Belgique

Georges-Louis Bouchez marqué par l’itinéraire de Martin Gray, survivant de la Shoah: « La pulsion de vie chez l’homme me fascine »

Il existe une “littérature de la Shoah” composée de puissantes autobiographies, de carnets, de romans qui témoignent de l’anéantissement des Juifs par l’Allemagne nazie. Aux côtés de Si c’est un homme de Primo Levi ou du journal intime d’Anne Frank figure Au nom de tous les miens de Martin Gray (Mieczysław Grajewski, selon son nom de naissance). Le récit de son destin tragique avait été recueilli par l’historien Max Gallo et publié en 1971 (aux éditions Robert Laffont).

Du ghetto à la police politique soviétique

Juif polonais, Martin Gray a réussi à s’échapper de Treblinka. Il a ensuite participé au soulèvement du ghetto de Varsovie. Après l’arrivée de l’Armée rouge, il entrera au NKVD, la terrible police politique soviétique pour laquelle il est chargé de “nettoyer les arrières”, c’est-à-dire de pourchasser derrière la ligne de front toutes les personnes jugées suspectes.

Le best-seller, traduit dans plus de vingt langues, sera critiqué en raison des doutes pesant sur l’authenticité de certains éléments du parcours hors du commun de Martin Gray, Max Gallo ayant parfois mêlé réalité et fiction. Mais peu importe. C’est Au nom de tous les miens que Georges-Louis Bouchez cite comme le livre qui a le plus marqué sa vie. “La Shoah est un élément important dans mon processus d’engagement politique, confie le président du MR. En primaire, j’avais rencontré un survivant des camps, M. Lachmann, et cela m’a marqué pour toujours. La lecture d’Au nom de tous les miens est en lien avec cette rencontre.”

L’écrivain Martin Gray retrouvé mort à son domicile de Ciney

Lu d’une seule traite

Georges-Louis Bouchez découvre l’ouvrage au début de son adolescence. “J’ai lu ce livre très jeune, à 13 ou 14 ans, dans le cadre scolaire. Ma professeure de français nous avait donné une liste de livres pour l’année. Après en avoir commencé la lecture, je n’ai pas pu m’arrêter. Je l’ai lu d’une seule traite. Plusieurs fois, je me suis replongé dedans par la suite. Je l’ai relu, ce que je ne fais jamais. Je pense très régulièrement à ce livre. Je l’avais présenté lors d’un exposé devant ma classe et je m’en étais bien sorti. J’avais eu 18/20, je m’en souviens.”

D’Au nom de tous les miens, le président libéral tire des leçons de vie et des leçons politiques.Pour mon engagement politique, la vie de Martin Gray mettait en évidence le combat pour des valeurs. Ce qui m’a le plus impressionné, c’est l’instinct de survie de l’être humain, cette capacité à faire face aux choses les plus terribles. Il n’y a jamais aucune situation impossible à affronter. Je pense notamment aux pages concernant la résistance du ghetto de Varsovie. C’est une leçon. L’homme est capable du meilleur comme du pire. Mais il y a moyen de changer le cours des choses.

guillement

Il n’y a jamais aucune situation impossible à affronter. Je pense notamment aux pages concernant la résistance du ghetto de Varsovie. »

Le destin frappe à nouveau

Après l’assassinat de sa mère et de ses frères dans les chambres à gaz, après avoir vu son père se faire abattre durant l’insurrection du ghetto, Martin Gray verra disparaître une nouvelle fois toute sa famille. Le samedi 3 octobre 1970, sa femme, Dina, et ses quatre enfants mourront dans l’incendie du massif du Tanneron, dans le Var. “Je ne me suis pas tué. J’ai voulu. Je n’ai pas pu : on a veillé sur moi”, écrit-il dans Au nom de tous les miens. Il laissera à sa place, dans un coin de la maison, l’étui à fusil qui le tente. Il survivra pour continuer à dire l’horreur des camps et créera une association (la fondation Dina Gray) pour la prévention des feux de forêt. Martin Gray passera ses dernières années en Belgique. Il s’éteindra à Ciney en 2016.

Martin Gray
Martin Gray vivait en Belgique, il a fini ses jours à Ciney. ©EdA

”Après chaque épreuve, Martin Gray s’est reconstruit, souligne Georges-Louis Bouchez. Je fais un parallèle entre son livre et une autre lecture découverte à la même époque : le poème If de Kipling.” Ce texte très célèbre de l’auteur du Livre de la Jungle exalte l’idée que l’échec est salvateur : “Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie. Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir […], Tu seras un homme, mon fils.

