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La façon dont Ursula von der Leyen a négocié le contrat pour les vaccins avec Pfizer “décrédibilise les institutions européennes et la Belgique”

Enfin, Le Vif a révélé, il y a quelques jours, qu’une plainte pénale avait été introduite contre la présidente von der Leyen par un citoyen belge, Frédéric Baldan, devant le juge d’instruction liégeois Frédéric Frenay. Elle vise l’Allemande pour des faits d’” usurpation de fonctions et de titre”, parce qu’elle s’est substituée au comité de pilotage chargé de négocier les contrats ; de “destruction de documents publics”, parce que la Commission ne remet pas la main sur les SMS échangés, et de “prise illégale d’intérêts et de corruption”. Rien que ça.

M. Baldan est un lobbyiste accrédité auprès des institutions européennes, spécialisées dans les relations entre l’UE et la Chine. Il a expliqué à La Libre les raisons qui l’ont convaincu de déposer une plainte visant directement Ursula von der Leyen. “J’ai assez bien suivi, par intérêt personnel, le travail de la commission spéciale du Parlement européen sur le Covid-10. Au fur et à mesure des découvertes témoignages, il est apparu qu’il y avait des comportements troublants, qui laissaient voir que des infractions avaient été commises”, avance M. Baldan, qui a sollicité le concours de Maître Diane Protat, du barreau de Paris.

Le plaignant estime que la façon dont les contrats ont été négociés et conclu lèse la Belgique, qui se retrouve avec 25,1 millions de doses de vaccins surnuméraires, dont près de 12 millions de doses Pfizer, dont l’achat a pesé sur ses finances publiques. Il estime aussi que le comportement de la présidente de la Commission a endommagé “la crédibilité de l’autorité publique”.

Vous visez en particulier la présidente von der Leyen et la manière parce qu’elle a négocié directement le troisième contrat avec Pfizer avec le PDG de l’entreprise pharmaceutique, Albert Bourla, alors que cette tâche revenait à une équipe de négociateurs de la Commission ?

Oui, tout à fait. Et la censure des clauses des contrats est également inadmissible. C’est inimaginable de penser qu’on va faire prévaloir l’intérêt d’acteurs privés sur celui du public ad vitam aeternam. Un article dans le Code pénal sanctionne les fonctionnaires, dépositaires ou représentants de l’autorité ou de la force publique qui, de manière, arbitraire, porte atteinte aux droits garantis par la Constitution. Or, le droit à la transparence est inscrit dans la Constitution, ainsi que dans la Charte européenne des droits fondamentaux qui a valeur constitutionnelle selon la jurisprudence de la CJUE. Si on est démocratie, alors c’est le moment de le prouver. Je veux que la justice mène une instruction judiciaire indépendante à charge et à décharge et me dise s’il y a eu, ou non, quelque chose de répréhensible. Et nous démontre, le cas échéant, qu’on s’est complètement trompé. Mais en tout cas, on ne peut pas laisser perdurer cette situation.

Vous soutenez que la Belgique a été lésée, notamment parce qu’elle se retrouve, comme tous les États membres, avec des millions de doses surnuméraires, qu’elle a payées avec les deniers publics. Dix États membres d’Europe centrale et orientale avaient réclamé l’an dernier la renégociation des contrats. Mais l’État belge, lui, ne se plaint de rien, pour le moment…

Pourquoi ne se plaint-il pas ? C’est une question à poser aux décideurs politiques. Mon problème, c’est l’interférence [de la présidente de la Commission] dans une négociation de contrat. Ce n’est pas lié à l’opportunité de vacciner la population à des questions d’effets secondaires des vaccins, etc. Ce n’est pas non plus une question d’être pour ou contre l’Union européenne. J’estime que j’ai subi un préjudice parce que fondamentalement, j’ai perdu confiance en l’autorité publique. Cette affaire décrédibilise les institutions européennes mais aussi la Belgique, qui est victime de cette situation. Est-ce qu’on veut encore creuser le fossé entre les citoyens et l’administration ? Qu’on déteste les institutions, les fonctionnaires, les journalistes ? Il existe un cadre juridique pour l’acquisition de bien et de services. Manifestement, on a écarté les questions de marché public, mais en plus de ça, on constate une rétention d’information quant au contenu des négociations des contrats qui est vraiment préjudiciable à la crédibilité de l’autorité publique. C’est quand même invraisemblable qu’on ne donne pas au New York Times, aux citoyens… la copie de ces contrats, de ces SMS, qu’on ne nous dise pas comment ça a été négocié.

