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Sécheresse dans les Pyrénées-Orientales : A quoi ressemble une vie sans eau ?

D’un geste de la main, Rosette épouse les contours de son village. « Avant, il y avait des lavoirs, des fontaines partout. Aujourd’hui, tout est à sec. » Sur cette place de la petite commune de Bouleternère, le temps semblerait presque s’être arrêté. Comme tous les jours, Rosette tricote, en compagne de trois amis. Mais les sujets de conversation ont changé. Depuis le 14 avril, cette commune du Bas-Conflent, une vallée au pied de la chaîne des Pyrénées, n’a plus accès à l’eau potable. Tout comme celles de Corbère, Corbère-les-Cabanes et Saint-Michel-de-Llotes. Soit un peu plus de 3.000 personnes « en galère », dixit Raymond.

Deux jours plus tôt, le SIAEP, syndicat en charge de la gestion de l’eau des quatre communes, a annoncé la fin des prélèvements dans le forage d’eau potable, quasiment à sec. Depuis, l’eau qui coule du robinet est issue d’un branchement sur une source agricole. Impropre à la consommation, en attendant les résultats des analyses de l’ARS (agence régionale de santé).

La situation hydrique dans le département des Pyrénées-Orientales est tendue. « C’est angoissant. On est très inquiet pour l’avenir. Et la solution, on ne l’a pas », reconnaît Rosette. Depuis près d’un an, le département est placé en vigilance renforcée. Dans ce territoire frontalier avec l’Espagne, il ne pleut plus, ou presque. Les neuf stations de météo du département indiquent une sécheresse extrême sur les six derniers mois. Le niveau des retenues d’eau et des nappes phréatiques est inquiétant, à une période où tous les indicateurs devraient être à leur maximum. En début de semaine, l’eau a même complètement arrêté de couler dans les robinets à Corbère.

« L’eau est arrivée au village en 1956… Quel retour en arrière ! »

Michel est né il y a soixante-quinze ans à Bouleternère. « On avait une eau tellement bonne et pure, que de toute ma vie je n’ai jamais acheté une bouteille. A l’époque, ma mère me faisait des biberons avec l’eau d’ici. C’est la première année que l’on en manque ». A ses côtés, Jacotte ouvre aussi la boîte à souvenirs. « L’eau est arrivée au village en 1956. Et aujourd’hui, elle n’est plus consommable. C’est un sacré retour en arrière ». « On a été mis en garde pendant des années, mais, de façon générale, on n’y a pas fait attention. On l’a gaspillée en pensant qu’il y en aurait toujours, reconnaît Alexis. J’ai vu récemment une vidéo de Jean-Claude Van Damme, qui remonte à une quinzaine d’années, dans laquelle il disait adorer l’eau, mais que dans vingt, trente ans, il n’y en aurait plus. A l’époque, les gens se sont moqués de lui ».

Deux fois par semaine, les municipalités distribuent un pack de six bouteilles de 1,5 litre d’eau à chaque habitant. Pour le reste, il faut s’adapter. « On récupère l’eau autant que possible, par exemple celle avec laquelle on nettoie fruits et légumes, pour l’utiliser dans les toilettes, comme le faisaient nos parents, détaille Jeanne. A 82 ans, j’ai l’habitude de tout calculer et de faire attention à tout, mais il faut bien reconnaître que ce n’est pas évident. » 

Nadine, une habitante de Corbère-les-Cabanes, a bien tenté autre chose. « Je chante faux, alors j’essaie, mais ça ne fonctionne pas », sourit-elle. Avant de se faire plus grave. « L’eau c’est la vie. On espère que ce sera une année exceptionnelle. En attendant, les gens s’adaptent. Mais c’est compliqué pour les habitants des villages. Et ça l’est plus encore pour ceux qui habitent dans des mas, ne sont pas reliés au réseau et dont les forages sont à sec. Et puis, il y a les agriculteurs. Pour eux, ce qui se passe actuellement, c’est une catastrophe ».

