Algérie

Cotex, Awane, Bimbies… Entretien exclusif avec Aziz Khoufi, Directeur chez Faderco

Avec un parcours hors du commun, Faderco est une entreprise algérienne pionnière dans le domaine des produits d’hygiène corporelle. Précurseur dans ce secteur, Faderco a participé activement au Sustainable Economy Forum organisé au CIC les 6 et 7 novembre 2023. Cet engagement envers la durabilité, profondément enraciné dans l’ADN de Faderco, se traduit par des actions concrètes visant à réduire son empreinte environnementale, à encourager l’innovation durable et à promouvoir la responsabilité sociale. 

Dans cette interview exclusive, Monsieur Aziz Khoufi, Directeur du développement du business chez Faderco, nous ouvre les portes de cette entreprise innovante. Il nous dévoile en détail les multiples facettes de son fonctionnement, mettant en lumière ses stratégies de croissance, son engagement envers la qualité, l’innovation et l’environnement. Monsieur Khoufi partage également sa vision sur le positionnement de Faderco à l’échelle mondiale, tout en abordant les défis relevés et les opportunités à saisir dans un contexte économique en constante évolution.

Faderco a connu une croissance soutenue au cours des 30 dernières années. Pouvez-vous nous donner un aperçu des principales étapes de ce parcours remarquable et de l’évolution de l’entreprise ?

Faderco a vu le jour en 1986. Si je résume l’histoire du groupe, je dirai qu’elle se divise en cinq étapes majeures. La première, de sa création jusqu’en 1999, qui fut une période où le contexte économique algérien ne laissait guère de perspectives de croissance pour un petit groupe. Nous étions alors davantage axés sur les dérivés de coton, avec la modeste marque que vous connaissez aujourd’hui sous le nom de Coty’lys, représentant actuellement environ 80 % du marché des dérivés de coton en Algérie. En 1999, c’était l’année de transition où le groupe a entamé ses activités dans l’hygiène féminine. À cette époque, il s’agissait de la marque Amane, qui s’est transformée aujourd’hui en la marque Awane, et qui est le porte-étendard du groupe, comme étant la première marque d’hygiène féminine en Algérie.

Cette première phase a été consolidée entre 1999 et 2009, marquée par un développement accru, notamment par l’industrialisation du groupe avec l’ajout de lignes de production. Nous nous sommes alors profondément engagés dans le secteur industriel. En 2009, un tournant décisif s’est opéré : le groupe a décidé de poursuivre son développement et de se diversifier dans l’hygiène corporelle. À partir de cette date, nous avons investi dans les segments de l’hygiène papier, de l’incontinence adulte et des lingettes imprégnées. Nous avons également mis en place notre propre filiale de distribution, conscients que le marché algérien exigeait un contact direct avec les consommateurs pour offrir nos produits dans les meilleures conditions et délais. Cette deuxième étape, de 2009 à environ 2012, a été courte, mais intense, car le groupe commençait à construire une solide assise à travers une diversification de produits.

En 2012, un véritable tournant industriel a eu lieu avec le démarrage de notre première unité de production à Sétif, principalement dédiée aux produits d’hygiène corporelle. Cela a marqué le début de notre quatrième phase, caractérisée par la consolidation de nos infrastructures industrielles et un développement en amont. En 2015, nous avons inauguré notre premier site de production de bobines de ouate de cellulose à Sétif. Par la suite, une troisième unité de production spécialisée dans la transformation du papier, notamment sous la marque Cotex, a été ajoutée. En 2019 et 2020, nous avons lancé la quatrième unité de production, spécialisée dans la fabrication de bobines de ouate de cellulose. Ainsi, jusqu’en 2021, nous avons achevé cette quatrième phase.

La cinquième phase, que nous vivons actuellement, se concentre sur la diversification en amont et l’internationalisation. Nous avons pris pied sur de nombreux marchés internationaux. Par exemple, cette année, nos exportations de bobines de ouate de cellulose dépasseront les 27 000 tonnes, principalement destinées au marché européen. Cela fait de nous le premier exportateur de bobines de ouate de cellulose à destination des pays européens. En cette année de clôture, nous détenons 51 % de parts de marché localement, consolidant ainsi notre position. À l’échelle internationale, le chiffre d’affaires que nous réalisons représente environ 20 % du volume d’affaires global du groupe.

La logistique et la distribution sont au cœur des priorités de Faderco. Comment la création de Difex en 2011 a-t-elle renforcé la proximité avec les consommateurs, et quel rôle joue cette filiale dans la stratégie globale de l’entreprise ?

En 2009, au démarrage, notre part de marché représentait moins de 10 % du marché algérien. Nous avons rapidement constaté que dans un marché dominé par les grossistes, la tâche de lancer de nouveaux produits, de les amener rapidement aux consommateurs tout en restant compétitif et accessible en termes de prix était complexe. C’est ainsi que nous avons initié la création d’une filiale de distribution avec pour objectif principal de couvrir un maximum de points de vente et d’assurer une disponibilité optimale de nos produits.

Cette année, nous avons atteint la couverture directe de plus de 52 000 points de vente grâce à nos équipes qui comptent 360 personnes, assurant une présence régulière sur l’ensemble des segments de vente, de la pharmacie aux cosmétiques en passant par les supérettes et même les grossistes. Cette diversification nous permet d’être présents partout, soutenus par un système d’information intégré qui nous permet de mesurer et de gérer les données quotidiennement. Cette synchronisation des informations est essentielle pour optimiser nos actions.

