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Secte au Kenya : Qu’est-ce que le « massacre de Shakahola » ?

C’est un macabre décompte depuis vendredi 14 avril. Les enquêteurs ne cessent de déterrer des corps dans la forêt de Shakahola, dans l’est du Kenya. Il s’agirait de membres d’une secte prônant le jeûne extrême pour « rencontrer Jésus » qui se sont laissés mourir de faim. Mais que s’est-il passé ? Qui est responsable de ce carnage ? 20 Minutes fait le point pour vous.

Que s’est-il passé ?

Vendredi 21 avril, les enquêteurs kenyans se sont rendus dans la forêt de Shakahola, dans l’est du Kenya. Ils avaient reçu des informations évoquant une possible fosse commune et quatre corps avaient déjà été mis au jour une semaine plus tôt. Rapidement, un corps est déterré. Puis deux. Le tragique bilan ne cesse d’enfler. Au moins 83 cadavres et 29 survivants décharnés ont été retrouvés. Aucun détail n’est disponible pour le moment sur l’état des corps et la durée de leur présence dans le sol. Les plus de 300 hectares de forêt sont « bouclés et déclarés scène de crime »

Car « nous pensons qu’il y en a plus », a prévenu le chef de la police kényane Japhet Koome, qui s’est rendu sur place lundi. Selon la Croix Rouge kényane, « jusqu’à présent, 112 personnes ont été portées disparues » à son bureau de recherche sur place. Les victimes sont des adeptes de l’Eglise Internationale de Bonne Nouvelle (Good News International Church) qui prône notamment le jeûne pour « rencontrer Jésus ».

Certains adeptes sont encore vivants, cachés dans la forêt. L’une d’entre elles a été retrouvée dimanche. Frêle, les yeux exorbités, elle a refusé de s’alimenter. « Elle a absolument refusé de recevoir les premiers soins et elle a fermé résolument sa bouche, refusant d’être assistée, voulant continuer son jeûne jusqu’à la mort », a déclaré Hussein Khalid, membre de Haki Africa, organisation qui avait alerté la police sur les agissements de l’Eglise Internationale de Bonne Nouvelle. Avec des antennes dans plusieurs régions du Kenya, la secte revendiquait plus de 3.000 membres, dont un millier dans la ville côtière de Malindi où était installé son gourou, Paul Mackenzie Nthenge.

Qui est responsable ?

Le responsable de ce carnage semble être le « pasteur » de ce groupe. Paul Mackenzie Nthenge prônait de jeûner pour « rencontrer Jésus » et est à présent accusé d’avoir mené ses fidèles à la mort. Les autorités policières et judiciaires connaissaient ce « pasteur » depuis plusieurs années. Ancien chauffeur de taxi qui avait créé son église en 2003, Paul Mackenzie Nthenge avait été arrêté une première fois en 2017, accusé de « radicalisation » car il prônait de ne pas mettre les enfants à l’école, affirmant que l’éducation n’est pas reconnue dans la Bible.

Il avait à nouveau été arrêté en mars après que deux enfants étaient morts de faim sous la garde de leurs parents, qui les avaient ensuite enterrés. Il avait été libéré contre une caution de 100.000 shillings kényans (environ 670 euros). Se sachant recherché après la découverte de ces fosses communes, il s’est rendu à la police et est en détention depuis le 14 avril. Il a comparu le lendemain devant un tribunal, et doit à nouveau être entendu le 2 mai.

Quelles conséquences ce drame entraîne-t-il dans le pays ?

La découverte de ce véritable charnier suscite un débat sur les failles sécuritaires et législatives face à ces organisations sectaires. « Comment un crime aussi odieux, organisé et exécuté sur une longue période a-t-il échappé aux radars de notre système de renseignement ? Comment ce « pasteur » a-t-il rassemblé tant de gens, les a endoctrinés, soumis à un lavage de cerveau et affamés à mort au nom de la religion puis les a enterrés dans une forêt sans être détecté ? », s’est interrogé le président du Sénat, Amason Jeffah Kingi dans un communiqué publié lundi.

Le président kényan a promis des mesures contre les cultes « terroristes » qui « utilisent la religion ». « Les terroristes utilisent la religion pour promouvoir leurs actes odieux. Des gens comme Paul Mackenzie utilisent la religion pour faire exactement la même chose », a fustigé William Ruto, lors d’une cérémonie de remise de diplômes des officiers pénitentiaires dans le centre du pays. Il a affirmé avoir « demandé aux agences responsables de se saisir de la question et d’aller à la racine et au fond des activités des religions et des personnes qui veulent utiliser la religion pour faire avancer une idéologie louche et inacceptable ».

Ce scandale ravive le débat sur le contrôle des cultes au Kenya, pays majoritairement chrétien, où des « pasteurs », « Eglises » et autres mouvements religieux marginaux défraient la chronique. De précédentes tentatives de réglementation ont suscité une vive opposition, au nom notamment de la séparation entre l’Église et l’État. « Si l’État respecte la liberté religieuse, cet horrible malheur sur notre conscience doit conduire non seulement à la plus sévère des punitions pour le ou les auteurs de l’atrocité […], mais aussi à une réglementation plus stricte [y compris l’auto-réglementation] de chaque église, mosquée, temple ou synagogue à l’avenir », a estimé dimanche sur Twitter le ministre de l’Intérieur, Kithure Kindiki, qui doit se rendre sur place ce mardi.