France

Football, trafic de drogue et corps introuvable dans le lac Léman… Un procès « hors-norme » s’est ouvert à Lyon

C’est l’affaire la plus « atypique » et la plus « hors-norme » sur laquelle il a travaillé, selon le directeur de l’enquête. Mardi s’est ouvert le procès de Charles Ravet, un ancien footballeur semi-professionnel, interpellé en octobre 2019. Ce « fils de bonne famille » est jugé pour l’assassinat de Julien Lorini, qualifié de « figure du banditisme lyonnais », dont le corps a disparu depuis le 16 juin 2018. Le principal suspect l’aurait tué dans la cave du domicile de ses parents, à Villeurbanne, avant de jeter le corps dans le lac Léman, lesté de poids de 50 kg. 20 Minutes fait le point sur cette histoire.

Qui sont les protagonistes dans cette affaire ?

La victime, Julien Lorini, était âgée de 44 ans à l’époque. Père de famille, il souhaitait « changer de mode de vie pour donner l’exemple à ses enfants », d’après l’avocat de sa famille, David Metaxas. Il était effectivement défavorablement connu des services de police. Au début des années 2000, il a été condamné à douze ans d’emprisonnement pour trafic de stupéfiants. Il est sorti au bout de dix ans en prison, avec un bracelet électronique. En mars 2017, il est « totalement libéré » et est employé comme agent d’entretien au parc de Miribel, près de Lyon, puis dans une société de carrelage en Suisse. Mais, en parallèle, « il avait repris ses activités criminelles », assure le capitaine de police, chargé de l’enquête, qui précise que c’est ce détail qui a permis de « reconstituer les derniers instants de sa vie ». Julien Lorini était notamment équipé d’un téléphone crypté qui a borné pour la dernière fois à Villeurbanne, chez les parents de Charles Ravet.

Charles Ravet, 35 ans aujourd’hui, est un « fils de bonne famille », d’une classe sociale aisée, qualifié d’« intelligent » par ses proches. Passionné par les sports, il décide à 20 ans de se lancer dans une carrière de footballeur professionnel. Il tente sa chance à Londres avant de revenir en France où il joue dans l’équipe de Saint-Priest, près de Lyon. Il se blesse alors qu’il allait commencer une saison en Angleterre et passe un diplôme de batelier sur le lac Léman en 2014. Sa carrière sportive se poursuit finalement en Suisse, où il restera deux ans au FC Aigle. Il est ensuite transféré au Lancy FC où il évolue jusqu’en 2018 et son exclusion pour une bagarre. Fin juillet 2018 – après la disparition de Julien Lorini –, il quitte la Suisse pour s’installer dans le Val-d’Oise et travailler pour le père d’une ancienne petite amie dans la comptabilité. Il essaie de « reprendre une vie normale », selon l’enquêtrice de personnalité.

« Son profil nous intrigue, avoue le capitaine de police qui dirige l’enquête. Il ne présente pas les caractéristiques d’un tueur du grand banditisme lyonnais étant très peu connu des services. » Ce qui lie ces deux hommes, c’est le trafic de stupéfiants. Ils se seraient rencontrés lors d’une soirée à la sortie de prison de Julien. Le « basculement » du fils de bonne famille vers le banditisme est expliqué par « la recherche d’adrénaline », sans l’appel du côté « financier » comme ça pourrait l’être pour d’autres cas.

Que s’est-il réellement passé ce soir-là ?

Les deux hommes auraient une relation tendue depuis janvier 2018. Charles Ravet avait « très peur » de Julien Lorini. Ce dernier aurait menacé de s’en prendre à sa petite amie de l’époque, Anaïs, et à sa famille après qu’il a failli dans ses missions de ventes de stupéfiants. Charles a déclaré « ne pas avoir le choix » que de le tuer, ne « voyant pas comment s’en sortir ». Après une virée en Espagne en lien avec le trafic, il lui aurait donné rendez-vous dans la soirée du 16 juin 2018, chez ses parents, à Villeurbanne, partis pour le week-end. Alors que les deux hommes se rendaient dans la cave pour prendre des boissons, une violente bagarre – d’une dizaine de minutes, avec une vingtaine de coups de poing – aurait éclaté. L’accusé aurait mis « un dernier coup », qui aurait fait tomber la victime sur un rameur, qui aurait convulsé avant de mourir.

