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L’Indonésie, l’archipel des rêves brisés des réfugiés: « Je quitte un pays où j’étais menacé de mort et je termine en prison comme un criminel »

Après avoir finalement obtenu sa carte de réfugié délivrée par l’Office du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), il sera pris en charge par l’Organisation internationale des migrations (OIM). Il se retrouve ensuite à l’Est de l’île de Java, à Sidoarjo dans un foyer d’hébergement réservé aux réfugiés. “C’est mieux que le centre de détention mais je ne suis pas libre. Je ne peux faire venir personne chez moi et nous avons un couvre-feu, explique-t-il.

Le HCR déplore un triste record de 110 millions de personnes déplacées de force

”Comme dans une prison à ciel ouvert”

Comme Zayeb, près de 7000 réfugiés afghans se retrouvent piégés dans ce lointain archipel, depuis parfois plus de 10 ans, dans un pays qui ne leur accorde aucun droit et où l’espoir d’une réinstallation dans un pays tiers s’amenuise au fil des années. Impossible également d’envisager un retour dans leur pays d’origine. La majorité des réfugiés afghans appartiennent en effet à l’ethnie Hazara, un groupe chiite minoritaire victime d’une persécution plus que centenaire et renforcée depuis le retour des Talibans au pouvoir en 2021. “Vous vous rendez compte je suis le seul de ma famille à être allé à l’université et je ne peux rien faire ici, déplore Zayeb. J’ai fui mon pays pour être libre mais ici on est comme dans une prison à ciel ouvert”.

L’Indonésie n’étant signataire ni de la Convention de 1951 ni du Protocole de 1967, relatifs au statut des réfugiés, elle n’accorde aucun droit ni protection à ces derniers. Ainsi les réfugiés ne peuvent travailler, étudier ou se marier. Une situation lourde de conséquences sur leur santé mentale. “J’ai déjà fait deux tentatives de suicide, lâche Zayeb. Ne vaut-il pas mieux mourir une fois plutôt que tous les jours à petit feu ?” Et sa situation est loin d’être unique. Selon des chiffres non officiels, 14 réfugiés se sont donné la mort depuis 2019.

Une aide minimale

“J’y ai pensé aussi plusieurs fois mais j’ai eu la chance de pouvoir quitter mon logement de l’OIM pour aller habiter dans le centre de formation pour lequel je suis bénévole depuis 2020. Cela m’a sauvé”, explique de son côté Zaki, arrivé il y a 8 ans à Jakarta, alors qu’il avait à peine 16 ans. Depuis deux ans, il dirige” Help for Refugees”, un centre de formation créé par et pour les réfugiés. “J’y suis d’abord allé en 2020 en tant qu’élève pour apprendre l’anglais, puis je me suis impliqué en tant que bénévole pour être professeur avant de devenir directeur du centre”. Et tenter, malgré l’insoutenable absurdité de la situation, de trouver un sens à son existence. Trouver un sens mais aussi des ressources financières. Ne pouvant travailler, les réfugiés vivent avec une allocation mensuelle versée par l’OIM de 1 250 000 IDR soit l’équivalent de 77 euros seulement. Un montant dérisoire bien en deçà du plus faible salaire minimal de l’archipel, qui s’élève à 120 euros environ. “Avec mon travail chez Help for refugees, je reçois 1 500 000 IDR de défraiements (soit environ 92 euros) en plus de ma solde de l’OIM” détaille Zaki. Certains tentent de trouver des petits boulots, de façon illégale mais dans l’angoisse permanente d’être arrêtés et envoyés en centre de détention.

Ce n’est pas une vie, c’est de la survie ici, déplore Zayeb. J’ai gâché 10 ans de ma vie mais je m’accroche à l’idée d’avoir une vie normale dans un autre pays”. Pourtant les chiffres n’appellent pas l’optimisme. En 2020, seuls 403 réfugiés ont été relocalisés et 457 en 2021. Sur son site, l’UNHCR qui gère le processus de réinstallation, vient doucher les maigres espoirs écrivant noir sur blanc que “de nombreux réfugiés en Indonésie ne seront jamais en mesure d’être relocalisés”.

Le “sponsoring migratoire” comme planche de salut

”Mon dossier est prêt depuis 2019 pour partir aux États-Unis, mais en attendant j’ai lancé une autre piste, celle du parrainage privé de réfugiés proposé par le Canada et indépendante du UNHCR”, explique encore Zayeb. Depuis 1979, le Canada a été le premier pays à mettre en place ce programme de sponsor privé pour les réfugiés qui nécessite de trouver un groupe de parrains établis au Canada et de réunir la somme de 16 500 dollars canadiens (soit un peu plus de 11 000 euros). Sur une plate-forme de financement participatif, Zayeb a posté une vidéo de lui retraçant son parcours. À ce jour, il a déjà levé 8 553 dollars, soit la moitié des fonds. Et peut-être l’espoir de sortir enfin vivant de son désert des Tartares.

(*Prénom d’emprunt)


Le piège australien

À partir de maintenant, tout demandeur d’asile qui arrivera en Australie par bateau n’aura aucune chance d’être autorisé à rester dans le pays comme réfugié”. C’est par cette déclaration en juillet 2013, que le Premier ministre australien de l’époque Kevin Rudd, a fermé les frontières de son pays aux réfugiés et demandeurs d’asile passant par l’Indonésie pour atteindre leur destination finale, au nom de la lutte contre l’immigration clandestine.

Sous la législature suivante, Scott Morrison, qui était alors ministre de l’Immigration, ira un pas plus loin en déclarant qu’à partir du 1er juillet 2014, l’Australie n’accueillerait plus de réfugiés reconnus comme tels par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Indonésie. Canberra utilise alors l’Indonésie comme la pièce maîtresse de l’externalisation de sa politique migratoire à travers notamment le financement de l’OIM.

Selon une étude de l’Université de Melbourne de 2019, l’Australie finance en effet l’institution à hauteur de 80 % en Indonésie. Des fonds qui permettent de financer les centres de détention, les pensions et les 42 foyers déployés à travers l’archipel. “Sans les largesses financières australiennes via l’IOM, il est fort à parier que l’Indonésie n’aurait pas accepté de garder ces milliers de réfugiés”, observe Antje Missbach, professeure spécialiste des questions migratoires à l’Université de Bielefeld en Allemagne. Mais depuis 2018, l’Australie se montre moins généreuse et a annoncé des coupes dans les financements de l’OIM. Ainsi les réfugiés et demandeurs d’asile arrivés en Indonésie après 2018 ne bénéficient-ils ni de l’allocation ni du logement.