France

Alimentation : Mais pourquoi donc les Français boudent-ils les légumineuses ?

Dans le sport, on qualifie de « sous-coté » un joueur pas reconnu à sa juste valeur et n’ayant pas la faveur du public malgré son apport sur le terrain. S’il fallait transposer ce qualificatif à l’alimentation, on pencherait tout naturellement vers les légumineuses. Pois chiches, haricots rouges ou blancs, lentilles, pois cassés : ces légumes secs semblent cocher de nombreuses cases, a fortiori en période d’inflation. Imaginez un produit pas cher – on parle de conserve de 250 grammes égouttés à moins d’un euro dans n’importe quel supermarché, bourré de protéines ET de bons glucides – donc rassasiant. S’ajoute une valeur calorique loin d’exploser le plafond, et souvent avec un max de fer, de fibres et compagnies. 

Dit comme ça, le produit a tout pour plaire. Mais, alors qu’elles étaient promises à être le Mbappé des paniers de courses, les légumineuses en sont le Giroud : souvent boudés et dont l’apport réel n’est apprécié que par certains puristes. La France mange deux fois moins de légumineuses que la moyenne européenne, quatre fois moins que la moyenne mondiale, et sa propre consommation a été divisée par quatre en vingt ans, selon les chiffres du gouvernement. Pourquoi tant de désamour ?

Le prix, allié et ennemi 

L’un des points forts des légumineuses demeure son point faible : le prix. « Pendant longtemps, ces aliments ont eu l’image du produit pour les précaires n’ayant pas les capacités de s’acheter de la viande », estime Marie-Eve Laporte, enseignante-chercheuse à l’IAE Paris-Sorbonne et spécialiste de l’évolution du comportement alimentaire. 

Autre pensée courante, « le produit ne fait pas vraiment rêver dans la tête des gens ». Les déjeuners un peu fades à la cantine, à base de flageolets ou de lentilles, sont passés par là. Et puisqu’on est dans les idées qui ont la vie dure, allons-y gaiement. Cassoulet, pois chiches… Vous voyez où on veut en venir ? « Les légumineuses sont réputées pour poser des problèmes de digestion, ce qui leur fait mauvaise presse », abonde Clémentine Hugol-Gential, professeure et spécialiste des enjeux contemporains de l’alimentation à l’université de Bourgogne. 

Autre grief évoqué par l’experte, le temps de préparation : idéalement, les légumineuses doivent être égouttées entre une demi-heure et 48 heures avant cuisson, « demandant donc une planification, ce que la plupart des Français n’aiment pas, préférant organiser les repas à l’improviste. » Selon une étude* du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), les Français consommant peu ou pas de légumineuses invoquent en premier lieu (36 % des réponses) le temps de préparation.

Mais que faire des légumineuses ?

Plus qu’un boudage en règle, les légumineuses seraient donc un angle mort de la cuisine. « Dans l’imaginaire collectif, le modèle du repas idéal se décompose souvent comme ceci : légumes, viande, féculent, voire un dessert et un fruit », énumère Marie-Eve Laporte. Où caser les légumes secs là-dedans ? Ces ingrédients pâtissent de leur polyvalence : pas vraiment des légumes, pas vraiment des féculents, et pas non plus de la pure protéine, « le Français peine à voir quoi remplacer dans son assiette ». Encore selon le Credoc, 34 % des personnes ne consommant que peu de légumineuses disent ne pas savoir comment les cuisiner. Au contraire d’autres cuisines, notamment celles d’Amérique du Sud et d’Asie, où elles ont leur place dans de nombreux plats traditionnels. 

D’autant que certains aliments sont inamovibles dans les assiettes françaises . Selon une étude de Statista de 2021, 80 % des Français mangent des pâtes régulièrement, battus uniquement par les Italiens (83 %). Autre grande star des assiettes, la pomme de terre, à coups de 50 kilos annuels par Français. Deux féculents que pourraient facilement remplacer les légumineuses – consommé à seulement 1,8 kilo par an et par Français, selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. 

La remontada des légumes secs

Mais peu à peu, les esprits évoluent. Fini l’idée d’une nourriture trop « petites gens » ; avec l’inflation, le prix redevient le critère numéro un d’achat. « D’autant que, avec le tarif de la viande, ou la volonté d’en réduire sa consommation, les protéines des légumineuses deviennent très intéressantes », développe Clémentine Hugol-Gential. Pour reprendre notre boîte de conserve de 250 grammes, avec un taux moyen de 8 grammes de protéines pour 100 grammes de légumineuse, on obtient 20 grammes de protéines à moins d’un euro. Difficile de trouver moins cher sur le marché. 

Loin de cette image de nourriture réservés aux pauvres, le produit est au contraire plébiscité chez les hauts salaires : 54 % des bac+2 et plus en mangent au moins une fois par semaine, contre 39 % des non-diplômés, selon l’étude du Crédoc. 

Veni vidi healthy

Au-delà de la crise du pouvoir d’achat, les légumineuses surfent sur une autre tendance : le healthy. A côté du riz basmati, de l’avocat, du skyr et autres ingrédients stars, elles se font petit à petit une place dans les conseils nutritionnels des influenceurs fitness et muscu, Sissy Mua et Tibo InShape en tête. Là encore une question de protéines, mais aussi de fibres et de calories relativement faibles, tout ce qu’on cherche lorsqu’on veut perdre du poids.

Et pour sauver pois chiches et autres lentilles de la relégation, il n’y a pas que Sissy et Tibo. Le gouvernement français a notamment lancé le plan Stratégie nationale sur les protéines végétales en 2021. Depuis deux ans, plus de 100 millions d’euros ont été dégainés pour financer les investissements d’adaptation de matériel et pour l’accompagnement des agriculteurs, mais aussi pour la promotion des protéines végétales dans l’alimentation. « Une stratégie européenne des protéines sera lancée au premier trimestre 2024 », a également annoncé le commissaire européen à l’Agriculture, Janusz Wojciechowski, la semaine dernière. De quoi refaire peut-être des légumineuses des titulaires en puissance.