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Equipe de France féminine : « Il nous avait transfigurés »… Hervé Renard, déroutant globe-trotteur, face à un défi XXL

« Les joueuses françaises ont réclamé du professionnalisme et des choix forts, et bien elles vont être servies. Hervé Renard va tirer le meilleur de son groupe et avec lui, elles vont avoir de l’exigence matin, midi, soir. » Cédric Kanté résume avec malice la nomination jeudi d’Hervé Renard (54 ans), à la tête d’une sélection tricolore dont plusieurs cadres (Wendie Renard, Kadidiatou Diani et Marie-Antoinette Katoto) se sont élevées contre Corinne Diacre en février. Cet ancien défenseur a été marqué par ses sept mois passés aux côtés de l’entraîneur savoyard, en 2013-2014, en pleine lutte pour le maintien en Ligue 1 avec Sochaux.

« Notre jeune groupe manquait de caractère et Hervé Renard avait bousculé en peu de temps bien des certitudes, à tous les étages du club, poursuit l’ex-international malien. Je me souviens qu’il avait fait broder sur nos maillots son mantra « Never give up », ce n’est quand même pas commun. Ses entraînements à 200 % d’intensité, son charisme et ses causeries nous avaient donné envie de le suivre et nous avaient même transfigurés. » Lanterne rouge larguée à son arrivée en octobre 2013, Sochaux a signé avec lui une incroyable remontée au printemps, avant de perdre son maintien à la dernière journée (0-3 contre l’ETG de Pascal Dupraz).

« Il a vécu comme un Zambien »

Le grand public a découvert le nouveau sélectionneur des Bleues deux ans plus tôt, lorsqu’il a permis à la Zambie de conquérir, à la surprise générale, la Coupe d’Afrique des Nations 2012. Président de la fédération zambienne de 2008 à 2016, Kalusha Bwalya n’a évidemment pas regretté d’avoir misé en 2008 sur l’ancien adjoint de Claude Le Roy au sein de la sélection ghanéenne. Le Ballon d’or africain 1988 raconte à 20 Minutes son souvenir d’Hervé Renard.

Il est arrivé sans véritable expérience d’entraîneur principal, et au sein de structures d’entraînement très loin de ce qu’il avait connu au Ghana. Mais Hervé était humble, intelligent, ambitieux et il a toujours travaillé très dur. Il a vécu comme un Zambien, il était tout le temps impliqué dans notre pays, et il passait au maximum une semaine par an en Europe. C’était un grand avantage, quand je vois le nombre de sélectionneurs venus en Afrique sans chercher à s’adapter. »

Pourtant, à écouter son ami Claude Le Roy, qui a soufflé son nom à Kalusha Bwalya, Hervé Renard n’était pas spécialement désiré par la Fédération zambienne au départ. « Kalusha me disait qu’il ne voulait pas d’un préparateur physique pour coacher sa sélection, sourit Claude Le Roy. Mais je lui avais délégué énormément de choses au Ghana, où il dirigeait les séances d’entraînements de grands joueurs comme Essien, Appiah et Muntari. J’ai répondu à Kalusha qu’il était important qu’un entraîneur ait un nom quand il quitte un pays, et non quand il y arrive. »

« Debout à 3 heures du matin pendant huit ans »

Après un quart de finale de CAN en 2010 et une courte parenthèse à la tête de la sélection angolaise et de l’USM Alger, la deuxième ère d’Hervé Renard en Zambie illustre parfaitement la maxime de Claude Le Roy. « Il n’avait pas fini son travail ici, et la Zambie était devenue sa maison, donc nous l’avons fait revenir avant la CAN 2012, explique Kalusha Bwalya. La suite est pour l’histoire, un vrai conte de fées, avec un groupe dans lequel seulement deux joueurs évoluaient dans un championnat européen. Le nom d’Hervé Renard est inscrit pour toujours dans la légende du football zambien. »

Le 12 février 2012, jour de triomphe à Libreville (Gabon) pour Hervé Renard et les Chipolopolos.
Le 12 février 2012, jour de triomphe à Libreville (Gabon) pour Hervé Renard et les Chipolopolos. – Rebecca Blackwell/AP/SIPA

A son arrivée en 2008, certains joueurs de notre sélection se moquaient un peu de ses folles ambitions, confie Rainford Kalaba, titulaire durant cette CAN 2012 et buteur lors du match de poules contre le Sénégal (2-1). Mais Hervé est ainsi, il a vu quelque chose en moi que je ne voyais pas moi-même. Il a fait de moi un meilleur joueur. Je le considérerai toujours comme mon mentor et comme mon père.»

