Suisse

La Suisse avance à petits pas vers la justice universelle

Au Liberia, la population demandait que la justice internationale rende justice aux victimes de la guerre civile. Keystone / Ahmed Jallanzo

La Confédération a été accusée par le passé d’être lente dans la poursuite des crimes commis à l’étranger. La récente condamnation pour crimes contre l’humanité d’un ancien commandant militaire libérien ouvre la voie à d’autres procès de ce type.

Ce contenu a été publié le 11 juillet 2023




décision judiciaireLien externe réclamée par les parties civiles.  Pour appuyer leurs arguments, elles ont souligné que les crimes commis par le citoyen libérien faisaient partie d’attaques systématiques lancées contre la population civile et qu’ils ne pouvaient pas être considérés comme de «simples» crimes de guerre. Le MPC a finalement changé le chef d’accusation en appel à la suite d’une autre décision judiciaire du Tribunal pénal fédéral liée à l’assassinat en Suisse d’un opposant iranien en 1990.

La décision de cour d’appel fera date dans la jurisprudence suisse. «Concrètement, cela ouvre la voie à des poursuites pénales en Suisse pour des crimes contre l’humanité qui auraient été commis avant 2011», estime Alain Werner, directeur de l’ONG Civitas Maxima basée à Genève et spécialiste de droit pénal international.

«Je pense que pour les victimes, que nous représentons, cette peine signifie beaucoup. Le fait que les juges les aient crus et aient considéré l’accusation de crimes contre l’humanité démontre le caractère systématique des atrocités commises contre la population», poursuit-il. 

Rôle des ONG 

C’est Civitas Maxima, entre autres, qui a rendu possible la tenue du procès. Les ONG ont mené des enquêtes sur le terrain, recueilli des témoignages, contacté les victimes, déposé une plainte pénale. Elles peuvent enquêter sur le terrain et avoir accès à des sources difficilement accessibles aux procureurs.

«Cette affaire jette les bases juridiques pour poursuivre les auteurs des pires atrocités en Suisse, quel que soit le lieu où elles ont été commises. Les tribunaux appelés à statuer sur des cas similaires à l’avenir pourront donc s’appuyer sur cette décision», se réjouit Benoit Meystre, conseiller juridique de TRIAL International, une autre ONG impliquée dans des enquêtes similaires en cours en Suisse.

La récente décision a également été saluée par le MPC qui, par la voix de son porte-parole, a parlé d’une «décision importante pour les victimes qui ont fait des efforts considérables pour venir témoigner et confirmer que la Suisse est capable de poursuivre et de poursuivre des affaires de droit pénal international».  Le parquet fédéral se réjouit également que la question controversée des crimes contre l’humanité ait été tranchée sur le fond: «Cela est également important pour d’autres affaires menées par le MPC, qui pourraient s’appuyer sur cette décision à l’avenir», a-t-il déclaré.

Et les affaires ne manquent pas. Dès 2011 les cas s’accumulent dans les tribunaux suisses avec l’ouverture d’enquêtes diplomatiquement sensibles, comme celle contre l’ancien chef des forces armées algériennes, Khaled Nezzar.  

Plus délicate encore, l’enquête qui a touché en 2013 la raffinerie tessinoise Argor Heraeus pour l’or exploité en République démocratique du Congo. Un cas délicat impliquant l’une des entreprises les plus importantes au monde dans le secteur et qui a impliqué l’ancien conseiller fédéral Adolf Ogi, qui siégeait à l’époque au conseil d’administration. Après les perquisitions et l’ouverture d’une procédure pénale pour complicité pour crimes de guerre, l’enquête s’est terminée par une ordonnance de classement en mars 2015. Deux jours plus tard, Adolf Ogi quitte l’entreprise.  

D’une manière générale, le parquet fédéral ne s’est jamais montré propice à poursuivre des crimes qui amenaient avec eux des problèmes diplomatiques. Les moyens financiers et humains n’ont pas suivi les ambitions du MPC et les affaires sont souvent restées sans suite. La procureure de l’époque en charge des affaires de droit pénal international, Laurence Boillat s’est retrouvée limogée. En 2015 son mandat n’a pas été renouvelé.  

Les ONG ont, elles aussi, fortement critiqué la Suisse pour sa lenteur et la manière dont les enquêtes ont été menées. Deux commissaires spéciaux du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ont interrogéLien externe le Conseil fédéral sur «le  manque apparent de volonté politique de la Suisse d’enquêter sur les crimes internationaux» et ont  dénoncé «l’ingérence politique» notamment du Département des affaires étrangères qui, selon eux, a succombé aux pressions diplomatiques.

«En dix ans, nous n’avons abouti à la condamnation que d’une seule personne, Alieu Kosiah. Cela ne semble pas beaucoup. Il y a eu des problèmes d’organisation et les ressources consacrées à ces types de crimes étaient rares. En outre, le MPC lui-même a souvent refusé d’ouvrir des enquêtes ou a décidé de les clore prématurément, privilégiant une approche restrictive de toutes les questions juridiques», s’indigne Raphaël Jakob, défenseur d’une victime libérienne au procès Kosiah et impliqué dans d’autres procédures pour crime contre l’humanité et crime de guerre en Suisse.

Les critiques sont d’autant plus virulentes que le pays fait pâle figure par rapport à ses voisins européens tels la Suède ou l’Allemagne qui ont déjà jugé plusieurs procès du même type.

Fin 2021, un tribunal à Hambourg a condamné une Germano-Tunisienne membre de Daech pour appartenance à une organisation terroriste et pour acte d’esclave sexuel contre deux femmes de la minorité yazidie en Syrie.

En juillet 2022, la Suède a reconnu l’ex-procureur iranien Hamid Nouri coupable de «crimes aggravés contre le droit international» et de «meurtres» pour la mort de milliers de prisonniers politiques. Il s’agissait du premier procès d’un officiel iranien impliqué dans les purges de 1988.  

«Si vous regardez les efforts déployés par certains pays voisins dans la lutte contre l’impunité et les résultats concrets obtenus, vous vous rendez compte que la Confédération peut et doit faire mieux», déplore Benoit Meystre.

«Il est essentiel que la Suisse regagne du terrain dans la lutte contre l’impunité des crimes internationaux, et en particulier que davantage de moyens soient alloués aux unités de poursuite», poursuit-il. 

Un nouveau départ?

Pour les avocats et ONG, la décision rendue en juin est néanmoins un bon point de départ pour la suite.

SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative