France

Mariage pour tous : François Hollande « regrette profondément » de ne pas avoir fait voter la PMA pour toutes

C’est peut-être le principal souvenir positif du mandat présidentiel de François Hollande. À l’occasion des dix ans du vote de la loi sur le mariage pour toutes et tous, l’ancien président de la République revient pour 20 Minutes sur cette période. Comme sur d’autres dossiers, il lui est fait des reproches sur la gestion politique de l’affaire, François Hollande le sait très bien et anticipe aisément les griefs. Il exprime des regrets sur la PMA pour toutes, finalement pas votée pendant son mandat : une attitude suffisamment rare pour être soulignée chez celui à qui ses contempteurs reprochent de trop peu faire l’autocritique de son mandat.

C’est quoi votre souvenir de cette période ?

Le plus heureux, c’était quand l’Assemblée nationale a voté définitivement le texte et que le mariage s’est inscrit, que j’ai pu avoir la responsabilité de promulguer la loi qui a instauré le mariage pour tous et l’adoption. Il y a eu des instants plus difficiles au cours des mois de février et mars avec les incidents nombreux au Parlement. Car il y a eu des obstructions très rudes, des déclarations très brutales, des interpellations inadmissibles, des attaques contre la ministre Taubira… Et dans la rue, des propos homophobes dont on pouvait penser qu’ils n’avaient plus cours. Mais ce qui était plus grave encore, c’était les actes quasiment quotidiens dans la rue et qui mettaient en cause l’intégrité physique des personnes LGBT. Convenons que peu avaient imaginé que ça prenne cette gravité.

Aviez-vous anticipé une telle opposition ?

Je m’attendais, contrairement à beaucoup, à ce qu’il y ait une contestation, comme pour le Pacs. Sauf que cela a pris une autre dimension qui, effectivement, était plutôt inattendue. C’est-à-dire une mobilisation avec des moyens financiers considérables, grâce aussi à l’intervention de l’Église catholique, directement et des cultes en général. Avec une présence d’élus plus souvent de droite et la participation d’un nombre élevé de nos concitoyens qui étaient investis dans cette bataille. Enfin, j’avais moi-même sous-estimé ce qu’allait être l’importance des réseaux sociaux dans cette histoire. On était dans des mobilisations réactionnaires et traditionalistes avec des moyens technologiques qui étaient puissants et modernes. On l’a vu après dans d’autres contestations.

Le mariage pour toutes et tous est une revendication de longue date du mouvement LGBT et dans votre programme en 2012. Vous étiez un convaincu ?

Oui, je m’étais convaincu au moment du Pacs déjà. Je raconte souvent cette anecdote : il y avait eu un incident de séance au moment du débat et donc il avait fallu, en tant que premier secrétaire du PS, reprendre le dialogue avec toutes les associations. Et puis deux femmes membres d’associations de familles LGBT étaient venues me voir en me disant : « Vous voyez, nous, on est deux femmes, on vit ensemble, on a élevé nos enfants… » Et comme pour me « provoquer », elles m’ont dit : « Aucun n’est homosexuel. » C’était pour me dire : « N’ayez peur de rien. Soyez conscients qu’on éduque nos enfants parce qu’on les aime. » Je n’avais pas besoin d’être convaincu, mais ça n’a fait que renforcer son sentiment qu’il était nécessaire d’avancer plus vite. En réalité, ce texte était dans l’intérêt des couples, mais il était aussi dans l’intérêt des enfants. Il était dans l’intérêt de toutes les familles.

Dans le programme de 2012, il y avait aussi la PMA pour toutes…

Non, il n’y avait pas cette proposition. Ce n’était pas dans les 60 engagements. J’avais néanmoins donné une interview à Têtu et ils m’avaient posé la question de savoir si j’étais favorable ou pas à la PMA pour toutes. J’ai dit que j’étais favorable et que je ferais tout pour qu’il puisse éventuellement y avoir ce texte. Il ne pouvait pas être mis dans le texte sur le mariage pour des raisons juridiques et même politiques, mais il y avait un projet de loi famille dans lequel, effectivement, la PMA pour toutes pouvait trouver sa place.

Mais compte tenu de ce qui s’était déjà produit, nous nous sommes dit avec Jean-Marc Ayrault qu’il fallait laisser un peu de temps pour reprendre le moment venu la discussion. Mais je regrette profondément qu’il n’ait pas été possible de le faire voter avant la fin du mandat car je sais ce que ça a représenté pour beaucoup de femmes qui attendaient depuis longtemps de pouvoir disposer de la PMA. J’espérais qu’après moi ça se fasse vite, mais hélas, il a fallu encore attendre cinq ans.

