Belgique

Paul Magnette: ”La suppression du statut de cohabitant sera une priorité pour le PS lors de la prochaine législature”

Le féminisme et le socialisme sont étroitement liés. Mais, ces dernières années, ce combat n’a-t-il pas été récupéré par Écolo ?

La première députée élue était socialiste, la première sénatrice aussi. Pour nous, c’est un combat historique : le droit à disposer de son corps, la dépénalisation de l’IVG, les luttes sociales, les grandes grèves des femmes à la FN Herstal… On continue à porter ce combat. Il y a, effectivement, une nouvelle vague féministe qui arrive. Je la vis comme père car j’ai deux filles âgées de 20 et 23 ans. Cela me fait plaisir de voir qu’elles et leurs amies ne supportent plus la moindre discrimination subie par les femmes. Cette forte attente d’égalité s’ajoute aux réactions légitimes et puissantes contre les comportements incorrects, le harcèlement, les abus.

Le congrès de ce week-end a-t-il pour but de remettre le PS “à la page” face à la montée de ce nouveau féminisme ?

On a réalisé beaucoup d’avancées ces dernières années. Mais il faut poursuivre car les inégalités se déplacent. Ce week-end, nous mettrons en évidence des choses dont on parle moins. Notamment, la neutralité de l’espace public en termes de genre. Par exemple, les investissements réalisés en infrastructures sportives vont être monopolisés à 85 % par des sports exercés surtout par des hommes. Je pense au football qui, historiquement, est très masculin. Autre thème : l’aménagement des espaces publics. Par le passé, on ne tenait pas compte du sentiment d’insécurité qui peut être différent selon qu’on est un homme ou une femme.

guillement

Les investissements réalisés en infrastructures sportives vont être monopolisés à 85 % par des sports exercés surtout par des hommes.« 

Le PS insiste également sur les inégalités sociales qui persistent.

L’accès à la santé est inégal entre hommes et femmes : 44 % des hommes ont dû renoncer à un soin, tandis que ce taux monte à 51 % chez les femmes. Certaines maladies sont particulières aux femmes (endométriose, syndrome des ovaires polykystiques…). En matière de contraception, ce sont les femmes qui portent encore aujourd’hui l’essentiel de la charge. Je pense aussi à la précarité menstruelle. Lors du congrès, on évoquera aussi l’écoféminisme : la question de l’accès aux ressources environnementales et l’exposition aux pollutions touchent directement les femmes. Enfin, une femme sur cinq travaille dans les métiers du care, du soin : aide à domicile, santé, maisons de repos… Dans ces métiers, les conditions de travail restent difficiles. Le projet que le PS présentera aux prochaines élections doit être nourri d’un nouvel agenda féministe.

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Le projet que le PS présentera aux prochaines élections doit être nourri d’un nouvel agenda féministe.« 

Quelle sera votre grande priorité pour la prochaine législature ?

La fin du statut de cohabitant (ce statut limite les allocations pour des personnes vivant sous le même toit, ce qui pénalise particulièrement les femmes, NdlR). Il a été mis en place à la fin des années 70 dans un contexte où les structures familiales dans la société étaient très différentes. Désormais, ce statut est totalement inadapté. Il existe de très nombreuses familles monoparentales. Et des familles peuvent être poussées à la séparation en raison des discriminations que subit le “cohabitant”. Cela génère un marché de faux appartements, de boîtes aux lettres, visant, par des domiciliations différentes, à récupérer des moyens. Ce statut provoque aussi parfois des tensions dans le couple, cela provoque une situation de dépendance du conjoint qui est souvent une conjointe… Il n’y a que des inconvénients. On a fait des avancées dans l’individualisation des droits sociaux mais la suppression du statut de cohabitant sera l’une des priorités du PS.

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Dans la nouvelle vague féministe, on trouve la notion d’intersectionnalité. Cela vise à tenir compte de couches supplémentaires de discriminations : être une femme d’origine étrangère, “racisée”, est une double peine. Le PS adhère-t-il au féminisme intersectionnel ?

Tout à fait. On en fait tout un bazar mais, l’intersectionnalité, c’est simplement comprendre que des personnes cumulent différentes formes d’inégalités : lorsqu’on est une femme d’origine étrangère et en situation de handicap, oui, il y a plus d’obstacles.

La critique vient des “universalistes”, de droite comme de gauche : cette approche intersectionnelle diviserait la société en petits groupes identitaires intolérants et hermétiques.

Le PS est totalement universaliste. Je suis très attentif à cela. Je vois toutes ces polémiques. Une certaine droite les utilise. Ce n’est pas un hasard si le seul livre que Bart De Wever a commis ces dernières années concerne le “wokisme”… Ce phénomène n’existe quasiment pas en Belgique. Cela existe, c’est vrai, aux États-Unis, au Canada, un peu en France dans le monde universitaire. Je ne rentre pas dans ce débat. Le combat pour les femmes est un combat universel par essence : on se bat pour la moitié – et même un peu plus – de la population.

