International

Le crépuscule de Milo Djukanovic, le “dinosaure” des Balkans

Celui que l’on a longtemps surnommé le “Gospodar”, le “Maître”, a perdu la main depuis les élections législatives du 30 août 2020, quand une coalition hétéroclite de formations pro-serbes et de mouvements citoyens a envoyé le DPS dans l’opposition, engageant le Monténégro dans la première alternance démocratique de son histoire. “Les trois années que nous venons de vivre ont été difficiles. Les partis de la nouvelle majorité n’ont cessé de se déchirer, mais l’alternance a eu lieu”, explique Milka Tadic, la directrice du Centre pour le journalisme d’investigation de Podgorica.

Le Monténégro va-t-il tourner la page Djukanovic ?

Un opportuniste clanique

Au cours de sa longue carrière, Milo Djukanovic a assumé tous les positionnements politiques. Arrivé au pouvoir sous la protection de Slobodan Milosevic, il rompt avec son mentor dès 1996 et rapproche son pays de l’Occident, tout en l’engageant dans la voie de l’indépendance. Sous sa direction, le Monténégro a adhéré à l’Otan en 1997. Il est également candidat à l’intégration européenne depuis 2010, mais les négociations patinent depuis longtemps sur les questions fondamentales de l’état de droit.

Milo Djukanovic a en effet mis son pays de 600 000 habitants en coupes réglées. Son frère Aleksandar, propriétaire de la première banque privée du Monténégro, avait la haute main sur les privatisations, tandis que sa sœur, l’avocate Ana Kolarevic, a longtemps contrôlé l’appareil judiciaire. Les réseaux clientélistes du DPS dominaient tous les segments de la vie sociale. Il fallait avoir la carte du parti pour lancer une affaire, obtenir un poste dans l’administration. Et le régime monténégrin a longtemps entretenu des relations étroites avec le crime organisé : trafic de cigarettes dans les années 1990, trafic de drogues par la suite. “C’est un Etat privatisé au service d’un clan, voire même d’une famille, qu’il fallait mettre à bas”, explique l’analyste politique Dejan Mijovic.

Depuis 2020, des coups sévères ont été portés à ce système : arrestation de l’ancienne présidente de la Cour suprême Vesna Medenica, purges répétées au sein de la direction de la police… “Même si l’avenir du pays demeure incertain, plus rien ne sera comme avant”, poursuit Dejan Mijovic.

Un jeune économiste comme successeur ?

Milo Djukanovic essaye de présenter la nouvelle majorité comme “pro-serbe, pro-russe et inféodé à l’Eglise orthodoxe. En réalité, depuis 2020, le pays n’a remis en cause aucun de ses engagements internationaux, adoptant notamment les sanctions contre la Russie… Dejan Milovic rappelle du reste que c’est son ancien “maître” qui a largement ouvert les portes du pays aux oligarques russes, qui se pavanent toujours sur le littoral où beaucoup ont trouvé refuge depuis le début de la guerre en Ukraine.

Milo Djukanovic a aussi tenté de jouer la carte identitaire, mais les manifestations, parfois violentes, des “patriotes” monténégrins n’ont jamais réuni qu’un cercle étroit de convaincus. En vue de ce second tour difficile, il essaye de mobiliser la diaspora et les minorités du pays – Albanais ou Bosniaques – face à la “menace serbe”. Huit avions charters au moins sont attendus ces jours-ci au Monténégro pour ramener au pays ces électeurs de l’étranger, tandis que dans le nord du pays, des agents du DPS font le tour des familles bosniaques en offrant 50 euros aux électeurs, comme nous en avons été témoins dans la ville de Pljevlja. Cela ne devrait pas suffire pour inverser la donne.

Comme d’autres représentants de la société civile, Milka Tadic appelle à voter pour Jakov Milatovic, un économiste de 37 ans, présenté par le mouvement L’Europe, maintenant, qui a créé la surprise en recueillant 29 % des voix au premier tour et dispose du soutien de presque tous les autres candidats. Ministre de l’Economie de 2020 à 2022 en qualité d’expert “apolitique”, il a assis sa popularité en lançant un vaste programme d’augmentation des salaires. “Pour la première fois dans l’histoire, les électeurs ne se sont pas prononcés en fonction de référents identitaires, pro-serbes ou pro-monténégrins”, poursuit Milka Tadic. “Le Monténégro est en train de tourner la page.”