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Ligue 1 : Pourquoi y a-t-il autant de buteurs prolifiques cette saison ?

Vous vous souvenez du (pas) bon vieux temps où l’on se moquait d’une Ligue 1 aussi excitante qu’un avis d’imposition, avec des 0-0 à gogo et des attaquants cacochymes ? Au cœur des années 2000, le championnat tournait péniblement à une moyenne de deux buts par match et en 2006-2007, Pauleta finissait « pichichi » avec 15 petits pions, un record d’indigence.

L’inflation a parfois du bon, puisque cette saison après 31 journées, feue la « Farmers League » affiche fièrement 2,83 buts par rencontre, et neuf joueurs ont déjà atteint ou dépassé la barre des 15 réalisations. Du jamais vu depuis l’ère Giscard, plus précisément depuis 1977-1978, selon Opta : neuf également à ce stade, 13 en fin de championnat avec Carlos Bianchi (PSG, 37), Delio Onnis (Monaco, 29) et Nenad Bjekovic (Nice, 29) en tête.

La Ligue 1 qu'on aime.
La Ligue 1 qu’on aime. – Sofascore / 20 Minutes

« Il y a des phénomènes, comme Onnis, souligne Guy Lacombe, l’ancien entraîneur de Rennes et du PSG qui a évolué au côté du meilleur buteur de l’histoire de la première division (299 réalisations) à Tours. Quand vous avez des joueurs comme ça, vous savez qu’à tout moment ils peuvent vous débloquer une situation, et vous jouez pour eux. Regardez aujourd’hui : un PSG avec ou sans Mbappé, ce n’est pas la même équipe. »

La surprise Balogun

La « Ligue des talents » n’est donc pas qu’un simple slogan pondu par les créatifs de la LFP, ce que confirme Alain Casanova. « Il y a une concentration de talents qu’on n’avait pas eue depuis des années », juge l’ancien technicien du TFC et de Lens, qui a notamment lancé la machine Wissam Ben Yedder dans le grand bain.

« Beaucoup d’équipes ont un projet de jeu offensif et elles s’appuient souvent sur un buteur qui fait la différence, alors qu’il y a encore quelques années elles se reposaient plutôt sur trois ou quatre joueurs, ajoute-t-il. Bon, Paris est une exception. On s’attend à ce que Mbappé et Messi mettent 20 ou 25 buts, et encore Neymar est absent. La régularité de Wissam depuis des années est exceptionnelle. Je suis plus surpris par Balogun [prêté par Arsenal à Reims], que personne n’attendait à ce niveau. »

Une nouvelle génération d’entraîneurs plus offensive

Alexandre Lacazette est revenu au bercail lyonnais comme si de rien n’était, après un exil de cinq ans à Arsenal, alors que le Canadien Jonathan David a depuis bien longtemps fait oublier les vannes à base de duo des années 1980 qui ont entouré ses débuts dans le Nord, en 2020.

Comme Lacombe et Casanova, l’ancien attaquant Frédéric Piquionne témoigne de la qualité individuelle de ses héritiers. Il insiste aussi sur l’esprit audacieux d’une nouvelle génération d’entraîneurs (Haise, Still, Digard, Le Bris…). « Le jeu est bien plus ouvert, souligne le consultant sur Prime Video. Les systèmes avec une défense à trois débouchent sur plus de buts et permettent à l’attaquant axial, voire aux attaquants de côté, d’être plus performants. Les blocs médians ou bas n’existent quasiment plus. »

De là à parler de « jogo bonito » de Brest à Ajaccio, il y a un pas que l’on va éviter de franchir. Mais c’est un fait : la philosophie de jeu a changé, et ça vient de loin selon Guy Lacombe, bien placé au moment d’évoquer le sujet, puisqu’il a encadré la formation des entraîneurs à la FFF. « J’avais remarqué qu’on s’attachait beaucoup à l’exercice qu’on était en train de faire, mais qu’on banalisait la finition, ce qui était bizarre. Aujourd’hui, tout le monde a pris conscience de ça. On met de plus en plus de monde dans la surface adverse pour terminer l’action, comme Lens le fait par exemple. »

La France domine l'Europe.
La France domine l’Europe. – Sofascore / 20 Minutes

Cette saison, la Ligue 1 surclasse même ses plus prestigieux concurrents européens. En Premier League, « seuls » cinq joueurs, l’ultraterrestre Haaland en tête (32 buts) ont sauté la barre des 15 buts, contre un seul en Serie A (Osimhen, 21), en Liga (Lewandowski, 17) et en Bundesliga (Füllkrug, 17).

Cependant, ce n’est pas ça qui va faire grimper notre indice UEFA, et cette statistique flatteuse cache peut-être une vérité qui l’est moins, comme l’avance Casanova. « Si certains attaquants qui évoluent en Angleterre ou en Italie étaient dans notre championnat, est-ce qu’ils ne feraient pas partie des joueurs à plus de 15 buts ? A Arsenal, Balogun ne jouerait sûrement pas. » L’ex-entraîneur du TFC, après une carrière de gardien de but, aurait aussi tendance à penser que le niveau général des portiers et des défenses en France « a déjà été plus élevé ».

Un changement de mentalités

« Mais quels que soient le gardien ou les défenseurs en face, Messi, Mbappé ou Wissam [Ben Yedder] seront toujours aussi efficaces », nuance-t-il immédiatement. Une question de talents toujours, que la France arrive à former ou à importer grâce à son important vivier et à des recrutements soit malins, soit sans frein (le PSG, au hasard), afin de compenser l’exode d’un Randal Kolo Muani hier, et d’un Jonathan David demain.

Frédéric Piquionne avance un argument supplémentaire pour expliquer cette floraison de buteurs prolifiques : « Dans le football moderne, il faut des stats, c’est-à-dire, pour un attaquant, des passes décisives et des buts, observe le globe-trotter des années 2000 et 2010. Avec le prix des transferts et l’inflation des salaires, les joueurs en ont pris conscience. Sans stat, tu restes à un salaire normal. Les attaquants sont devenus beaucoup plus tueurs, beaucoup plus égoïstes. »

Selon Piquionne, les fameuses datas auraient changé la nature du foot et de ses pratiquants, même si elles ne sont pas apparues hier matin dans le paysage. « Oui, elles étaient là, mais on voyait aussi ce que le joueur pouvait apporter à côté : aider le bloc à remonter, le jeu dos au but, les déviations de la tête, les courses de replacement ou pour faire le pressing. Parfois, avec tous ces efforts, je manquais de lucidité devant le but. »

Pour s’en tenir aux stars parisiennes actuelles (mais pas seulement), il est certain que le travail de repli ne les concerne que de loin. Ce qui est autant de jus économisé au moment de conclure et de faire gonfler les statistiques.