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La Pologne gagne en influence, mais rate l’occasion de devenir un poids lourd de l’Union européenne

En février, le président américain Joe Biden s’est rendu à Varsovie et y a salué “le soutien vraiment extraordinaire” apporté par la Pologne à l’Ukraine, avec qui elle partage une frontière de 535km. L’État polonais a accueilli le plus grand nombre de réfugiés ukrainiens (plus de 10 millions y ont transité, 1,5 million y sont restés) et compte parmi les plus grands fournisseurs d’aide militaire à Kiev, lui ayant notamment livré, à lui seul, plus de 300 chars et véhicules blindés. La Pologne joue aussi un rôle stratégique dans les efforts occidentaux pour aider l’Ukraine, accueillant le “hub logistique” de l’acheminement de matériel militaire et humanitaire à Kiev. Tandis qu’au niveau politique, elle mène avec les pays baltes l’offensive pour durcir toujours plus la réponse de l’Union à la Russie.

Polish and Ukrainian soldiers are seen on a Leopard 2 A4 tank during a training at the Swietoszow Military Base in Swietoszow, western Poland on February 13, 2023. (Photo by Wojtek RADWANSKI / AFP)
Des soldats polonais et ukrainiens sont vus sur un char Leopard 2 A4 lors d’un entraînement à la base militaire de Swietoszow, dans l’ouest de la Pologne, le 13 février 2023. ©AFP or licensors

C’est donc forcément à Varsovie que le président ukrainien Zelensky a effectué sa première visite officielle d’État depuis le début du conflit, début avril, saluant la “fraternité” des Polonais. Selon un sondage paru en janvier, c’est d’ailleurs le président polonais Andrzej Duda qui jouit de la confiance de 87 % des Ukrainiens, suivi par Joe Biden (79 %) et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen (73 %).

Sur papier, la Pologne a tout pour briller

Dans l’UE, la Pologne, jadis perçue comme prisonnière du passé et paranoïaque par rapport à la Russie, est devenue celle à qui l’histoire a donné raison. Y compris sur “la menace de la relation gazière de l’Allemagne avec la Russie”, se félicite une source polonaise, en référence à la dépendance de Berlin au gaz russe, longtemps dénoncée par Varsovie. “Les Polonais ont gagné en crédibilité, en légitimité, on les écoute plus qu’avant”, note un diplomate européen, tandis qu’un autre reconnaît que “moralement, ils avaient tout bon” sur la question russe. “Cela vaut pour beaucoup de pays d’Europe orientale, y compris les Baltes, mais qui n’ont pas le poids démographique, militaire, économique, géographique, géopolitique de la Pologne”, ajoute une source européenne.

Peu après son adhésion à l’UE en 2004, la Pologne avait été pressentie pour venir jouer dans la cour des grands, aux côtés de la France et de l’Allemagne. “Elle a gagné en influence surtout sous les années Tusk”, rappelle une source européenne, en référence à celui qui fut Premier ministre du pays entre 2007 et 2014, avant d’être désigné président du Conseil européen – là encore une preuve du succès polonais. Du point de vue économique, le pays fait office de success story de l’élargissement, ayant connu une croissance continue (y compris pendant la crise financière de 2008) depuis qu’il a troqué, le premier, le communisme pour l’économie de marché. Cinquième Etat le plus peuplé (37 millions d’habitants) de l’Union, la Pologne est aussi l’un des rares membres européens de l’Otan à dédier plus de 2 % de son produit intérieur brut à sa défense et vise désormais les 3 %, preuve aussi de son fort attachement aux liens transatlantiques – d’où le rejet exprimé par M. Morawiecki de la vision française d’une Europe émancipée des Etats-Unis.

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Le moment aurait pu être décisif pour la place de la Pologne dans l’Union européenne

Cette fois, dans le contexte de la guerre en Ukraine, “le moment aurait pu être décisif pour la place de la Pologne dans l’UE”, affirme une source européenne. “L’histoire de l’Europe se joue à l’Est, ce qui place Varsovie au centre de la politique européenne”, constate l’expert Piotr Buras, dans une analyse pour le European Council on Foreign Relations (ECFR), tout en ajoutant qu’“être au centre n’équivaut pas à façonner l’agenda de l’UE”.

