Belgique

Sarah Schlitz, la démission d’une écologiste emportée par la polémique de trop…

Comme s’il fallait voir une logique politique dans cette progression urbaine, on atteint ensuite la maison de la désormais ex-secrétaire d’État à l’Égalité des genres, l’Égalité des chances et à la Diversité, Sarah Schlitz. Ce quartier s’estimant rebelle, ce dédale où se planquent de temps à autre les évadés du palais de justice, semble avoir été taillé pour elle.

« Une emmerdeuse »

La jeune écologiste, qui était la seule Liégeoise du gouvernement De Croo, n’est pas une personnalité discrète. Sa voix forte blinde d’assurance le moindre de ses propos. Elle ne semble pas concernée par le mal d’invisibilité qui frappe, parfois, les personnes de son sexe. Élue en 2012 au conseil communal de la métropole mosane, elle y affûte ses premières armes en politique. Cycliste de conviction, elle dénonce le manque d’ambition de la vieille majorité rouge romaine en matière de mobilité douce. “Une emmerdeuse”, peste l’un de ses adversaires locaux. “Certains n’étaient pas habitués à voir des femmes de 25 ans qui osent dire leurs idées dans une assemblée comme celle-là, se défend Sarah Schlitz. Rien que de prononcer le mot ‘vélo’, les anciens au pouvoir depuis 30 ans me hurlaient dessus en me traitant d’intégriste.”

Depuis l’opposition, son activisme irrite d’autant plus qu’il se double, aux yeux de certains, d’une trahison familiale. Son grand-père, le socialiste Henri Schlitz, a été bourgmestre de Liège au début des années 1990. Mesuré, discret, il était entré à l’hôtel de ville à la suite de l’affaire dite “des horodateurs” qui, déjà, souillait l’image du PS local. Son prédécesseur, Édouard Close, maïeur depuis 1977, avait reçu des pots-de-vin dans le cadre d’un marché public pour l’installation et la gestion des parcmètres communaux. “Mon grand-père est mort quand j’avais 14 ans, confie la secrétaire d’État. Je l’admirais beaucoup. Il ne parlait jamais pour ne rien dire. Il revenait pour ‘manger chaud’ à midi avec ma grand-mère et, donc, on le voyait tous les mercredis après l’école. Je me souviens qu’il léchait son assiette après avoir mangé et que cela énervait ma grand-mère… Quand il était bourgmestre, il avait un téléphone dans sa voiture, j’étais fascinée.

”Chirac, c’est l’arnaque”

Chez les Schlitz, le socialisme est la norme. Enfant, la petite Sarah organise par jeu des manifs en faveur de Lionel Jospin, opposé à Jacques Chirac au second tour des présidentielles de 1995. Sur un calicot bricolé, elle inscrit le slogan “Jospin, c’est bien, Chirac, c’est l’arnaque” et oblige une copine à défiler avec elle dans la cour de ses grands-parents. Plus âgée, dans son école, elle lance des pétitions lorsqu’une punition qui frappe un condisciple lui semble injuste. Malgré ce tempérament et une admiration restée intacte envers Laurette Onkelinx, ce n’est pas la voie de Jaurès ou de Vandervelde que suivra Sarah Schlitz.

La divergence survient à la fin de ses études. Elle fait Science Po à l’université de Liège et, pour son mémoire consacré au virage à gauche de l’Amérique latine durant les années 2000, elle part au Chili. Dans ce pays considéré comme le laboratoire du néolibéralisme, elle sympathise avec les étudiants et proteste avec eux contre l’inaccessibilité du système éducatif. Cette expérience constituera l’impulsion qui la décidera, à son retour en Belgique, à s’engager plus activement. Les puissants appareils de type PS la laissent sceptique. Elle rejoint ÉcoloJ, l’association des jeunes de la formation politique. À leurs côtés, ses réticences initiales à l’égard des verts, jugés trop peu sociaux, tombent rapidement. Après quelques mois, Sarah Schlitz prend des responsabilités dans la section liégeoise du parti.

Un couac vert

On sous-estime souvent la part des contingences dans ce qui fait, ou défait, une carrière. En 2018, en pleine campagne pour les élections locales d’octobre, Sarah Schlitz fait irruption dans le jeu fédéral sur une bourde. La députée Muriel Gerkens a accepté un peu rapidement la tête de la liste Écolo au scrutin provincial dans le canton de Visé. Elle ignorait l’incompatibilité décrétale entre l’état de parlementaire et la participation à ce type d’élection. Se rendant compte de son erreur, elle se résout à quitter la Chambre des Représentants pour le tranquille anonymat du conseil provincial. Sarah Schlitz achèvera son mandat. Elle conservera son siège aux élections de mai 2019, après avoir obtenu 17 728 voix de préférence, le quatrième score dans la circonscription liégeoise.

Avançons dans le temps, jusqu’au soir du mercredi 30 septembre 2020. Les négociations gouvernementales fédérales ont abouti. Les forces socialistes, libérales et écologistes se joignent au CD&V pour former la nouvelle majorité, la Vivaldi. Les militants d’Écolo doivent désormais approuver la participation de leur formation à cette coalition hétérogène et valider le casting ministériel. Les députés fédéraux des verts ont été réunis à part, dans l’arrière-salle encombrée d’un amphithéâtre de l’université de Namur. On écarte quelques caisses, on cherche des chaises. Qui deviendra ministre ? Qui restera sur les bancs parlementaires ? Ces moments sont toujours un peu cruels.