Le rapport interuniversitaire sur l’IVG est sorti il y a quelques semaines. Il recommande notamment de porter le délai pour un avortement de 12 à 18 semaines au moins. Pour le CD&V, l’un des partis de la majorité fédérale, le sujet est délicat. Va-t-il accepter de mettre en œuvre le résultat de ce rapport sous cette législature ?

Le rapport, qui est remarquable, fait des recommandations très claires sur la dépénalisation, le nombre de semaines avant l’IVG, le délai d’attente… J’attends qu’on en reparle au parlement. J’ai eu des discussions avec Sammy Mahdi (président du CD&V). Je ne veux pas les dévoiler car cela compliquerait les négociations. Mais des avancées sont tout à fait possibles.

Paul Magnette est un homme politique belge francophone membre du Parti socialiste, né le 28 juin 1971 à Louvain. Il grandit à Charleroi puis étudie la science politique à l'université libre de Bruxelles. Il y obtient une licence en 1993, et présente avec succès une thèse de doctorat six ans plus tard
Paul Magnette dans un bureau du quartier général du PS à Bruxelles, situé au boulevard de l’Empereur. ©cameriere ennio

”Si les libéraux ne veulent pas faire de réforme fiscale, le gouvernement sera en état de mort clinique en juin”

La politique est-elle un monde d’hommes ? Trop masculine et faite de rapports de force ?

Dans Le Prince, Machiavel écrivait que le personnage le plus illustrant de la puissance princière est Catherine Sforza (dont la très forte personnalité inspira l’idéal féminin de la renaissance italienne, NdlR). L’autorité peut très bien être féminine. Mais la politique reste un monde macho, oui. Karine Lalieux (ministre fédérale des Pensions, PS) vient de passer cinq jours en conclave budgétaire et elle a subi des violences verbales et morales qu’elle n’aurait pas subies si elle n’avait pas été une femme. Je pense aussi aux attaques de Ducarme ou de Francken contre Ludivine Dedonder (PS). Cela gène certains qu’une femme soit ministre de la Défense.

guillement

Karine Lalieux vient de passer cinq jours en conclave budgétaire et elle a subi des violences verbales et morales qu’elle n’aurait pas subies si elle n’avait pas été une femme.« 

Lors du récent ajustement budgétaire, le PS a accepté une moindre augmentation de la pension minimale. Le PTB vous reproche d’avoir trahi la cause sociale.

Le PS fait attention à l’équilibre de comptes publics car il permet de protéger les services publics et la sécurité sociale. Nous avions accepté de réaliser une partie des efforts lors de cet ajustement afin d’éviter un effort infiniment plus dur plus tard. On a réduit les dépenses et on a obtenu de nouvelles recettes de manière équilibrée. En recettes, on taxe davantage les multinationales, on a un meilleur rendement de l’impôt des sociétés, on a réduit le système “zéro cotisation”…. Certains postes étaient pour nous intouchables : par exemple, le revenu de remplacement des personnes en situation de handicap.

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Êtes-vous satisfait de l’accord ?

L’accord est équilibré dans le cadre d’un gouvernement qui allie gauche et droite. Si le PS avait été seul au pouvoir, nous n’aurions cherché que des nouvelles recettes sans toucher aux revenus du travail. Il y a de la marge dans la spéculation, dans la lutte contre la fraude fiscale, chez les plus hauts revenus… On verra bien le contenu de la réforme fiscale qui devra avoir lieu cet été.

Les libéraux n’ont pas envie d’une réforme fiscale sous cette législature. L’accord de gouvernement n’en prévoit pas l’obligation.

C’est vrai. Mais il n’y avait pas non plus d’obligation de faire un ajustement budgétaire… Le PS l’a pourtant accepté. Si les libéraux ne veulent pas faire de réforme fiscale, le gouvernement sera en état de mort clinique en juin.

guillement

Alexander De Croo se fait souvent le porte-parole de l’aile droite du gouvernement.« 

Alexander De Croo a-t-il récemment durci le ton à l’égard de l’aile gauche de la Vivaldi ? Certains le pensent.

Je n’ai pas remarqué : il a toujours été de droite. Il se fait souvent le porte-parole de l’aile droite du gouvernement, il ne se comporte pas toujours comme un Premier ministre au-dessus de la mêlée. On l’a vu encore récemment dans le dossier Delhaize. Quand j’ai négocié l’accord de gouvernement avec lui, c’était déjà comme cela. Nous sommes très souvent en opposition frontale mais c’est le propre des gouvernements transpartisans.

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”Le PTB a inventé un nouveau concept : le poujadisme de gauche…”

Par ses positions douteuses sur l’Ukraine, sur les Ouïghours, par ses attaques populistes, le PTB s’est-il mis hors jeu comme partenaire possible du PS dans un gouvernement ?

Le PTB a inventé un nouveau concept : le poujadisme de gauche… Ce parti n’a pas vocation à exercer des responsabilités. Jamais. Le PTB n’en est pas capable. Et les voix qui vont au PTB renforcent mécaniquement le MR. Si j’en crois les sondages, le MR pourrait être incontournable en Wallonie. C’est à nous de convaincre les gens de voter pour une gauche qui prend ses responsabilités. Sinon, ils auront un gouvernement de droite…