Le PiS freine la montée en puissance polonaise

Car aujourd’hui, comme à l’époque, “les Polonais sont passés à côté d’une grande opportunité pour devenir la troisième grosse ligne de force” de l’UE, “qui viendrait ancrer le rééquilibrage à l’Est”, remarque un diplomate européen. Et pour cause : le pays est toujours dirigé par les ultraconservateurs du parti Droit et Justice (PiS), ouvertement eurosceptiques et déterminés à détricoter l’état de droit et les valeurs européennes, quitte à défier l’UE. Leur arrivée au pouvoir en 2015 a mis fin à la montée en puissance de la Pologne sur la scène européenne, la muant plutôt en paria, aux côtés de la Hongrie. “De sujet, elle est redevenue objet, à savoir un dossier, un problème à traiter”, analyse une source européenne.

La Pologne marche dans les pas de Viktor Orban, l’Europe déchante

En 2021, la Cour constitutionnelle, à la botte du PiS, a renié la primauté du droit européen, principe élémentaire de l’UE, certains juristes parlant alors d’un “Polexit” de fait. La Commission européenne n’a eu d’autre choix que de geler 35 milliards d’euros de fonds de relance destinés à Varsovie, qui n’ont toujours pas été débloqués. Car le PiS rechigne à changer de cap et à revenir sur ses réformes controversées de la justice.

Or, “l’état de droit, c’est fondateur”, insiste un diplomate, pour expliquer qu’il ne peut y avoir de grand rôle politique pour une Pologne qui “n’accepte pas les règles du jeu européen”. Aussi, le pays se retrouve-t-il dans une position schizophrène : toujours associé à la Hongrie comme fauteurs de troubles sur l’état de droit, alors que cette dernière est bienveillante envers Moscou. “La position hongroise à l’égard de la Russie est difficile à accepter à bien des égards”, confirme un diplomate polonais.

La Pologne, trop donneuse de leçons ?

À cela, s’ajoute un style de négociation polonais parfois brutal, selon plusieurs sources de pays d’Europe occidentale, certaines parlant d’une “attitude puérile, pas digne d’un grand État membre”. Est visée ici la stratégie de la Pologne pour faire adopter des sanctions européennes sévères envers la Russie. “Le fait que d’autres nous considèrent comme extrêmement ambitieux en la matière ne nous pose aucun problème”, défend une source polonaise. Mais en coulisses, les tergiversations, les tentatives chantage de Varsovie pour obtenir gain de cause irritent.

Le sommet européen où personne ne savait vraiment pourquoi ça bloquait

Beaucoup de diplomates citent l’épisode du 10e paquet de sanctions contre Moscou, dont l’adoption a été retardée par la Pologne qui voulait absolument durcir l’embargo sur le caoutchouc synthétique russe. La pilule est d’autant plus mal passée que Varsovie est suspectée d’avoir voulu favoriser de sa propre industrie dans ce domaine. “Les Polonais se sont posés en garants de la morale. Et quiconque hésiterait à suivre leur ligne maximaliste est considéré comme un traître, alors qu’eux-mêmes défendent leurs intérêts nationaux”, s’indigne un diplomate, tandis qu’un autre pointe la méthode “plus fine, plus intelligente des États baltes pour pousser l’UE à faire plus”. De toute manière, estime une troisième source, les pays d’Europe centrale et orientale “ne sont que les hérauts de l’Ukraine. Ce sont en réalité les Ukrainiens, qui ont de l’influence dans le débat européen pour les soutenir.”

Last but not least, la Pologne présente aussi un handicap de leadership. Mateusz Morawiecki est perçu comme “falot”, parfois “menteur”, voire ridicule lorsqu’il plaide pour supprimer carrément le système (connu sous l’acronyme ETS) qui impose un plafond d’émissions aux secteurs très émetteurs de CO2. “Il n’a pas le poids ou l’envergure d’un grand dirigeant”, mais surtout, “il n’est pas le vrai maître de la Pologne”, note un insider. C’est en effet Jaroslaw Kaczynski qui tire les ficelles du PiS – dont il est le chef de parti – et donc du pouvoir.

Prévues en septembre, les élections législatives, où les partis pro-européens espèrent mettre fin au règne du PiS, détermineront donc aussi la place que la Pologne pourra ou pas prendre dans une Union européenne en pleine mutation géopolitique.