Les incompréhensions des habitants

La situation est alarmante. Les questions nombreuses. Quasiment tous les habitants rencontrés s’interrogent sur la gestion du barrage de Vinça, qui constitue la plus grande réserve d’eau du département, et de son déstockage de l’automne. D’autres questions fleurissent, comme l’entretien des canalisations. « Il y a eu des travaux sur le forage principal, ça a cassé trois fois au même endroit, souligne Marylène. On n’a pas les compétences pour juger de ces travaux, mais on a quand même le droit de s’en étonner. En tout cas, on en souffre ». Ou encore des incompréhensions sur les constructions de nouveaux lotissements et de villas avec piscine, alors que l’eau manque déjà pour les populations présentes.

Ce jeudi, le préfet Rodrigue Furcy a réuni un comité sécheresse pour déterminer les nouvelles mesures de restrictions. Un comité sous tension alors que le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, s’est rendu dans le département pour constater les conséquences de la sécheresse. Les tensions autour de l’usage de l’eau sont fortes, qu’il s’agisse des besoins en eau potable pour les habitants, pour la nature, pour le tourisme avec une population démultipliée l’été ou pour la lutte contre les incendies. 

Les Canadair sont appelés à se réapprovisionner dans le barrage de Vinça pour lutter contre les feux de forêt, lorsque ceux-ci se déclarent à des endroits trop éloignés de la mer. L’incendie de Cerbère et Banyuls-sur-Mer du 16 avril qui a dévoré un millier d’hectares, a mis en lumière la sécheresse de végétaux devenus particulièrement combustibles, un avant-goût ce qui pourrait arriver cet été. Parmi les besoins, enfin, figurent ceux des agriculteurs, dont le sentiment d’être sacrifiés est de plus en plus vif.

A Bouleternère, l'eau est devenue une denrée précieuse. Celle qui coule au robinet n'est plus potable. Comme Jacotte, les habitants "la recylce autant que possible".
A Bouleternère, l’eau est devenue une denrée précieuse. Celle qui coule au robinet n’est plus potable. Comme Jacotte, les habitants « la recylce autant que possible ». – J. Diesnis / Agence Maxele Presse

« Le canal d’irrigation est ouvert pendant vingt-quatre heures tous les douze jours, mais ce n’est pas suffisant, constate Philippe Thorent, à la tête d’une petite exploitation, à Bouleternère. On va essayer de faire le dos rond. Mais on sait déjà qu’on va perdre une grosse partie de notre production. L’eau pouvait à peu près subvenir jusqu’à présent aux besoins des arbres. Mais d’ici une dizaine de jours, les fruits vont pousser et il va en falloir beaucoup plus si on ne veut pas perdre la récolte. Les besoins vont aller croissant. Et ce que l’on nous autorise est très insuffisant ».

Afin de tenter de préserver la ressource, la préfecture a baissé drastiquement le niveau des prélèvements dans la Têt, destinés aux agriculteurs. Le 24 avril, à l’appel de la FDSEA, ils ont manifesté leur mécontentement. C’est tout un pilier de l’économie des Pyrénées-Orientales qui est en sursis. En 2015, le secteur employait 4.900 personnes pour un chiffre d’affaires de 364 millions d’euros, soit le deuxième acteur économique des Pyrénées-Orientales, derrière le tourisme. Présidente du département, Hermeline Malherbe (PS) a écrit à Emmanuel Macron afin de « demander à l’Etat la mise en place d’un fonds de solidarité (…) pour garantir un soutien financier immédiat aux agriculteurs qui vont voir leurs récoltes anéanties, voire même leur outil de production disparaître ».

Le préfet l’a prévenu : « Il n’y aura pas suffisamment d’eau pour tous les usages (…) Les quantités disponibles sont très faibles ». Pour le moment, quatre villages n’ont plus d’eau potable. Combien seront-ils dans quelques mois, voire dans quelques semaines ? « On teste avant les autres ce qui risque de se généraliser dans un futur proche », prévient Marylène.