Belgique

Oui, la politique belge est un monde sexiste : « Propos graveleux, regards lourds… Certains utilisent cela comme une arme politique »

Du temps a passé depuis que Simone de Beauvoir a publié Le Deuxième sexe (1949). Pour cette intellectuelle française, la femme était alors un être relatif. L’humanité ne se définissait qu’à partir de son centre masculin. Si plusieurs décennies de féminisme ont rendu naturelle la participation des femmes à la gestion de la chose publique, des comportements et des propos déplacés, humiliants, dénigrants démontrent que le sexisme n’est pas mort.

« C’est particulièrement problématique en politique”

”Le sexisme ordinaire est présent dans toutes les sphères de la société, constate la députée Sophie Rohonyi (Défi), qui vient d’être désignée présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique. Mais c’est particulièrement problématique en politique car c’est justement là que doivent se prendre les décisions qui permettent d’éradiquer ce phénomène. Ça me dérange depuis toujours et je refuse de m’y habituer. Quand on est jeune et femme, en politique, c’est doublement plus compliqué…”

Par exemple, une élue peut être confrontée à des remarques à caractère sexuel. Loin de relever de la polissonnerie, elles ont pour effet, et parfois pour objectif, de discréditer, de déstabiliser. “Lorsque je suis devenue députée après avoir été collaboratrice, j’ai reçu des remarques d’autres collaborateurs faisant allusion à une ‘promotion canapé’, confie encore Sophie Rohonyi. Cela venait aussi de la part de certaines femmes, d’ailleurs. Il faut le dire : certaines femmes sont elles-mêmes dans le sexisme.”

Il existe également une certaine pression masculine qui peut intimider et pousser les femmes à se faire plus discrètes qu’elles ne le voudraient. “J’entends des remarques à haute voix sur ma tenue vestimentaire, sur la couleur de ma robe, lorsque je prends la parole à la Chambre en plénière. C’est déstabilisant alors que l’on n’a que deux minutes pour poser sa question aux ministres. Certains utilisent cela comme une arme politique. Il y a aussi les propos graveleux, des regards lourds… J’ai dû faire attention aux tenues que je porte ou à ma démarche quand je suis à la Chambre pour éviter ces phénomènes.”

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J’ai dû faire attention aux tenues que je porte ou à ma démarche quand je suis à la Chambre pour éviter ces phénomènes. »

Condescendance mâle, mise en cause de ses compétences dans des dossiers qu’elle maîtrise parfaitement, questions déplacées sur sa vie de famille, Sophie Rohonyi cite de nombreux autres exemples vécus dans le cadre de son mandat parlementaire. C’est toutefois sur les réseaux sociaux qu’elle est confrontée à une véritable violence. “J’ai fait l’objet d’appels au viol. On affirmait que je défendais les migrants car je couchais avec eux. J’ai reçu des dick pics… Plus je remets en cause le patriarcat, plus les attaques dont je fais l’objet sont virulentes.”

Le nouveau féminisme crée des tensions dans les partis politiques

La députée fédérale Sophie Rohonyi (Défi)
La députée fédérale Sophie Rohonyi (Défi) ©© Benjamin Hermann

L’expérience de Diana Nikolic, cheffe du groupe MR au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, est similaire. “Je suis de plus en plus sensible au sexisme en réunion, aux propos comme aux attitudes. Je réagis moi-même, immédiatement. C’est ma responsabilité. Je ne hais pas les hommes comme certaines féministes, j’ai le cuir endurci et je peux encaisser beaucoup de choses. Mais j’ai été dans la position de la plus jeune femme dépourvue face à certaines situations et, à l’époque, je n’ai pas pu réagir. Donc, aujourd’hui, je ne laisse plus rien passer pour que la personne en cause réfléchisse à deux fois avant de refaire la même chose. C’est mon combat féministe.”

