France

En « cent jours », Elisabeth Borne peut-elle faire mieux que Napoléon ?

Opération survie pour Elisabeth Borne. La Première ministre présente ce mercredi, à l’occasion du Conseil des ministres, la feuille de route des « cent jours » lancés le 17 avril par Emmanuel Macron. Après l’adoption chaotique de la réforme des retraites, qui n’en finit plus d’empoisonner le début de quinquennat, le président de la République a fixé le cap pour « apaiser » le pays. Cette formule des « cent jours », utilisée inlassablement par le monde politique, renvoie, en France, au retour fulgurant de Napoléon en mars 1815 jusqu’à sa seconde abdication, en juin, après la défaite de Waterloo.

Suffisant pour nous donner envie de plonger dans l’Histoire de France avec Pierre Branda, directeur scientifique de la Fondation Napoléon. « En cent jours, on peut être héroïque, chasser un régime pour reprendre un pays, perdre une bataille et se retrouver déchu, tout est possible… », s’amuse l’auteur d’une ribambelle d’ouvrages sur le génie militaire français. Le passé peut-il parler au présent ? Deux siècles plus tard, on tente le pari.

Pourquoi repartir en campagne

Pierre Branda : « Napoléon se sait menacé sur l’île d’Elbe [il s’est retiré ici après son abdication en 1814]. Il ne sait pas trop comment s’en sortir, et va tenter ce pari un peu fou de retour au pouvoir. Ce qui le motive, c’est l’appel de l’armée, très mécontente de Louis XVIII, le roi des Bourbon alors sur le trône. Napoléon pense incarner la réconciliation, ramener une certaine concorde dans le pays, qu’il imagine plus divisé qu’il ne l’est réellement. Mais avant toute chose, il souhaite reprendre le pouvoir, c’est une volonté personnelle, il croit en son destin. Napoléon n’a pas trop l’âme d’un retraité en Californie. Il débarque donc à Golfe-Juan le 1er mars 1815 après trois jours en mer. En face, rien n’est prévu, car personne ne pensait possible ce retour. »

Et pour Elisabeth Borne ?

La Première ministre a aussi pour mission ce retour à la concorde, mais elle lui est imposée par le président, le vrai chef des armées. Fragilisée par la réforme des retraites, la Première ministre a échoué à trouver une majorité à l’Assemblée nationale pour faire adopter le texte, l’obligeant à utiliser le tant décrié 49-3. La cheffe du gouvernement ne s’est pas (encore) retrouvée exilée, mais ne doit son maintien à Matignon qu’à sept petites voix lors d’un rejet, fin mars, d’une motion de censure transpartisane. Pour elle, ces « cent jours » ressemblent moins à une reconquête du pays qu’à une opération de survie.

Le ralliement des troupes

Pierre Branda : « Napoléon passe par la route des Alpes et les villes qui lui sont restées favorables, Lyon et Grenoble, car il n’a au départ que peu de soutiens. Mais les soldats lui restent acquis, et il engrange des ralliements spectaculaires. C’est la fameuse phrase qu’il lance à l’un d’eux à la prairie de la Rencontre : « S’il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son empereur, me voilà ! ». Par effet boule de neige, toute l’armée tombe. Son retour est avant tout un retour militaire. »

Et pour Elisabeth Borne ?

Point de soldats ici, mais des parlementaires. C’est l’un des objectifs fixés par Emmanuel Macron lors de son allocution : « élargir » la majorité présidentielle « avec les femmes et les hommes de bonne volonté qui sont prêts à avancer avec elle ». Tenir ce cap semble aujourd’hui quasi-impossible. Car contrairement au général corse, Elisabeth Borne est plongée en pleine crise d’autorité depuis plusieurs semaines. A gauche, le ralliement des troupes s’annonce impossible. A droite, Les Républicains n’ont pas vraiment d’intérêt à rejoindre le camp présidentiel, à un an des élections européennes, et après lui avoir tourné le dos lors de la réforme la plus emblématique de ce début de quinquennat.

L’espoir pourrait se trouver du côté des syndicats, et de la CFDT, décidée à reprendre le dialogue après la grande manifestation du 1er mai. Ramener Laurent Berger à la table des négociations serait un joli coup, même si pour les bonapartistes, le syndicaliste n’a pas l’aura d’un maréchal Ney.

L’opinion des Français

Pierre Branda : « Napoléon est populaire dans certaines villes, comme Lyon et Grenoble qui avaient beaucoup souffert de la Révolution et connu un rebond sous l’Empire. Et auprès des ouvriers, en raison d’une politique impériale favorable. Mais dans les grandes villes portuaires, comme à Marseille, on se souvient de l’impact financier négatif du Blocus continental. Dans le reste de l’opinion, c’est plus mesuré. Il y a la crainte d’une nouvelle guerre. Napoléon s’aperçoit d’ailleurs lui-même de ce manque d’enthousiasme lors de la cérémonie du Champs de mai en juin 1815 ».

Et pour Elisabeth Borne ?

