France

Couronnement de Charles III : Bienvenue en 2050, où la monarchie britannique a été abolie

De notre envoyé spécial dans le futur,

Le Starbucks Coffee Palace se dresse dans toute sa splendeur devant la famille Miran, venue en touriste à Londres en ce mois de mai 2050. « Pouvoir y acheter du café, c’est fou. A mon époque, c’était la demeure d’Elizabeth II », raconte François, le père, un peu nostalgique devant ce qu’est devenu l’ex-palais de Buckingham. En entendant ce Frenchie évoquer l’ancienne reine d’Angleterre, les clients stoppent leurs achats et lui ordonnent un « shut up », tranchant avec l’habituel flegme britannique. Non pas que les Anglais sont devenus malpolis en trois décennies. Mais le sujet de la monarchie, qui s’est éteinte voici quinze ans, reste très sensible au pays.

Qui aurait pu croire en 2023, lors du couronnement du roi Charles III, qu’il serait le dernier souverain du Royaume ? « La monarchie est très ancrée dans le cœur des Britanniques », rappelait à l’époque * Christian Lequesne, professeur à Sciences Po et spécialiste des questions européennes. Excepté une parenthèse de onze ans au XVIIe siècle, après la décapitation de Charles Ier – décidément un prénom maudit -, les Britons avaient toujours connu un ou une monarque depuis plus de mille ans.

Et si dans le futur, la monarchie britannique était aux oubliettes ?
Et si dans le futur, la monarchie britannique était aux oubliettes ? – Ray Tang – Montage 20 Minutes

Une crise économique, sociale et alimentaire

Bien sûr, il y avait quelques signes d’étiolement ici et là. Un sondage YouGov, à quelques jours du couronnement de Charles III, montrait que « seulement » 58 % des Britanniques estimaient qu’un monarque était préférable à un chef d’Etat élu, contre 74 % en 2012. La défiance était encore plus marquée parmi la jeune génération, avec davantage de 18-24 ans favorables à un chef d’Etat élu (38 %) qu’à un monarque (32 %, et 30 % sans opinion). Et les trois quarts des jeunes se disaient « pas intéressés » par la famille royale. Des chiffres pourtant bien insuffisants, à l’époque, pour penser faire flancher la couronne : « Pour imaginer que la monarchie britannique soit destituée, il faudrait un évènement ou une crise majeure », prédisait * Laëtitia Langlois, maîtresse de conférences en civilisation britannique à l’Université d’Angers.

La crise majeure avait, elle aussi, des signes avant-coureurs. La semaine du couronnement de ce bon vieux Charles III, le 6 mai 2023, l’association caritative Trussell Trust, qui gère l’aide alimentaire dans le pays, annonçait des chiffres records en raison de la crise économique et sociale qui sévissait dans le royaume : 3 millions de colis de nourriture livrés en 12 mois, soit une hausse de 28 % à 54 % selon les régions.

Victoire du « non » au référendum sur la monarchie

Certes, comme le rappelait Christian Lequesne, « les classes populaires sont les plus favorables à la monarchie, la décorrélant de la question économique ». Mais, en bons Français que nous sommes, on sait qu’un peuple qui a faim a de quoi détrôner les rois. A la mort de Charles III, en 2035, alors que la crise économique s’aggrave et que les ventres se vident, un référendum a lieu au Royaume-Uni : la monarchie, stop ou encore ? « Le référendum est le seul moyen d’abolir le régime en place et d’en changer », indiquait en 2023 * Alterhis, vidéaste spécialiste en uchronie et dont la chaîne Youtube compte 350.000 abonnés.

Courte victoire du « non » au maintien de la couronne, dans l’espoir d’une meilleure redistribution des richesses. « Si la royauté rapportait aussi de l’argent à l’Etat, il faut rappeler qu’elle coûtait énormément aux contribuables, en plus de posséder une fortune considérable », expliquait Laëtitia Langlois. La somme exacte du butin royal restera un mystère plus grand que le sourire de la Joconde, mais Charles III possédait quelque 42 milliards d’actifs en 2022, selon Forbes. Or, « beaucoup de services publics britanniques auraient bien besoin de plus d’argent, et ça pourrait être une des conséquences positives de la fin de la monarchie : l’amélioration du système de soins, plus d’aides sociales… », poursuivait l’enseignante-chercheuse.

Budgets records pour la santé et l’aide alimentaire

Après la victoire du « non », charge au gouvernement de rendre le magot au peuple. Palais, possession et collection d’œuvres d’art sont revendus, afin de financer l’aide publique. « A part deux châteaux qui restent la possession de la famille Windsor, tout le reste revient à l’Etat », indique AlterHis. Fini aussi les taxes que payaient les Britanniques pour subvenir aux besoins de la couronne, estimés, selon le coût et les bénéfices de la monarchie, à une livre par an et par tête. Toujours ça d’économisé.

