France

Fin de vie : « L’aide active à mourir ne serait pas nécessaire si on développait vraiment les soins palliatifs »

Après plusieurs mois d’auditions, de débats et de réflexion, les 184 membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie se sont prononcés en faveur d’une ouverture en France de l’aide active à mourir (AAM). Dans le même temps, Emmanuel Macron a indiqué vouloir traduire ce processus citoyen par une loi « d’ici à la fin de l’été 2023 ».

Des annonces qui divisent les soignants, animés par la même volonté d’accompagner au mieux leurs patients en fin de vie, mais qui pour nombre d’entre eux refusent de les aider à mourir. Dans son ouvrage Mourir sur ordonnance ou être accompagné jusqu’au bout ?* (éditions du Rocher), le Dr Véronique Lefebvre des Noëttes, psychiatre en gériatrie et docteure en philosophie pratique et éthique médicale, livre son témoignage de médecin sur la fin de vie, et plaide en priorité pour le développement d’unités de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire.

Vous écrivez dans votre ouvrage qu’à ce jour encore, on peut « mal mourir en France ». Pourquoi ?

C’est dû paradoxalement aux progrès de la médecine : on a cru pouvoir tout guérir, tout maîtriser, y compris la mort, dans une certaine utopie transhumaniste. Mais bien qu’elle soit devenue déritualisée, taboue et médicalisée, cette mort que l’on ne veut pas voir reste inéluctable. Dans notre société âgiste qui porte aux nues les valeurs d’autonomie, la vieillesse et la mort sont devenues obscènes. Regardez le sort réservé à nos vieux durant la crise Covid ! La société était prête à les sacrifier.

Et malgré la loi Claeys-Leonetti qui prévoit l’égal accès aux soins palliatifs, la réalité du terrain est tout autre. Dans mon hôpital, où je travaille depuis trente-sept ans, bien qu’il y ait 1.000 lits de gériatrie, il n’y a pas d’unité de soins palliatifs ! Et il y a encore à ce jour vingt et un départements qui ne disposent d’aucune d’unité de soins palliatifs.

Pourquoi n’y a-t-il pas à ce jour des soins palliatifs accessibles à tous, partout ?

Cela nécessite une volonté politique. Or, depuis trente ans, on en est au cinquième plan soins palliatifs, les textes se succèdent mais le politique n’a pas mis de moyens suffisants pour créer des emplois, afin que chaque personne en fin de vie puisse être accompagnée par des personnels compétents et formés à cette spécialité difficile. Au lieu de cela, le manque de moyens et de personnels entraîne une déshumanisation contrainte du lien entre soignants et patients, dont tous souffrent.

Des soins palliatifs de qualité coûtent cher : il faut de petites unités d’une douzaine de lits, beaucoup de soignants, des psychologues, des art-thérapeutes et des bénévoles. De telles unités existent, comme à l’hôpital Sainte-Périne ou à la maison médicale Jeanne-Garnier, où se rend la musicothérapeute Claire Oppert, qui vient jouer du violoncelle dans la chambre des mourants, à qui elle apporte réconfort et apaisement. Mais ce sont des exceptions.

Outre le manque de moyens, comment remettre davantage de lien et d’empathie dans l’accompagnement de la fin de vie ?

Par la formation : il ne faut pas apprendre uniquement à suivre des protocoles, mais aussi à avoir ce lien d’empathie avec son malade, pour l’accompagner au mieux dans sa fin de vie, savoir lui tenir la main, l’écouter, l’apaiser. Mon précédent livre, La force de la caresse, insiste sur l’importance fondamentale de cette empathie. C’est ce lien d’humanité là que je veux réhabiliter dans les soins palliatifs.

Un accompagnement empathique et éthique de la fin de vie requiert un travail constant de réflexion au sein des équipes pour élaborer, pour chaque patient, la prise en charge la plus adaptée pour éviter la douleur physique et les souffrances psychiques. Il faut en parler en amont, et débriefer en aval : est-ce que le patient est bien parti ? Aurait-on pu faire autrement ? Pour chaque cas, la fin de vie est toujours complexe.

Les membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie se sont prononcés en faveur de l’ouverture de l’aide active à mourir (AAM). Qu’avez-vous pensé de cette consultation et de ses conclusions ?

Sur la forme, c’est très bien de recueillir la parole des citoyens, mais pour un tel sujet, il aurait aussi fallu organiser une concertation avec les soignants, ce qui n’a pas été fait.

Le rapport préconise d’abord de développer les soins palliatifs, évidemment, je suis d’accord sur ce point. Il propose ensuite dix-neuf modèles d’accès à l’AAM, on verra ce que la représentation nationale en fera. Mais il me semble très compliqué de donner un nouveau cadre à la fin de vie alors qu’un cadre législatif complet existe déjà, mais qu’il n’a à ce jour toujours pas été mis en application. La France n’est pas en retard dans sa réflexion sur la fin de vie, mais déjà appliquons les lois existantes.

S’il existait un égal accès à des soins palliatifs de qualité sur l’ensemble du territoire, l’ouverture de l’AAM serait-elle encore plébiscitée par les malades selon vous ? N’auraient-ils plus envie de pouvoir choisir leur mort ?

Je pense qu’elle ne serait pas nécessaire si on développait un maillage territorial complet des soins palliatifs. Il y aura probablement toujours quelques cas irréductibles, à l’instar d’Anne Bert. Et il faut écouter la demande des patients d’en finir, mais lorsqu’on a pu penser en amont des conditions dignes de fin de vie, que l’on peut, où que l’on habite et quels que soient ses moyens, être pris en charge dans des unités dédiées, il y a un apaisement, qui met souvent fin à cette demande impérative.

En outre, qu’est-ce que choisir sa mort ? Est-ce un catalogue ou l’on choisit du curare ou du penthotal ? Le soignant devient-il un prestataire de services ? Il n’en est pas question, on ne maîtrise pas sa mort. En revanche, on devrait pouvoir en maîtriser les conditions.

En tant que médecin, comment appréhendez-vous l’éventuelle ouverture de l’aide active à mourir ?

Mal ! Nous avons prêté serment, notre vocation est de soigner, de soulager, pas de donner la mort, c’est brutal. A l’instar du ministre de la Santé François Braun, nous sommes 800.000 soignants opposés à l’euthanasie. Il y aura sans doute certains collègues, qui au nom des mêmes valeurs d’humanité que je défends, feront ce geste létal, mais moi non. S’il faut pousser la seringue, je le ferai, mais pour dispenser une sédation profonde et continue jusqu’au décès, comme je le fais déjà, comme c’est déjà prévu dans la loi.

Les soignants sont en souffrance depuis de longues années, ils ont été essorés par la crise Covid et ne voient plus de sens à leur métier. Et aujourd’hui, on nous dit que l’urgence c’est l’ouverture de l’euthanasie, comme s’il s’agissait d’un geste technique et d’un droit, c’est aberrant. Redonnons plutôt du sens aux métiers du soin, et favorisons le « bien vieillir » en France.