effondrés, anéantis, voici les émotions et sentiments que les Toulonnaises et Toulonnais expriment depuis le verdict, rendu vendredi dernier, rendant inéligible notre maire », peut-on lire, par exemple, dans un tweet du 20 avril.

Il faut toutefois s’éloigner de Toulon pour trouver un soutien et proche qui accepte de témoigner à visage découvert, en l’occurrence, Grégory Lamothe, membre du comité de soutien, qui a fait ses débuts en politique à Toulon aux côtés d’Hubert Falco, avant de labourer les terres fréjusiennes, détenues aujourd’hui par le RN David Rachline. « Je suis abasourdi, comme tout le monde, confie Grégory Lamothe. J’étais sonné quand je l’ai appris. Personne ne s’y attendait. C’est comme la foudre qui s’abat sur notre tête. Je n’ai rien compris, et je trouve que ce n’est pas mérité. Je suis touché qu’Hubert soit tombé comme ça, du jour au lendemain. »

Omerta

A Toulon, les soutiens d’Hubert Falco semblent plus prompts à témoigner leur affection sur les réseaux sociaux que par voie de presse. Contactés à de nombreuses reprises par 20 Minutes Marseille, plusieurs adjoints d’Hubert Falco ont été pris d’une soudaine épidémie de répondeurs systématiques ou d’agendas subitement surchargés, invitant à couper court à l’échange dès lors qu’on en exposait le motif.

« Ses adjoints, Hubert Falco les tient tous, croit savoir un élu local bien au fait de la politique toulonnaise, sous couvert d’anonymat. Il y a des gens qui ont vraiment peur, parce qu’il a réussi à faire en sorte que tout le monde, par ses mandats, vive grâce à lui. » « Hubert Falco a deux côtés, confirme Cécile Muschotti, ancienne députée toulonnaise au sein de la majorité présidentielle, aujourd’hui conseillère municipale. Il a un côté très populaire auprès des Toulonnais. Il était maire avant ma naissance ! Et il a un côté sombre d’un homme qui verrouille tout. Les élus de sa majorité n’ont pas le droit de s’exprimer en conseil municipal. Il n’y a qu’Hubert Falco qui parle ! » Et de conclure : « C’est le début de la fin d’Hubert Falco. Mais il a tellement de réseau qu’il faudra des années pour construire autre chose. » Le début d’une nouvelle ère ? Mercredi prochain, le conseil municipal se réunira pour élire un autre maire. La favorite est Josée Massi, première adjointe… adoubée par Hubert Falco, quelques jours après son détrônement.