Et ce cas n’est pas unique dans l’Histoire outre-manche. Après l’exécution de ce fameux Charles Ier en 1649, les biens du souverain avaient été mis aux enchères. Le palais de Richmond avait notamment été vendu pour 13.000 livres sterling (1,8 million de dollars à notre époque) avant d’être démoli, et la collection royale de tableaux avait filé pour 35.000 livres (cinq millions de dollars actuels).

Un an après la mort de Charles III, l’année 2036 voit donc des budgets records pour la santé, l’éducation et l’aide alimentaire. Enfin. Si le ventre des Anglais est mieux rempli, tout n’est pas rose pour autant. « C’est assurément une révolution, le mot n’est pas trop fort, développee Laetitia Langlois. Un système millénaire auquel le peuple est très attaché. S’il abolit la monarchie, ce serait forcément à contrecœur. Il y a un lien presque affectif avec la couronne ». Même idée de basculement chez Christian Lequesne : « Le Royaume-Uni n’a même pas de Constitution. La fin de la couronne entraînerait un changement total de système, de Nation et de géopolitique. »

Naissance de la République-Désunie

Allons-y sur les conséquences. Qui dit fini les rois et les reines, dit fini le royaume, « techniquement lié », rappelle AlterHis. Bienvenue donc en République-Unie ? Eh bien pas vraiment non plus, puisqu’ « il est possible que l’alliance ne résiste pas à ce changement politique », continue Laetitia Langlois. Entre 2036 et 2040, l’Ecosse, aux fortes envies d’indépendance, fait ses valises, tout comme l’Irlande du Nord, qui en a profité pour se réunifier avec les Sudistes dans la joie. Le malheur des uns… Restés en tête-à-tête, l’Angleterre et le pays de Galles forment la République-Désunie.

Le Commonwealth, quelque 56 Etats et quinze royaumes affiliés au roi, touche également à sa fin. « Une mauvaise nouvelle économique pour de nombreux pays, tant les partenariats commerciaux sont importants pour certaines de ces Nations », appuie Laetitia Langlois. Loin de l’ancien empire où le soleil ne se couche jamais, la République-Désunie, bien seule, vit désormais dans l’ombre des grandes Nations. « La monarchie, aussi symbolique soit-elle, faisait partie du soft power de la Grande-Bretagne et était une arme diplomatique importante », poursuit Christian Lequesne.

Crise d’identité

Coté politique intérieure, peu de changement par contre. Pourtant fan des scénarios uchroniques les plus fous sur sa chaîne Youtube, Alterhis abonde : « Ca ne changerait pas grand-chose au fonctionnement de l’Angleterre. » Bien avant la mort de Charles III, la monarchie avait perdu au cours des siècles une très large partie de son influence politique sur la vie interne du royaume. « L’Angleterre pourrait être dirigée à la manière de l’Allemagne, avec un président élu sans réel pouvoir et un Premier ministre véritable chef d’Etat », imaginait Laetitia Langlois. Un peu comme en 2023, sauf que vous remplacez le roi par un président moins onéreux. Un système politique parlementaire, « auquel le peuple est très attaché », plaide la spécialiste. Les Anglais ont déjà perdu la monarchie millénaire, on ne va pas en plus leur retirer le Parlement.

C’est donc ce bon vieux Boris Johnson, auteur d’un 37e retour en politique, qui dirige cette République-Désunie bien affaiblie. Et meurtrie en plein cœur. « La monarchie fait partie de l’identité du pays. Sans elle, c’est tout un pan du socle social qui s’effondre, ainsi que le symbole du pays », prédisait Christian Lequesne. Voilà pourquoi les collections privées et autres joyaux de la couronne ont été vendus aux enchères pour garnir différents musées à travers le monde ; les palais rachetés et transformés en McDonald’s, Starbucks ou Apple store ; les terres exploitées par le gouvernement pour y bâtir des logements sociaux. De quoi remplir les caisses de l’Etat bien sûr, mais aussi tirer un trait définitif sur ce passé trop douloureux, comme on supprime les photos de son ex après une dure séparation.

La plaie encore vive

« La fin de la monarchie pourrait apporter de bonnes choses, mais après une période de troubles et de deuil », estimait Laetitia Langlois. Entre 2035 et 2045, c’est la décennie noire dans la République-Désunie, entre dépression, érosion des alliances géopolitiques et crise d’identité majeure. Les choses commencent à se remettre en place en ce mois de mai 2050, mais le sujet est un immense tabou, car la plaie est encore vive.

Nous sommes à quelques semaines de la Coupe du monde 2050, et le Starbucks Coffee Palace diffuse naturellement le match de préparation Angleterre-Brésil. Devant l’hymne national, « God saves the Republic and the people », François le voit bien : « Ca n’a plus rien du pays que je visitais quand j’étais gosse. » En se passant de la couronne, l’Angleterre s’est en partie sauvée. Mais s’est un peu perdue aussi.

* Vous l’aurez compris, ces interviews ont été faites en 2023 pour documenter cette fiction.