La finale de CAN haletante remportée en 2012 face à la Côte d’Ivoire de Didier Drogba (0-0, 8-7 aux tirs au but) constitue le climax en carrière de l’entraîneur à la chemise blanche, plus encore que sa CAN 2015 conquise avec la Côte d’Ivoire, sa qualification pour le Mondial 2018 avec le Maroc et son improbable victoire contre l’Argentine de Lionel Messi lors de la dernière Coupe du monde au Qatar (2-1). Autant de moments forts que cet ancien joueur amateur (1 seul match de D1 avec l’AS Cannes en 1987-1988) n’aurait jamais imaginé, lorsqu’il se levait « pendant huit ans à 3 heures du matin pour nettoyer des vitres » sur la Côte d’Azur, avant d’entraîner en fin de journée le SC Draguignan (de DH à CFA).

Chine, Cambridge, Ghana, il suit Le Roy partout

Le premier tournant a lieu lorsque Claude Le Roy l’appelle pour devenir son adjoint sur le banc du Shanghai Zhongyuan Huili (Chine), sur recommandation d’un ami commun, l’ancien directeur sportif de Rouen Pierre Romero (décédé en février). A 33 ans, il quitte pour la première fois de sa vie la France, et il va prendre goût à deux grosses décennies de globe-trotteur. 

« J’ai rencontré un taiseux, un Savoyard, qui a commencé à s’ouvrir en découvrant l’importance des voyages et de la culture », souligne Claude Le Roy. Une amitié est née, et le « Sorcier blond » le pistonne ensuite pour le propulser sur le banc de Cherbourg (National, de 2005 à 2007). Ghana, Zambie, Côte d’Ivoire, Maroc, Arabie saoudite, vous connaissez les principales étapes par la suite d’un parcours parfois déroutant. Sur ce dernier Mondial au Qatar, vous n’avez pas pu passer à côté de sa causerie culte, à la mi-temps de l’exploit contre l’Argentine.

L’accent 100 % frenchie de son « Take your phone, you can make a picture with Messi hein if you want » a presque été autant tourné en dérision que le « I recup the ball » de Nabil Fekir après un Manchester City-OL. Une séquence d’autant plus cocasse qu’Hervé Renard a également accompagné Claude Le Roy en 2004… à Cambridge United (4e division anglaise). 

« Son anglais était très bon, assure le Zambien Kalusha Bwalya. On n’a eu aucun problème de compréhension avec lui. » Toujours accompagné d’un traducteur arabe dans le vestiaire, durant son bail saoudien de près de quatre ans, l’intéressé est aussi parvenu dans le Golfe à faire passer son message à une sélection ayant obtenu la victoire la plus marquante de son histoire avec lui.

Hervé Renard et Claude Le Roy se sont affrontés durant la CAN 2017, avec à la clé une victoire de l'élève sur le maître (3-1) lors de ce match de poules Maroc-Togo.
Hervé Renard et Claude Le Roy se sont affrontés durant la CAN 2017, avec à la clé une victoire de l’élève sur le maître (3-1) lors de ce match de poules Maroc-Togo. – ISSOUF SANOGO / AFP

« Il a rendu les Saoudiens extrêmement fiers »

« Hervé Renard est très populaire en Arabie saoudite, autant auprès des joueurs que des supporteurs, et c’était déjà le cas avant le Mondial, précise Ali Khaled, journaliste sportif pour le quotidien saoudien Arab News. Avec lui, le pays s’est trouvé une super organisation défensive et une grande combativité. Il a rendu les Saoudiens extrêmement fiers grâce à ce succès contre l’Argentine. Comme la compétition se déroulait au Qatar, c’est la première fois qu’un stade d’une Coupe du monde a explosé de joie de la sorte sur des buts saoudiens. »