La promotion canapé…

Elle aussi a été confrontée à des allusions publiques “sans filtre” sur une “promotion canapé”, sur sa vie privée. Dans les assemblées parlementaires, ça ne vole pas toujours très haut : “Quand on va à la tribune, en particulier au parlement wallon, on doit franchir une certaine distance, détaille Diana Nikolic. On entend alors derrière soi un brouhaha, une rumeur, des rires gras, qu’on n’entend pas quand c’est un homme qui s’y rend. Les hommes répondent “on ne peut plus rien dire…” Mais il y a une différence entre “tu as belle robe” et” mmm, tu montres tes jambes !

La députée MR adopte par conséquent des stratégies de défense. “Je rattache parfois un bouton, je fais attention à ce genre de détails… C’est anormal mais c’est pour éviter les commentaires, le paternalisme. Cela vient de tous les partis, même de ceux qui érigent le féminisme en valeur absolue…”

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Cela vient de tous les partis, même de ceux qui érigent le féminisme en valeur absolue…« 

Être une femme active en politique, c’est aussi ne pas avoir droit à l’erreur. “Quand je suis arrivée au conseil communal de Liège, je cumulais : j’étais la plus jeune, une femme et blonde… je me sentais obligée d’être irréprochable, de connaître le dossier sur le bout des doigts. On nous pardonne beaucoup moins facilement qu’aux hommes.”

MR's Diana Nikolic pictured during a plenary session of the parliament of the Federation Wallonie-Bruxelles (Federation Wallonia Brussels - Federatie Wallonie Brussel) in Brussels, Wednesday 08 February 2023. BELGA PHOTO LAURIE DIEFFEMBACQ
La députée et cheffe de groupe MR, Diana Nikolic.

Des procédures de protection

Face aux attitudes inacceptables, Hélène Ryckmans, députée wallonne et sénatrice Écolo, a décidé de s’appuyer sur la loi. “Quand ça dépasse les bornes, j’envoie un signalement à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. L’Institut contacte alors la personne, preuve à l’appui. Je demande aussi qu’on rappelle aux intéressés l’existence de la loi antisexiste et anti-discrimination et que leurs propos sont condamnables. Cela en a déjà calmé quelques-uns.

Voici un cas concret : “J’ai aussi fait un signalement sur un ministre, confie l’écologiste. Je l’interrogeais sur une plainte pour harcèlement sexuel déposée contre un directeur dans un organisme public. Et le ministre m’a répondu en rappelant que la personne mise en cause était en fin de carrière et que la plainte venait d’une stagiaire qui ne devait rester que moins de deux mois. Comme c’est une stagiaire, elle était moins crédible, selon lui…

La députée Hélène Ryckmans veut une tolérance zéro par rapport aux faits de harcèlement et de violences sexuelles.
La députée Ecolo Hélène Ryckmans. ©BELGA 

”Je ne suis pourtant pas une chochotte”

Le combat féministe laisse de la place pour la nuance. Joëlle Milquet (Les Engagés) a connu un parcours au plus haut niveau de la politique : présidente de l’ex-CDH, vice-Première ministre… Elle estime ne pas avoir été une victime des hommes. Malgré certains épisodes difficiles… “Je n’avais jamais eu le sentiment de pouvoir faire l’objet de propos machistes ou sexistes jusqu’au moment où je me suis retrouvée lancée dans la campagne présidentielle, à l’époque du PSC, face à Charles-Ferdinand Nothomb, se souvient-elle. J’étais une jeune femme de 34 ans, urbaine et progressiste, je tranchais fortement avec les codes d’un parti qui avait toujours été dominé par des hommes, plutôt ruraux, plutôt conservateurs et venant du sud du Luxembourg…. Pendant les trois mois de campagne, c’était très tendu car il y avait un vrai clivage. Il y avait des sous-entendus profondément machistes.

Par exemple ? “Pendant la campagne interne, on m’a posé des questions pour savoir si je voulais encore des enfants, si je pourrais assurer la présidence et le fait d’être mère, si je pourrais négocier toute une nuit et tenir tête à des hommes. Je devais tout le temps me justifier. Et, lors des débats, on me posait toujours des questions hyperpointues qu’on ne posait pas à Charles-Ferdinand Nothomb. C’était profondément machiste sur certains aspects. Je ne suis pourtant pas une chochotte.