Sarah Schlitz, ex-secrétaire d'Etat.
Sarah Schlitz, ex-secrétaire d’Etat. ©JC Guillaume

Un portefeuille surprise

Afin de leur présenter leurs choix, les coprésidents Rajae Maouane et Jean-Marc Nollet quittent Bruxelles et rejoignent les parlementaires dans la capitale wallonne. La Mobilité et le poste de Vice-Premier iront à Georges Gilkinet, l’Environnement et le Climat à Zakia Khattabi. Mais, annoncent les coprésidents, un troisième département a été obtenu par Écolo : un secrétariat d’État à l’Égalité des genres, à l’Égalité des chances et à la Diversité. Les yeux des députés se tournent vers Sarah Schlitz, qui reste silencieuse. Plusieurs élus prennent la parole : ils estiment que c’est à elle que doit revenir ce portefeuille, son engagement en faveur des minorités le justifie. Maouane et Nollet approuvent.

Impair(s) linguistique(s)

À 33 ans, elle rentre au gouvernement. Elle va s’y illustrer rapidement par un impair mémorable. Nous sommes fin novembre 2020. Au parlement, la secrétaire d’État doit présenter les grandes orientations de sa politique. Mettant en pratique ses convictions, elle a fait rédiger sa note officielle en “écriture inclusive”, contournant la règle linguistique qui prévoit que le masculin l’emporte sur le féminin. Une interprète en langues des signes a également été conviée. Sarah Schlitz pense avoir tout prévu. Mais elle froisse la sensibilité flamande en ne s’exprimant qu’en français. Plus cuisant, les personnes sourdes ou malentendantes du nord du pays étaient exclues de son exposé puisque la langue des signes en français est différente de la langue des signes en néerlandais…

Quelques mois plus tard, par une décision laissée à sa discrétion, elle mettra en évidence les dissonances idéologiques entre les sept formations de la Vivaldi. Ihsane Haouach, diplômée avec grande distinction de la Solvay Business School, a été désignée par la secrétaire d’État comme représentante du gouvernement auprès de l’Institut pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Musulmane voilée au profil militant, elle rendra sa démission après un tir de barrage des libéraux francophones qui réclamaient le respect d’une stricte neutralité de l’État.

Depuis lors, un soupçon circule : en nommant Ihsane Haouach, Sarah Schlitz savait ce qu’elle faisait, elle a voulu provoquer un débat identitaire en faveur des “accommodements raisonnables”. La jeune écologiste s’en défend, assure n’avoir vu dans l’ancienne commissaire que le CV et les compétences. Sa décision serait également liée à sa vision du féminisme : “Le féminisme doit être inclusif, populaire, non élitiste, précise-t-elle. C’est aussi cela qui m’inspire quand je désigne Ihsane Haouach. C’est lié au combat pour que les femmes puissent s’habiller comme elles le veulent.” L’un de ses collègues au sein de l’équipe De Croo estime que Sarah Schlitz n’avait pas anticipé les difficultés potentielles de cette décision : “Elle est tellement dans le combat sur certains sujets qu’elle passe à côté de certaines évidences pour le plus grand nombre.

Ambiance familiale anticléricale

Poussée de realpolitik ou candeur, avoir suscité une polémique sur fond d’identité religieuse conduit à un paradoxe personnel. Cette laïque motivée a baigné, du côté paternel, dans une ambiance anticléricale. “On gueulait l’Internationale en finissant par ‘à bas les calotins‘, sourit Sarah Schlitz. Ma grand-mère en a toujours voulu à l’une de mes tantes car elle avait mis ses enfants dans l’enseignement catho. On en avait marre de la pression que la religion a pu mettre sur la société par le passé. Je ne suis pas croyante. Il est important que la religion ne s’occupe pas de l’organisation de la société. Mais tant qu’on n’interdit pas aux femmes d’avorter ou aux personnes du même genre de se marier, chacun a le droit de croire. C’est dans ce cadre qu’il faut défendre la liberté religieuse.

À la tête d’un département qui ne lui offrait que peu de pouvoir, la secrétaire d’État avait le doigt sur plusieurs lignes de fracture de la société. Les valeurs s’entrechoquent, la bataille culturelle fait rage dans des dossiers par nature minés : chacun a un avis sur ce que doit être l’égalité entre les hommes et les femmes ou sur l’ampleur de la place à réserver aux minorités, et à quel prix. Emportée par son style haut en couleur, Sarah Schlitz n’a sans doute pas été assez prudente dans ses décisions.

Elle a annoncé sa démission ce mercredi, après la polémique de trop. La N-VA et le député Sander Loones ont eu sa tête. En laissant son logo personnel être apposé sur des documents promotionnels d’associations subsidiées, son cabinet a commis une “maladresse”, selon elle. Cette entorse aux règles ne pouvait être acceptée par son parti – Ecolo – qui se présente comme le champion de la bonne gouvernance. Empêtrée dans les failles de sa défense, lâchée par les autres formations qui composent la majorité fédérale actuelle, la jeune écologiste ne pouvait plus rester en place. Elle poursuivra son combat pour l’égalité depuis les bancs du parlement.