Dans une récente interview à Mediapart, votre ancienne ministre déléguée à la Famille, Dominique Bertinotti, dit que la PMA pour toutes, vous n’en vouliez pas ?

Non, ce n’est pas vrai, j’y ai toujours été favorable. Elle souhaitait que cette avancée s’intègre dans le projet de loi sur la famille qui se préparait. Mais le risque c’était de prolonger une séquence qui avait déjà été très douloureuse. D’autant que le reproche nous était fait de faire trop réformes sociétales et pas de réformes sociales. Comme si on voulait susciter une confrontation et entretenir une querelle.

Ça vous paraissait justifié comme reproche ?

Ça me paraissait être une querelle assez vaine parce que le sociétal est social. Quand on reconnaît le droit au mariage et à l’adoption, on règle des problèmes sociaux. Et quand on améliore la situation sociale des familles, qu’elles soient homosexuelles ou qu’elles soient hétérosexuelles, on règle une question sociétale. Et c’est une question sociale aussi, le droit à la PMA pour toutes. Puisque quand on ne reconnaît pas le droit, les femmes qui n’ont pas d’argent sont privées d’enfants alors que celles qui en ont un peu plus vont à l’étranger.

Il y a un point qui vous a été reproché pendant cette période, c’est…

Les maires !

Voilà ! Vous aviez parlé de « liberté de conscience » au congrès des maires, vous êtes vite revenu sur cette formule…

Oui, parce qu’il y avait des maires qui disaient : « Je ne ferai jamais de mariage. » Donc je vais au congrès des maires, je dis qu’on ne va pas envoyer la force publique pour contraindre les maires à organiser une cérémonie, mais que toute commune sera obligée d’avoir un officier d’État civil. Si ce n’est pas le maire, ça sera son adjoint. Si ce n’est pas l’adjoint, ça sera le conseiller municipal. Je reconnais que cette formule n’était pas heureuse au sens où ça laissait penser que chacun pouvait ne pas appliquer la loi, comme un médecin par rapport à un IVG.

Est-ce que ça n’a pas ouvert une brèche dans laquelle se sont mis les opposants ?

La contestation dans la rue prenait des formes qui devenaient de plus en plus inquiétantes parce qu’il y avait une contestation de légitimité en réalité. Ça nous a coûté parce que je ne pouvais pas me déplacer sans qu’il y ait des gens qui agitent des drapeaux, il y avait des interruptions de cérémonie publique… Ça a duré longtemps. Devant l’obstruction parlementaire d’un côté et cette brutalité qu’on relevait dans certaines manifestations, j’ai demandé à accélérer l’adoption du texte… Sans avoir besoin de recourir au 49.3 ! Certains me disent aujourd’hui que j’aurai dû ! Si on l’avait fait, on aurait rendu un mauvais service au mariage, au prétexte de lutter contre l’obstruction.

Effectivement les opposants au mariage pour toutes et tous vous ont longtemps poursuivi dans vos déplacements, ça a été un peu votre « sparadrap du capitaine Haddock »… La contestation de la réforme des retraites peut-elle être la même chose pour votre successeur ?

Je préfère avoir le sparadrap du mariage que celui des retraites ! C’est un texte qui n’a rien enlevé à personne et qui a donné des libertés nouvelles à beaucoup. Je n’ai jamais été interpellé dans la rue depuis que je ne suis plus président par des gens hostiles au mariage. En revanche, j’ai été souvent remercié pour la loi.

Il semble que pour parler du legs de votre mandat, ce qui revient le plus souvent, c’est le mariage pour toutes et tous. Cela vous satisfait ? Ou est-ce injuste ?

Chaque mandat présidentiel est marqué par une grande loi de liberté ou de société. C’est à la fois une reconnaissance et une injustice. La loi sur l’IVG, celle sur l’abolition de la peine de mort, marquent un progrès dans la dignité humaine. Et pour ce qui me concerne, c’est le mariage pour tous. C’est vrai que c’est une reconnaissance, parce que c’est une loi qui symbolise un progrès. Mais c’est aussi d’une certaine façon une injustice parce qu’il y a d’autres textes qui ont changé la vie des gens comme sur la retraite à 60 ans pour ceux qui avaient 42 ans de cotisation, sur les complémentaires santé… Mais c’est comme ça. Tant mieux s’il y a des lois qui illustrent ce qu’a été un mandat.