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L’Union européenne croule sous les doses de vaccins en surplus. Mais n’est-ce pas une conséquence du fait qu’à l’époque de la pandémie, il y avait une pression politique des États membres pour assurer qu’ils soient fournis en vaccins ?

La façon dont on a négocié est choquante. L’entreprise dont il est question finit opportunément par devenir le principal fournisseur de doses de vaccins à 80 %. Un peu de surplus, c’est compréhensible, mais ramené à l’ensemble de la population européenne, le nombre de doses commandées était quand même impressionnant. C’est de l’ordre de la démesure. On a des contrats léonins, déséquilibrés, qui donnent tous les avantages à l’industrie pharmaceutique et tous les désavantages à l’Union européenne. Comment peut-on accepter de signer quelque chose d’aussi disproportionné ?

Vous réclamez 50 000 euros de préjudice moral. À quoi correspond cette somme ?

C’est une somme arbitraire fixée par l’avocat en disant que ce sont des frais de procédure. Mais de toute façon en Belgique il n’y a jamais aucun magistrat qui condamnera à payer ça. Si je demandais 1 euro symbolique, la justice me dirait qu’il n’y a pas vraiment de préjudice. Je n’ai pas d’objectif d’enrichissement personnel. Je risque d’ailleurs de perdre plus d’argent que d’en gagner, ça c’est sûr.

Que va-t-il se passer à présent que vous avez déposé votre plainte ?

Le juge d’instruction peut aller chercher les informations demandées. Il y a plusieurs options. Dans la loi sur les télécoms, il y a un service d’enregistrement automatique dans une base de données secrète de l’ensemble des SMS. En cas d’incident terroriste, la Sûreté de l’État, le SGRS (renseignement militaire, NdlR) et la justice peuvent aller consulter cette banque de données. Il est possible qu’elle comprenne une copie des SMS échangés entre Mme von der Leyen et M. Bourla. Une autorité judiciaire peut demander d’y avoir accès. La deuxième possibilité est que mon avocate demande à la justice américaine la copie des SMS dans le téléphone de M. Bourla.

Si Mme von der Leyen fait obstacle à la justice, ce sera une infraction. Elle peut détenir ces SMS et ne pas vouloir les donner, ce sera une atteinte aux droits garantis par la Constitution et donc une infraction. Ou alors elle peut avoir détruit ses SMS – il est aujourd’hui notoire qu’ils ont existé et qu’ils ont servi à la négociation – auquel cas c’est une destruction de documents administratifs. En fait, elle s’est mise dans une situation qui ne devrait pas exister. Si demain, la ville de Charleroi passait le plus gros marché public et que le bourgmestre Paul Magnette échangeait par SMS avec l’adjudicataire final qui est un copain à lui, on jugerait que c’est inadmissible. L’Union européenne et ça paraît un peu distant, ce n’est pas moins inacceptable. Ursula von der Leyen aurait dû échanger les informations avec tout le monde, de la même manière et pas privilégier un contact privé, surtout au regard du droit sur la prise illégale d’intérêts…

À quoi vous attendez-vous en termes de calendrier ?

Vu que c’est la Belgique, c’est la surprise du chef. Il est possible est qu’on doive changer de juridiction, de juge… mais que l’on clôture l’instruction en concluant “circulez, y a rien à voir”, ça m’étonnerait, parce qu’il y a quand même du fond. C’est une instruction judiciaire, on sait que ça va prendre du temps. On va l’alimenter en demande de devoirs. J’ai vu des députés européens faire leur boulot en commission Covid, mais ils n’ont pas pu s’exprimer librement. Je vais demander au juge de les auditionner.

Peu importe ce qu’il faudra faire, nous irons au bout du dossier. S’il fallait redéposer une plainte pour une question de forme, on le ferait quand même. Il y a un abcès qu’il faut crever. Il y a une situation qui est devenue insupportable et intolérable en matière de respect des droits fondamentaux. C’est important qu’on réconcilie l’opinion publique, les citoyens, les médias, et les institutions publiques en disant que c’est un comportement qu’on ne peut pas admettre.