C’est peu dire que l’exécutif a souffert de la séquence sur les retraites. Un an après la réélection d’Emmanuel Macron, le chef de l’Etat et Elisabeth Borne sont en chute libre dans les sondages. Seuls 27 % des Français sont satisfaits de l’action de la Première ministre, selon un sondage de l’Ifop pour le JDD ce samedi, une baisse record depuis son arrivée à Matignon. A chaque déplacement, elle est d’ailleurs chahutée à coups de sifflet et de casseroles, comme l’ensemble des membres de son gouvernement… et comme Napoléon III. La tradition des casserolades remonte en effet à la Monarchie de Juillet, quelques années avant l’arrivée au pouvoir du neveu de Napoléon.

Les gestes symboliques

Pierre Branda : « Réforme des Chambres, nouvelles élections… Napoléon veut donner une teinte plus libérale à son régime, qui émerge à ce moment en Europe, par opposition aux monarchies réactionnaires. Il travaille avec Benjamin Constant à un renouveau institutionnel et prend plusieurs décrets. Il veut se montrer légitime en tant que fils de la Révolution pour mieux s’opposer aux Bourbon, même si pour lui, l’essentiel reste la centralisation. C’est d’ailleurs partiellement réussi car ces mesures déçoivent les libéraux et lui-même ne sera pas entièrement satisfait. »

Et pour Elisabeth Borne ?

Hausse de salaire pour les enseignants, fin des retraits de points pour les petits excès de vitesse… le gouvernement a déjà donné quelques signes pour tenter d’« apaiser » la colère et devrait poursuivre dans cette logique. Elisabeth Borne dit vouloir « répondre […] le plus rapidement possible, aux difficultés concrètes » et aux « attentes » des Français, sur les questions de travail, d’ordre ou encore de services publics. Surtout, l’exécutif planche aussi sur une réforme des institutions, souvent présentée comme l’un des grands chantiers du quinquennat. Une manière de balayer les critiques sur le… « bonapartisme » du chef de l’Etat.

La réponse des adversaires

Pierre Branda : « Dès son retour, en mars 1815, l’Angleterre, la Russie, l’Autriche et la Prusse concluent un traité d’alliance, et seront rejointes par d’autres pays. La Quadruple alliance déclare la guerre, non pas à la France, mais à Napoléon, ce qui est assez rare dans l’histoire. Tant qu’il n’est pas personnellement neutralisé, ils maintiendront la guerre. Lui tente des gestes de paix, mais la messe est dite. Les monarchies réactionnaires, très hostiles au changement, ne veulent pas d’un régime napoléonien, de ce personnage imprévisible qui brouille le jeu des grandes puissances. ».

Et pour Borne ?

Après les batailles parlementaires sur les retraites, Elisabeth Borne a tenté de rencontrer les responsables de l’opposition. Mais le résultat est jusqu’ici bien maigre… Du Rassemblement national à La France insoumise, on a plutôt appelé la Première ministre à quitter son poste, tout simplement. Du côté de LR, aussi, on a laissé entendre qu’aucun cadeau ne serait fait sur la future loi Travail ou celle sur l’immigration. La situation est donc bloquée et on ne voit pas ce qui pourrait entraîner de bouleversement d’ici le mois de juillet. Comme la Quadruple alliance ciblant personnellement Napoléon, l’opposition a d’ailleurs déjà prévenu, qu’au-delà du cas de Borne, elle mènerait la vie dure à Emmanuel Macron jusqu’à la fin du quinquennat.

On a beaucoup hésité entre les deux photomontages, on doit l'avouer.
On a beaucoup hésité entre les deux photomontages, on doit l’avouer. – Montage 20 minutes / Jeff Pachoud et Ludovic Marin

La chute

Pierre Branda : « Avec la campagne de Belgique, Napoléon entend battre ses adversaires prussiens et anglais par effet de surprise. Il pense balayer dans la matinée le duc de Wellington et les Anglais, mais il est finalement battu à Waterloo en juin, où les renforts prussiens déborderont les armées françaises. Il est contraint de laisser le pouvoir et se rend aux Anglais qui le déporteront sur l’île de Sainte-Hélène. Déprimé sur cette petite île, son ulcère finira de l’achever. Il meurt le 5 mai 1821. »

Et pour Elisabeth Borne ?

Emmanuel Macron a déjà promis qu’il jugerait Elisabeth Borne sur ses résultats d’ici le 14 juillet. La tâche s’annonce d’autant plus ardue que la Première ministre s’est tiré une balle dans le pied en indiquant vouloir faire passer ses réformes sans utiliser de 49.3. Sur le projet de loi immigration, la cheffe du gouvernement pourrait décevoir la droite sur le volet économique, et la gauche sur celui des expulsions. En cas de nouvelle motion de censure, Elisabeth Borne pourrait donc cette fois bien tomber. Elle ne devrait pas connaître d’exil insulaire, mais les « cent jours » qui viennent ressemblent bien à un ultimatum sur son maintien à Matignon.