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La Suisse doit choisir entre l’OTAN et la condamnation de la bombe nucléaire

La Suisse veut resserrer ses liens avec l’alliance de défense des pays occidentaux. Mais ce rapprochement a un prix. Tour d’horizon des enjeux. Keystone / Lukas Lehmann

La Suisse veut resserrer ses liens avec l’alliance de défense des pays occidentaux. Ce rapprochement a un prix. Berne est sommée de renoncer au traité d’interdiction des armes nucléaires. Tour d’horizon des enjeux.

Ce contenu a été publié le 19 avril 2023




Le TempsLien externe, Jens Stoltenberg aurait demandé à Viola Amherd de ne pas ratifier le traité d’interdiction des armes nucléaires (Treaty on the prohibition of nuclear weapons, TPNW). 

Selon le même journal, outre l’OTAN, les puissances nucléaires que sont les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne feraient pression sur la Suisse pour qu’elle renonce à adhérer au traité. Cet accord a été négocié en 2017 par 122 États. À ce jour, 92 États l’ont signé et 68 l’ont ratifié. Toutes les puissances nucléaires avaient combattu le projet, y compris l’OTAN, qui se définit comme une «alliance nucléaire». Ces tensions mettent à nouveau le monde politique helvétique dans une situation difficile. Tour d’horizon.

Que dit le traité d’interdiction des armes nucléaires?

Le TPNW déclare les armes nucléaires illégales. Son objectif à long terme est le désarmement progressif, jusqu’à un monde sans armes nucléaires. C’était également le but du Traité de non-prolifération nucléaire de 1970, initié par les puissances nucléaires (États-Unis, France, Grande-Bretagne, Chine, Union soviétique). L’objectif reste loin d’être atteint.

La lenteur de la mise en œuvre du désarmement nucléaire a conduit à la négociation du TPNW. Dans un premier temps, la Suisse a approuvé le traité. Un an plus tard, le Conseil fédéral a toutefois décidé de renoncer à la signature pour des raisons de politique de sécurité. Ironie du sort, c’est la Suisse qui, lors d’une conférence d’examen du Traité de non-prolifération nucléaire en 2010, a lancéLien externe le processus qui a finalement abouti au TPNW.

Comment la Suisse coopère-t-elle avec l’OTAN?

L’invasion russe de l’Ukraine a ébranlé les fondements de l’architecture de sécurité européenne. Peu de temps auparavant, l’OTAN était encore considérée comme «en état de mort cérébrale» (Emmanuel Macron). Depuis le début du conflit, le club a grimpé à 31 États avec la Finlande, nouveau membre. La Suède, autrefois neutre, attend également d’être admise.

La Suisse, en revanche, continue d’exclure une adhésion à l’OTAN. Mais elle souhaite un rapprochement. Depuis 1996, le pays est partenaire de l’OTAN par le biais du Partenariat pour la paixLien externe. Cette entente permet de pratiquer la coopération militaire, ainsi que d’échanger des informations et des expériences. Aucune obligation juridique ou automatisme n’est toutefois prévu. Et surtout pas d’obligation d’assistance, un point qui constitue le cœur de l’appartenance à l’OTAN.

Depuis peu, de nouvelles possibilités deviennent imaginables, comme la participation de l’armée suisse à des exercices de l’OTAN, ainsi qu’une collaboration approfondie dans le domaine de la cybersécurité ou de la protection de la population. L’objectifLien externe serait d’élaborer d’ici l’été un accord individuel de partenariat et de coopération (ITPP), un nouvel instrument de l’OTAN pour la coopération avec les États partenaires.

On ne sait toutefois pas à quelle vitesse – ni même si – le rapprochement pourra avoir lieu. La Suisse ne jouit pas, pour l’instant, d’une très bonne réputation au sein de l’alliance. Ainsi, peu après la rencontre à Bruxelles, Jens Stoltenberg a déclaréLien externe: «Plusieurs alliés ont des réserves parce que la Suisse ne les a pas autorisés à fournir des munitions à l’Ukraine.» Il était question de l’interdiction, fondée sur le droit de la neutralité, de ré-exporter des munitions suisses, qui avaient été vendues à des pays européens il y a de nombreuses années.