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Lors des débats, on me posait toujours des questions hyperpointues qu’on ne posait pas à Charles-Ferdinand Nothomb.« 

Joëlle Milquet insiste sur un point : oui, la politique est un univers impitoyable, mais cette violence n’est pas forcément “genrée”. “Durant les négociations fédérales pour l’Orange bleue (majorité fédérale entre la famille libérale et la famille chrétienne-démocrate/humaniste), j’avais téléphoné à Laurette Onkelinx – qui n’était pas autour de la table – pour lui demander si cette violence verbale et comportementale était normale. J’étais sidérée devant les crises de nerfs, les hurlements de certains… Je n’étais pas habituée à cela. Laurette m’avait répondu : ‘Au fédéral c’est toujours comme ça, on hurle, et moi aussi d’ailleurs !”

Joëlle Milquet: «Mon premier vote, c’était pour Philippe Maystadt»
Joëlle Milquet, ancienne présidente du CDH, ancienne vice-Première ministre.

Les “crêpages de chignons” de la presse

Contactée dans le cadre de ce dossier, l’ancienne cheffe de file du PS au fédéral affirme ne pas avoir souffert de vexations sexistes de la part de ses collègues masculins. “On ne m’a jamais dit des choses pareilles ! Je ne pense pas qu’ils auraient osé… Par contre, la presse a parfois eu des propos machos, dans le genre ‘crêpage de chignons’, quand il y avait une dissension entre Isabelle Durant (ancienne vice-Première Écolo, notamment) et moi.

En 2014, Laurette Onkelinx avait tout de même été traitée d’” hystérique” lorsqu’elle avait bruyamment manifesté son indignation à la Chambre des Représentants à l’égard de la participation de la N-VA au gouvernement Michel. Sur la RTBF, après cet épisode, elle avait rejeté ce qualificatif : “C’est très souvent comme cela quand une femme s’énerve. Quand un homme s’énerve on dit qu’il est viril, qu’il s’exprime avec passion, avec conviction. Quand une femme s’énerve, on dit que ça ne va pas, qu’elle est hystérique. Ce n’est pas la première fois qu’on me dit ça, je ne l’accepte pas !”

«Il y a cinquante ans, les étudiants réclamaient des libertés nouvelles, aujourd’hui ils demandent un avenir. Ils ont raison. Nous devons réagir», a dit d’emblée la présidente de la fédération bruxelloise du PS, Laurette Onkelinx.
Laurette Onkelinx, l’ex-cheffe de file du PS au fédéral.

« Defraigne, je la veux bien dans un lit mais pas en politique »

Enfin, voici le témoignage de Christine Defraigne, ancienne présidente du Sénat et actuelle première échevine à Liège. « Le sexisme, je l’ai rencontré lors de l’une de mes premières campagnes électorales, au fédéral. Une petite rencontre politique avait été organisée en région liégeoise et un parlementaire bien connu, issu de mon propre parti, avait tout fait pour m’empêcher de prendre la parole. Il avait provoqué un incident calamiteux qui avait choqué l’organisatrice. Ce parlementaire avait dit ‘Defraigne, je la veux bien dans un lit mais pas en politique‘…. Il hurlait. Je n’avais pas pu prendre la parole. C’était surréaliste.

Christine Defraigne considère que le monde politique a changé et est désormais moins dur avec les femmes. La libérale met en évidence les dangers du “politiquement correct”. “On ne peut plus rien dire, estime-t-elle. On a encore le droit de plaisanter sans envoyer les hommes au tribunal correctionnel… Certaines femmes ne sont pas toujours très subtiles non plus. Quand un homme ne peut plus faire de compliment à une femme sans être qualifié de harceleur, il y a un excès. Une société clivée où l’homme est l’ennemi, cela ne rend service à personne. Le politiquement correct présente aussi un danger totalitaire. Attention aux dérives de nos sociétés…. Si un homme me dit que j’ai une jolie robe, je n’en ferai pas une maladie, je lui dirai merci. Sinon, la société sera aseptisée.

guillement

On a encore le droit de plaisanter sans envoyer les hommes au tribunal correctionnel…« 

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Christine Defraigne, ancienne présidente du Sénat et actuelle première échevine à Liège. ©JEAN LUC FLEMAL