La méthode de management forte d’Hervé Renard est décrite avec simplicité par l’ancien international marocain Medhi Benatia : « Il a une façon d’aimer ses joueurs qui est très spéciale ». Pour Claude Le Roy, que Renard présente comme « le père qu’il n’a pas eu », « Hervé est d’une immense intégrité et les gens autour de lui ressentent tout de suite ça ». « Contrairement à tant d’entraîneurs qui veulent faire plaisir à tout le monde, il ne crée pas de mirage chez qui que ce soit », note aussi l’ex-vainqueur de la CAN 1988 avec le Cameroun. Un constat que confirme Cédric Kanté.

Il a un ton un peu cash. A son arrivée, il m’a immédiatement fait comprendre qu’il ne comptait pas me faire jouer, alors que j’étais le capitaine de cette équipe. Mais il n’est pas borné car quelques semaines plus tard, il a reconnu mon sérieux sur les entraînements et il n’a eu aucun mal à changer d’avis à mon sujet. C’est un coach à part, entier, humain, plus réservé qu’on ne l’imagine, et un véritable guide. »

« Le don de rendre ses joueurs meilleurs »

Kalusha Bwalya dresse un tableau identique : « C’est difficile de trouver un homme aussi entier dans le monde du football. Les entraîneurs changent souvent d’avis après avoir écouté leurs dirigeants, leurs joueurs et les fans. Mais pas Hervé, il reste toujours lui-même, passionné. C’est un personnage singulier, qui a comme don de rendre ses joueurs meilleurs ».

Loin de ce concert de louanges, il y a son parcours d’entraîneur en France, où le bilan est nettement plus mitigé, jusqu’au lancement du tout premier défi de sa carrière dans le football féminin, à 54 ans. Ses rares expériences en Ligue 1 se sont ainsi conclues sur des échecs sportifs, à Sochaux (relégation en L2) et surtout au Losc (3 victoires en 13 matchs avant d’être licencié en novembre 2015).

Dans le Nord, il n’a pas fait long feu, et son profil détonant, coincé entre les passages old school de René Girard et de Frédéric Antonetti, n’est pas passé auprès du président Michel Seydoux. « Hervé avait été extraordinairement frustré par cette expérience, car il avait enfin eu la reconnaissance d’un important club français, note Claude Le Roy. Mais ce n’est pas fini pour lui. Un jour, il dirigera un grand club en Ligue 1. » 

Ce criant manque de reconnaissance en France, loin de l’admiration qu’il suscite à Riyad, pourrait même avoir été un moteur quant à ce choix de tenter de redresser l’équipe de France féminine, à des conditions financières largement inférieures à son salaire saoudien de 300.000 euros mensuels.

« M. Renard, ne seriez-vous pas disponible, à tout hasard, pour cette fin de saison ? C'est pour un ami. »
« M. Renard, ne seriez-vous pas disponible, à tout hasard, pour cette fin de saison ? C’est pour un ami. » – NIVIERE/SIPA

Deux Coupes du monde en dix mois

Ali Khaled reconnaît que son choix de carrière a surpris en Arabie saoudite : « C’était le gars parfait pour ce poste, et à un an de l’Asian Cup au Qatar, il incarnait la belle dynamique du foot saoudien. Il était sous contrat jusqu’en 2027 et c’est un gros coup dur de le voir partir avant de tenter de remporter ce prestigieux tournoi ». Toujours proche de lui, Claude Le Roy sourit en constatant que son ami s’est toujours montré « un peu plus impatient » que lui.

« Dès qu’il pense avoir fait le tour d’un projet, il s’en va, précise-t-il. Il va sans doute gagner en un an avec l’équipe de France ce qu’il gagnait quasiment en un mois en Arabie saoudite. Mais ça, il s’en fiche, ce n’est rien à côté du défi de devenir le premier sélectionneur à enchaîner une Coupe du monde masculine et féminine. » Il reste moins de quatre mois pour préparer le flocage « Never give up » pour le Mondial en Australie et en Nouvelle-Zélande.