Vers 23 heures, Charles s’est rendu chez son ancienne petite amie, dans « un état de choc ». Dans son audition, cette dernière confie qu’il aurait dit : « Je l’ai fait, je l’ai tué. » Joris, son meilleur ami – jugé pour « recel de cadavre » –, les a ensuite rejoints avant que les deux hommes ne repartent à Villeurbanne. Le complice découvre « une masse » dans un sac de couchage, dans les escaliers, avec la tête « recouverte avec la pochette du sac ». Il refuse une première fois de l’aider avant de l’aider à porter le corps. Ils se sont dirigés vers une forêt mais n’auraient pas réussi à creuser un trou pour enterrer le corps à cause de la sécheresse. Les deux amis se séparent à ce moment-là. Charles Ravet a ensuite avoué avoir eu l’idée d’acheter un canoë gonflable et se débarrasser du corps au fond du lac Léman avec des poids. Un plan qu’il a mis à exécution deux jours plus tard.

Malgré de nombreux moyens entrepris par les enquêteurs à la suite de ces aveux, aucun corps n’a été retrouvé jusqu’à présent. Le lac Léman disposant de 100 mètres de profondeur, avec du relief.

Comment l’enquête est-elle remontée à Charles Ravet ?

La mère de Julien Lorini signale, fin juin 2018, la disparition inquiétante de son fils et fait sa propre enquête. Elle apprend que c’est un certain Charles qui l’a vu pour la dernière fois. Interrogé par les proches de la victime, le principal accusé certifie ne pas savoir où se trouve Julien. « C’est grâce à une enquête parallèle pour association de malfaiteurs que l’affaire a été résolue », lance le directeur de l’enquêteur. Charles Ravet est arrêté, en octobre 2019, en flagrant délit alors qu’il effectuait un convoi de cannabis en Suisse. Il avait été mis sur écoute pour ce même motif depuis août 2018.

C’est Joris et Anaïs, placés en garde au moment de l’arrestation de Charles, qui ont livré les détails de l’implication de Charles dans la mort de Julien Lorini. Le principal accusé a reconnu les faits, jusqu’alors contestés, après avoir eu connaissance de leur témoignage par les enquêteurs.

Quels sont les enjeux du procès ?

La préméditation de l’acte est au cœur des débats. Elle a notamment été pointée par les récits des proches de Charles. L’accusé nie toutefois cet aspect, réaffirmant qu’une bagarre a mal tourné. Son avocat, Jean-Félix Luciani le soutient « depuis le départ ». « Au vu de sa personnalité et celle de la victime, la légitime défense est tout à fait acceptable », assure-t-il.

Pour le conseil des parties civiles dont l’ex-femme de la victime et sa fille, « il n’y a aucun doute ». « Monsieur Ravet a acheté, et les relevés bancaires le prouvent, quelques heures avant le rendez-vous qu’il lui a donné, une batte de baseball et le sac de couchage dont il s’est servi pour transporter le corps, lâche David Metaxas. Cela prouve l’organisation et le sang-froid de cet homme. C’est un assassinat signé d’une main de maître. »

Le directeur de l’enquête a souligné que l’accusé avait « tout fait pour effacer les éléments le rattachant au meurtre ». Sur la scène du crime, peu de traces de sang ont été découvertes. Les vêtements ont été brûlés, le canoë a été découpé, les téléphones jetés dans les égouts et la pelle lâchée dans le lac Léman également.

Ce procès est aussi l’occasion d’obtenir des réponses. « Comment Julien est-il mort, pourquoi, dans quelles conditions ? », énumère l’avocat de la famille. Avant d’ajouter : « Ses proches aimeraient savoir où est le corps. Cinq ans après la disparition de monsieur Lorini, ils n’ont pas d’endroit où se recueillir. » L’absence du corps n’a pas permis de réaliser une autopsie et ainsi connaître, les causes qui ont pu conduire à la mort de Julien Lorini.

Charles Ravet encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict est attendu vendredi.