Pourquoi la Suisse subit-elle des pressions?

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les États occidentaux fassent désormais pression sur la Suisse pour qu’elle se prononce définitivement contre le traité d’interdiction des armes nucléaires. Par le passé, différents États ont été mis sous pression pour ne pas le signer, par exemple l’Allemagne ou la Suède, alors neutres. L’OTAN fait grimper le prix de son amitié, tout en sachant qu’elle n’a pas besoin de la Suisse, mais que la Suisse a besoin d’elle.

Dans le contexte suisse, c’est un thème explosif. Le Parlement a débattu à plusieurs reprises du Traité d’interdiction des armes nucléaires et s’est clairement prononcé en faveur d’une adhésionLien externe. Les Chambres ont chargé le gouvernement de mettre ce projet en œuvre, sans succès jusqu’à présent. Le Conseil fédéral a toujours refusé de signer l’accord en se référant à de nouvelles évaluations. On s’attend désormais à ce que le gouvernement prenne une décision ces prochaines semaines.

La Suisse va-t-elle ou non signer?

L’argument de l’OTAN est que celui qui veut profiter de l’«alliance nucléaire» doit également accepter son potentiel de dissuasion nucléaire. Le TPNW ne semble toutefois pas être un critère d’exclusion. L’Autriche et la Nouvelle-Zélande ont en effet ratifié le traité tout en restant des États partenaires de l’OTAN.

Des politiciens suisses et des ONG appellent régulièrement le gouvernement à signer le traité. Selon ces protagonistes, en tant qu’État dépositaire des Conventions de Genève et en raison de sa tradition humanitaire, la Suisse ne peut pas renoncer à un positionnement clair sur le désarmement nucléaire. Cette année, la Suisse est en outre représentée, pour la première fois, au Conseil de sécurité de l’ONU en tant que membre non permanent. Une adhésion au traité d’interdiction des armes nucléaires serait donc symboliquement importante.

Toutefois, le conflit à l’est de l’Europe a anéanti de nombreuses certitudes. Ainsi, même dans les milieux helvétiques traditionnellement sceptiques à l’égard de l’OTAN, le renforcement des liens avec l’alliance militaire est moins contesté qu’auparavant. L’invasion a conduit à de nouvelles réalités géostratégiques en Europe. La Russie n’avait sans doute pas imaginé le scénario qui se déroule actuellement du côté des pays occidentaux. 

Une bombe atomique made in Switzerland

Pendant la guerre froide, la Suisse avait prévu de développer ses propres armes nucléaires. La crainte d’un échange de frappes atomiques entre les grandes puissances a conduit à des réflexions sur l’augmentation des moyens militaires. C’est ainsi que le Conseil fédéral écrivaitLien externe en 1958: «En accord avec notre tradition séculaire de défense, le gouvernement est d’avis que l’armée doit être dotée des armes les plus efficaces pour préserver notre indépendance et protéger notre neutralité. Les armes nucléaires en font partie.»

Les réflexions n’ont pas dépassé le stade théorique. Le manque de savoir-faire, ainsi que l’absence d’uranium et de moyens financiers n’ont pas permis d’aller plus loin que le stade d’idées fantaisistes. En 1969, la Suisse a signé – sous la pression des puissances nucléaires – le Traité de non-prolifération nucléaire. Le programme suisse d’armes nucléaires n’a été définitivement enterré qu’en 1988. La cause d’un recours à ces armes était clairement énoncée dès le début: en cas d’attaque de l’Union soviétique. En dépit de sa neutralité, la Suisse se voyait sans équivoque du côté de l’Occident durant la guerre froide.

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Édité par Marc Leutenegger, traduit de l’allemand par Mary Vakaridis

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