L’être humain a des capacités bien supérieures que ce qu’il s’attribue la plupart du temps, poursuit le patron du MR. Certaines situations vont permettre de surpasser la fatalité. C’est d’ailleurs la promesse libérale : sortir le meilleur de l’humain et la croyance en l’homme… Dans les pires atrocités de la Shoah, il y a eu des actes de solidarité, des actes d’amour, la capacité à reconstruire, à survivre. C’est un point majeur pour moi. C’est cette pulsion de vie chez l’homme qui me fascine le plus. Au nom de tous les miens porte surtout un message d’espoir, en fait. Cela m’a influencé dans la conception de ma vie et dans mon parcours politique. Ce livre a construit ma conviction qu’il n’y a jamais de situation désespérée.

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Dans les pires atrocités de la Shoah, il y a eu des actes de solidarité, des actes d’amour, la capacité à reconstruire, à survivre. C’est un point majeur pour moi. »

Des origines modestes, Di Rupo comme modèle… Le portrait de Georges-Louis Bouchez (lors de son élection à la tête du MR).

Yitzhak Rabin et Yad Vashem

Plus généralement, Georges-Louis Bouchez dit s’intéresser de près à l’histoire de la Shoah et du peuple juif. “Je lis tout ce que je peux lire sur la Seconde Guerre mondiale, je vais dans tous les musées concernant cette période. J’ai visité Auschwitz. Je vois tous les films sur le sujet, je lis tous les bouquins. Je veux avoir le plus d’informations possible. Au-delà, l’un des événements majeurs qui ont attisé mon intérêt politique – j’avais alors 9 ans à l’époque – a été l’assassinat d’Yitzhak Rabin.” Le 4 novembre 1995, à 21 h 40, à Tel Aviv, le Premier ministre israélien regagne son véhicule entouré de son service de sécurité. Il est précédé par Shimon Peres, alors ministre des Affaires étrangères. Soudain, un premier coup de feu retentit, suivi de deux autres. Yitzhak Rabin, un homme de paix, a été tué par un jeune militant sioniste d’extrême droite.

Il y a quelques semaines, le président du MR s’est rendu en Israël où il a pu visiter Yad Vashem en compagnie de David Leisterh, le président des libéraux bruxellois. “J’ai eu l’immense honneur de pouvoir déposer une gerbe de fleurs dans le cadre d’une cérémonie. Cette visite a été l’un des moments les plus émouvants de ma vie. Cela ne se raconte pas. Quand on sort de Yad Vashem, on achève la visite par le Mémorial des enfants : un lieu très sombre où des photos défilent, des visages, des noms. Quand on en sort, on ressent des choses que l’on ne peut pas expliquer.

guillement

La visite de Yad Vashem a été l’un des moments les plus émouvants de ma vie. Cela ne se raconte pas.« 

Georges-Louis Bouchez, président du MR, lors d'un hommage rendu aux victimes de la Shoah à Yad Vashem (Israël).
Georges-Louis Bouchez, président du MR, lors d’un hommage rendu aux victimes de la Shoah à Yad Vashem (Israël). ©D.R.

Shoah, nazisme…. Confronté au terrible XXe siècle, le président du MR n’accepte pas certaines expressions dans le débat politique actuel. “Je suis très sensible à ces fadaises dans lesquelles, à la moindre occasion, on est qualifié de fasciste et où les années 1930 sont invoquées avec inconséquence… Certaines évolutions contemporaines sont inquiétantes, c’est vrai, mais ces comparaisons sont bancales quand on connaît l’histoire. La charge de certains mots est trop lourde pour les banaliser. Cette dérive est liée une connaissance trop partielle de l’histoire européenne.

Georges-Louis Bouchez: « Je suis un être humain comme un autre, mais ce ne sont pas mes émotions qui comptent »

Pétain ou de Gaulle ?

En tant que mandataire politique, Georges-Louis Bouchez conclut l’entretien par une interrogation. Et si lui-même avait vécu durant les heures les plus sombres du siècle dernier, quelle aurait été son attitude ? “Quel aurait été mon niveau de courage à l’époque ? Si j’avais, par exemple, été responsable politique en 1939, me serais-je levé et serai-je allé à l’encontre d’une certaine intelligentsia, de mon parti politique ? On regarde l’histoire en en connaissant la fin, c’est facile. Par exemple, en France, dans la bourgeoisie, les gens “sérieux” soutenaient Pétain, le héros de la Première Guerre mondiale. À l’inverse, de Gaulle n’était pas encore considéré à sa juste valeur. À Londres, il prétendait représenter la France… Juste après la défaite, cela pouvait laisser sceptique. Cette interrogation m’inspire aujourd’hui dans des choix qui ne sont pas toujours simples. Même si les situations sont naturellement incomparables. Je me demande si, avec le recul, dans quelques années, on ne sera pas jugé durement pour nos choix du moment. Par exemple, en matière d’immigration, de justice, de sécurité… L’histoire de cette période terrible me donne des perspectives pour comprendre le moment présent.”

guillement

Quel aurait été mon niveau de courage à l’époque ? Si j’avais, par exemple, été responsable politique en 1939, me serais-je levé et serai-je allé à l’encontre d’une certaine intelligentsia, de mon parti politique ?«