France

Une voiture électrique à 100 euros par mois… une promesse impossible ?

Une voiture électrique pour 100 euros par mois… C’était l’une des promesses phares d’Emmanuel Macron lors des dernières élections présidentielles. Le président candidat annonçait 100.000 véhicules chaque année proposés ainsi en leasing (location longue durée avec option d’achat) social pour les foyers les plus modestes et certaines professions.

La mesure est toujours dans les cartons. Le 26 avril dernier, la Première ministre Elisabeth Borne l’a incluse dans la feuille de route de son gouvernement pour les 100 jours à venir. Et a redit le calendrier : à compter de cet automne, les personnes éligibles pourront réserver leur véhicule et les premières livraisons auront lieu début 2024.

Une offre inadaptée de véhicules électriques ?

Mais à ce jour, les contours du dispositif restent flous. Qui pourra exactement y prétendre ? Sur combien d’années courra la location ? Y aura-t-il un loyer d’entrée, souvent rédhibitoire dans les offres classiques de leasing proposées par les constructeurs automobiles ? Comment sera financée la mesure ?

Surtout, quels véhicules seront proposés en leasing social ? C’est la principale inconnue à ce jour alors que les véhicules électriques actuellement sur le marché sont à un prix guère compatible avec une location à 100 euros par mois. A quelques exceptions près comme la Dacia Spring, vendue aux alentours de 20.000 euros. Mais elle est produite en Chine, « quand le gouvernement, lui, veut conditionner le leasing social à des voitures made in France ou au moins Europe », rappelle Marie Chéron, la responsable des politiques véhicules de l’antenne française de Transport & Environnement (T&E), fédération européenne d’ONG spécialisées sur les questions mobilités. « A juste titre si on veut éviter de subventionner la concurrence étrangère, précise-t-elle. Le problème est que notre industrie automobile a choisi de s’orienter vers les électriques haut de gamme. En mars 2020, en dévoilant son plan de relance post-Covid de 8 milliards d’euros pour la filière automobile, Emmanuel Macron l’invitait lui-même à aller dans ce sens. »

« Une urgence de démocratiser l’électrique »

Pour autant, malgré les obstacles, T&E invite le gouvernement à ne surtout pas enterrer cette promesse de campagne, ni à en revoir l’ambition. Au contraire, dans une étude publiée ce vendredi, en collaboration avec l’Institut du développement durable et des relations internationales, think-tank spécialisé sur l’environnement, l’ONG propose un plan de bataille qui permettrait de faire du leasing social une mesure structurante des politiques de mobilités en France. En s’en donnant les moyens, « environ 900.000 ménages modestes* et ne disposant pas d’alternatives à la voiture pourraient bénéficier du leasing social entre 2024 et 2030 », table ainsi l’étude.

La feuille de route est plus ambitieuse donc que celle imaginée par Emmanuel Macron, puisqu’elle nécessiterait d’ajouter 130.000 véhicules dans le dispositif par an, en moyenne. Même chose pour les mensualités, T&E et l’Iddri imaginant, dans le dispositif, la possibilité de louer des petites voitures à partir de 75 euros par mois**. « La précarité mobilité s’accroît en France sur fonds de carburants chers et qui devraient le rester encore longtemps, pose Marie Chéron. Il devient urgent de démocratiser la voiture électrique dont seuls les plus aisés ont eu véritablement accès à ce jour. »

Mais l’enjeu n’est pas seulement social, il est aussi écologique alors que les transports sont le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France et le seul aussi dont les émissions sont supérieures à 1990. Passer à l’électrique n’est qu’une partie de la solution. Il faut également réorienter la production vers des voitures plus petites et plus sobres, répètent les ONG. « Or l’industrie automobile française va trop peu dans ce sens, bien qu’elle soit pourtant très subventionnée », déplore Marie Chéron.

Deux freins à lever pour rassurer les Français éligibles

Toute la promesse alors du leasing social est de rectifier le tir. Ou du moins de créer un marché additionnel, sécurisé, que les constructeurs français auraient tout intérêt à investir. L’étude recommande ainsi que l’État passe un contrat avec ces derniers, fixant des exigences environnementales élevées pour les voitures qui intégreront le dispositif. Le plus léger possible, avec la meilleure efficacité énergétique des batteries, sobre en équipements électroniques et numériques, intégrant des matériaux recyclés et permettant un recyclage maximal en fin de vie, liste l’étude. « Ces critères environnementaux sont d’autant plus nécessaires qu’ils participeront à réduire le coût de ces véhicules et donc à arriver à des loyers les plus bas possibles », ajoute Marie Chéron.

Mais des mensualités les plus basses possibles ne suffisent pas à garantir que le leasing voulu par Emmanuel Macron soit vraiment « social ». Autrement dit : que les Français éligibles s’emparent du dispositif et réservent leurs véhicules. Marie Chéron identifie au moins deux autres freins à lever pour les rassurer. « La première est de proposer des baux de location courts, pour une période de deux ans minimum renouvelable, et avec la possibilité de rompre le contrat sous certaines conditions : déménagement, divorce, etc., commence-t-elle. La deuxième est d’inclure dans la mensualité un forfait entretien-réparation. Beaucoup de foyers modestes renoncent aujourd’hui à des offres en leasing de crainte d’être confrontés, à l’usage, à des frais supplémentaires auxquels ils ne pourraient faire face. »

Basculer les aides du bonus écologique sur le leasing social ?

Le hic est que ces deux conditions tendent à alourdir le coût du leasing social pour les finances publiques. Dans leur étude, T&E et l’Iddri n’ignorent pas cette équation financière. En rythme de croisière, le dispositif représenterait environ 800 millions d’euros par an d’aides directes de l’État. « Dans son budget 2023, l’État alloue 1,3 milliard d’euros pour l’aide à l’acquisition de véhicules propres », compare Marie Chéron. Le fameux bonus écologique dont on peut profiter sans réelles conditions de ressources. « Autant la mesure a pu être utile pour faire décoller le véhicule électrique en France, autant sa pertinence questionne aujourd’hui, reprend-elle. Le dispositif a surtout profité aux conducteurs les plus aisés. Y compris pour l’achat de Tesla qui a baissé le prix de certains de ses modèles pour être éligible. »

C’est la polémique de ces derniers jours. Elle a poussé Emmanuel Macron à annoncer, ce jeudi, une réforme prochaine du bonus écologique, afin de « prendre en compte l’empreinte carbone » de la production des véhicules et ainsi favoriser ceux fabriqués en Europe.T&E et l’Iddri veulent aller plus loin en réduisant progressivement le montant de ce bonus écologique pour tous au profit d’une montée en puissance du leasing social ciblé donc sur les populations qui ont le plus besoin.

*L’étude préconise de réserver en priorité le dispositif à ceux dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 13.500 euros, soit 40 % de Français les plus pauvres.

**Dans le détail, T&E et l’Iddri imaginent plusieurs tailles de voitures à inclure dans le dispositif de leasing social, de la microcar à la voiture familiale. Et pour des loyers allant de 75 euros à 200 euros par mois. Ces locations se feraient sur une durée minimale de deux ans, renouvelable.