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« Il a promis de nous laisser en dehors de cette guerre » : en Hongrie, Viktor Orbán a réussi à imposer son récit sur l’Ukraine

Ces passants hostiles à l’Ukraine sont certainement à l’écoute des médias du pouvoir. Ces derniers ne masquent pas la responsabilité de l’agresseur russe dans le déclenchement de la guerre, mais ils distillent insidieusement la détestation des Ukrainiens, accusés pêle-mêle de brimer la minorité hongroise d’Ukraine, de mobiliser ces Hongrois ethniques en surnombre sur le front dans le Donbass ou de déverser des céréales de mauvaise qualité dans l’UE. Des assidus peuvent même trouver sur internet des informations selon lesquelles les Ukrainiens planifieraient d’envahir le pays magyar jusqu’au lac Balaton.

Le « camp de la paix »

Pour autant, la Russie ne passe pas pour un pays ami aux yeux des Hongrois, même électeurs du Fidesz, et l’antienne bien connue selon laquelle « rien de bon ne vient de l’Est » reste valable. Une enquête réalisée par l’Institut de la démocratie de l’Université d’Europe centrale confirme que la Russie est le pays le moins sympathique aux yeux des Hongrois, qu’ils soient pro ou anti-Orban. Mais la frange nationaliste – au pouvoir et majoritaire dans les urnes – a abandonné la russophobie modérée héritée de son antisoviétisme au profit d’une « poutinophilie », séduite par le virilisme guerrier du président russe Vladimir Poutine et par ses diatribes anti-occidentales qui font écho à celles de Viktor Orban.

« Rester en dehors de la guerre », c’est le slogan du Fidesz qui a fait mouche pour remporter les législatives avec 54 % des voix il y a un an. « J’ai voté pour Orban car il a promis de nous laisser en dehors de cette guerre qui me fait peur« , nous disait une femme retraitée rencontrée à Debrecen dans l’est du pays. Le pouvoir désigne un « camp de la guerre », qui inclut tous ses adversaires domestiques et internationaux, tenus pour responsable de l’inflation qui sévit en Hongrie plus que nulle part ailleurs en Europe (+25 % annuels en février). Cela lui permet de canaliser la frustration perceptible de la population de voir se refermer une parenthèse d’une décennie de nette embellie économique.

Victor Orbán n’est pas un pion du Kremlin: la réalité est plus complexe

Tordre la mémoire de 1956

A contre-courant des autres pays de l’UE sur le dossier ukrainien, Budapest réclame un cessez-le-feu immédiat et des négociations de paix. Pour concilier cette position avec sa légende entretenue de « combattant de la liberté » (contre l’Union soviétique dans les années 80), Viktor Orbán n’a pas hésité à tordre l’histoire, argumentant que les révolutionnaires hongrois de 1956 – au cœur de sa rhétorique nationaliste – savaient ne pas pouvoir battre l’Union soviétique mais visaient en réalité un « cessez-le-feu » ainsi qu’un « accord de paix« . Pour le reste, la droite nationaliste a résolu l’équation simplement : la menace pour la souveraineté hongroise ne vient plus aujourd’hui de la Russie, mais de l’Ouest et de la tentation impériale de l’Union européenne.

Pour imposer ce récit fabriqué dans l’urgence de bric et de broc, le Fidesz a pu compter sur la mobilisation d’un appareil médiatique dont la puissance de feu n’a pas d’égal dans l’UE. Viktor Orban caracole toujours loin devant ses adversaires dans les sondages. Echaudés, les Etats-Unis de Joe Biden ont annoncé mercredi des sanctions contre une banque russo-hongroise et ce sont eux qui, selon le média 444.hu, auraient financé les affiches visibles actuellement dans tout le pays qui remettent au goût du jour le slogan hongrois de 1956 « Les Russes dehors ! » pour appeler au retrait des Russes d’Ukraine.

Cette pression de plus en plus forte exercée par Washington n’a pas dissuadé le chef de la diplomatie hongroise, Péter Szijjártó, de se rendre à Moscou mardi pour sécuriser les approvisionnements en gaz et en pétrole russes, puis de recevoir à Budapest mercredi son homologue du Bélarus.