France

Armée : De Lyon à la Côte d’Ivoire, pourquoi la société « de sécurité et de défense » Corpguard interroge ?

« Il faut regarder ce qu’il se passe à côté de chez vous », affirme Tony Fortin, chargé d’études sur les ventes d’armes à l’Observatoire des armements de Lyon. En mai 2022, lui et Patrice Bouveret, cofondateur de l’association, ont publié un rapport intitulé La guerre se fabrique près de chez nous. Un rapport dans lequel ils « questionnent le rôle des entreprises d’armement et de maintien de l’ordre de la région Auvergne-Rhône-Alpes » dans les pays en guerre. Dans ce dossier de 28 pages, onze sociétés locales ont été passées au crible. « Certaines sont bel et bien associées aux guerres et répressions actuelles » et « contribuent, par la vente de leurs matériels et composants, à alimenter les conflits ou la répression de manifestations », résument les auteurs.

Tous deux se sont notamment penchés sur les activités de Corpguard, société domiciliée à Brignais, dans l’ouest lyonnais. « Pompier ou pyromane des conflits ? », titre ainsi l’Observatoire des armements dans le chapitre qui lui est consacré, s’interrogeant sur les missions de l’entreprise en Côte d’Ivoire en 2016 et demandant à l’Etat, à travers cet exemple, « une réglementation urgente de ces sociétés militaires privées (SMP) ». A l’heure où le groupe Wagner s’est retrouvé au cœur de l’actualité, 20 Minutes répond aux questions entourant la société Corpguard.

Que fait réellement Corpguard ?

« Corpguard est une entreprise de sécurité opérationnelle et de service de défense qui ne répond pas à l’appellation de société militaire privée », précise d’emblée David Hornus, son fondateur. Et d’ajouter : « Dès que l’on met les mots « militaire » et « privé » dans une même phrase, les gens pensent que c’est du mercenariat. Mais cela n’a rien à voir avec des groupes paramilitaires, car nous ne sommes pas engagés dans des opérations de combats en tant qu’acteurs non étatiques. »

« Non, je ne suis pas comme Wagner. Je ne suis pas armé, j’ai de l’éthique, je suis un processus précis et je suis transparent », insiste-t-il.

Le profil de ses clients est, dit-il, très varié. Ils peuvent être aussi bien des avocats que des ONG. La nature des prestations se résume à la « gestion de crises », précise encore David Hornus. « On peut faire des enquêtes d’investigation, mais aussi être négociateur dans des demandes de rançon », détaille-t-il. La société confirme travailler également avec des Etats, comme la Côte d’Ivoire, qui lui a demandé, en 2016, « d’assurer la formation d’un bataillon en mode opératoire de maintien de la paix », contre une rémunération de six millions d’euros.

En d’autres termes, la mission sur place consistait notamment à enseigner la « protection des civils » et à montrer comment intervenir en cas de manifestations. Tous ces aspects répondent à un cahier des charges, insiste David Hornus. « Pour cette mission, j’ai envoyé vingt consultants en tant qu’instructeurs. Aucun n’était armé, même s’ils ont effectivement donné des cours sur l’armement et le maniement des armes, se défend le PDG. Par ailleurs, il y avait aussi d’autres cours sur les dangers des mines ou sur l’égalité femmes-hommes. »

Selon Tony Fortin, Corpguard « joue sur les mots ». « A partir du moment où vous formez des soldats, vous faites du militaire, et on ne peut pas dire que c’est de la sécurité », estime-t-il.

Pourquoi Corpguard est pointé par le rapport de l’Observatoire des armements ?

En 2016, 1.000 soldats ivoiriens ont été formés, durant huit mois, par les équipes de Corpguard. Quatre ans plus tard, à l’approche des élections présidentielles, une dizaine de civils ont été tués et des centaines blessées « par les tirs de l’armée » lors d’une manifestation, rappelle l’Observatoire des armements.

« En quoi Corpguard a-t-elle rempli sa mission d’opération de maintien de la paix, se demande Tony Fortin. David Hornus nous a même avoué, lors d’un débat en janvier dernier, que les soldats qu’il avait formés s’étaient tous volatilisés. Est-ce que cela veut dire qu’ils sont allés dans d’autres zones de conflits ? Est-ce qu’ils utilisent leur savoir-faire pour d’autres missions que le maintien de l’ordre en Côte d’Ivoire ? »

L’observatoire ne manque pas, non plus, de s’interroger sur les activités passées de David Hornus. En 2003, l’homme a cofondé la société militaire privée Secopex, aujourd’hui dissoute. Cette SMP « s’est fait connaître de façon retentissante pour ses activités en Libye, agissant auprès du CNT [Conseil national de transition], représentant le gouvernement, elle était aussi introduite « dans les milieux terroristes » », note le rapport, qui revient sur les confessions d’un ancien officier français approché à l’époque par la société pour former des milices privées en Côte d’Ivoire. « La Secopex, ils sont très mal vus dans le monde militaire, ils mangent à tous les râteliers, il n’y a aucune éthique. Ils accepteront de travailler pour un chef d’Etat sanguinaire comme pour ses adversaires, pourvu qu’ils soient payés », dénonçait alors l’ex-soldat.

Aujourd’hui, David Hornus répond sans détour. « A l’époque, nous voulions être la première du genre à la française, et utiliser des anciens militaires pour aller sécuriser les intérêts français en Irak », confie-t-il sans gêne, avant d’affirmer avoir pris ses distances avec la société en 2006 et donc « n’avoir plus aucun lien avec les affaires libyennes ». Pas de quoi convaincre Tony Fortin. « Dans son ouvrage Danger Zone, on apprend qu’il gérait des missions depuis Lyon sur le territoire libyen », répond-il.

Quelle est la réglementation actuelle pour les SMP ?

David Hornus assure être « du côté des bons » et se vante d’ailleurs d’être le seul, de la dizaine d’entreprises de défense françaises, à être certifié de l’Icoca (le code de conduite international des entreprises de sécurité privée).

« Ça n’a pas de valeur juridique, contrairement à une loi nationale ou un traité, relève Tony Fortin. Il n’y a pas de réelle transparence. David Hornus a même été élu dans le comité des directeurs en 2019, il était donc juge et partie. On se pose alors la question, comment Corpguard rend-elle compte du respect des droits humains dans ce cadre-là ? Mais aussi, qui finance cet organisme ? »

Selon Tony Fortin, « les activités de conseils, comme de la formation aux tirs » devraient relever d’une autorisation gouvernementale. Or, « la dernière vraie loi date d’il y a vingt ans », rappelle-t-il. Elle concernait « la répression du mercenariat », interdisant « la participation directe aux hostilités, de même que toute activité de recrutement, formation allant de ce sens. »

Parce que les SMP ou autres sociétés de défense n’ont « aucun compte à rendre au gouvernement français » sur leurs activités, comme le confirme David Hornus, l’Observatoire des armements plaide pour « un vrai contrôle étatique ». Une question relativement délicate. « Les sociétés militaires privées servent à sous-traiter des activités qu’on ne veut pas assumer auprès de l’opinion publique. En cas de massacre, on dira que c’est de la faute de l’entreprise et pas de la France, explique Tony Fortin. L’Etat ne veut pas reconnaître ces entreprises pour éviter qu’il y ait un débat public dessus. »