Ce système nous a grandement aidé à garantir une disponibilité constante sur le marché tout en réduisant les coûts logistiques. Dans un pays aussi vaste que l’Algérie, cette efficacité logistique est cruciale. Nous nous concentrons sur plusieurs indicateurs, notamment le taux de chargement moyen de nos fourgons, où nous avons réussi, au cours des cinq dernières années, à réduire le coût logistique de près de 5 %. Ce gain est significatif et impacte positivement plusieurs aspects, y compris sur le plan écologique, réduisant notre empreinte carbone en utilisant moins de fourgons pour atteindre les mêmes objectifs de distribution.

Faderco propose une gamme étendue de marques telles que Awane, Bimbies, Cotex, etc. Comment l’entreprise maintient-elle la qualité et l’innovation à travers ces différentes marques pour répondre aux besoins variés des consommateurs ?

La qualité constitue notre priorité, ancrée profondément dans notre approche industrielle. Au sein de nos équipes opérationnelles, la qualité est notre règle cardinale, surpassant même la productivité. Notre engagement envers la sécurité et la qualité est primordial pour assurer la protection de nos équipes et la garantie d’un produit optimal. Nous responsabilisons ceux qui opèrent sur nos lignes de production en les plaçant au cœur du contrôle qualité, bien avant même toute intervention de superviseurs.

Notre équipe dédiée au contrôle qualité effectue un travail minutieux, débutant par l’analyse des matières premières dès leur réception chez nos fournisseurs. Ces derniers sont soigneusement sélectionnés selon des critères de certification rigoureux, garantissant ainsi la stabilité et la qualité de nos approvisionnements. Nous réalisons également des tests approfondis sur nos produits pour nous assurer de leur qualité avant leur arrivée sur le marché. De plus, nous mandatons deux cabinets indépendants, dont un cabinet allemand spécialisé en hygiène féminine et hygiène bébés, pour une validation externe de nos produits disponibles sur le marché.

Cependant, notre ultime baromètre de qualité reste le consommateur lui-même. Nous accordons une grande attention à ses retours et évaluations. En plus des méthodes classiques telles que le numéro vert, nous entretenons des relations étroites avec environ 2000 professionnels de la santé, notamment des gynécologues, des pédiatres et des sages-femmes. Leur expertise et leurs retours sont essentiels pour nous. L’année dernière, nos interactions directes avec plus de 500 000 personnes sur le terrain ont été enrichissantes pour comprendre leurs attentes et garantir la qualité de nos produits.

Cette démarche nous fournit une vision globale du marché, nous permettant de proposer constamment des innovations adaptées aux attentes des consommateurs. Rien qu’en 2023, nous avons lancé plus de 36 innovations parmi un portefeuille global de 191 références. Certaines de ces innovations peuvent être majeures ou mineures, mais toutes sont conçues pour apporter une valeur ajoutée au consommateur. Notre principal objectif demeure de maintenir un niveau de satisfaction élevé pour nos marques.

Faderco est partenaire du Sustainable Economy Forum. Pouvez-vous nous expliquer comment l’entreprise intègre-t-elle des pratiques durables dans sa chaîne d’approvisionnement et quel impact cela a sur ses produits ? Et quelles sont initiatives spécifiques pour réduire son impact environnemental ?

Notre politique en matière de Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) est un pilier fondamental pour notre groupe depuis 2014. À cette époque, nous avons amorcé notre démarche en certifiant nos produits. Initialement, nous transformions du papier, mais en intégrant des bobines de cellulose labellisées FSC, ce label atteste que nos fournisseurs respectent l’environnement, assurant la replantation des arbres abattus pour produire la fibre de bois nécessaire pour la production de papier.

Notre engagement ne s’arrête pas là. Nous avons identifié des ressources rares dans le bassin méditerranéen, notamment l’eau, et travaillons en collaboration avec nos partenaires techniques suédois pour réduire la consommation d’eau nécessaire à la fabrication de nos bobines de bois de cellulose. Grâce à cette collaboration, nous avons déjà réduit cette consommation de 30 %, nous plaçant bien en dessous des normes internationales, avec moins de 4 mètres cubes par tonne produite, alors que la norme mondiale tourne entre 5,5 et 6 mètres cubes.

Au-delà de nos fournisseurs, nous travaillons en interne sur l’utilisation de plastiques, essentiellement issus de l’industrie pétrolière ou gazière, pour nos emballages. Ces deux dernières années, nous avons réduit de près de 4 % l’utilisation de plastique, optimisant nos emballages et réduisant ce qui n’est pas nécessaire pour minimiser les déchets plastiques. Nous avons été la première entreprise à signer, cette année, un partenariat avec l’Agence nationale des déchets (AND) pour le label Eco Jem, finançant ainsi le programme national de collecte et de recyclage des déchets plastiques issus de nos propres emballages.

En parallèle, nous participons activement à l’effort national de replantation avec la Direction générale des forêts (DGF) En effet, nous nous sommes engagés sur un contrat de cinq ans en replantant un million d’arbres, et ce, en touchant aussi bien les arbres forestiers que les caroubiers. Cette année, nous avons donc réussi à replanter 52 000 caroubiers, cela fait partie de notre engagement pour le soutien aux femmes rurales, car le caroubier représente une source de revenus pour ces femmes.

Sur le plan énergétique, nous travaillons à réduire notre consommation d’électricité, bien que son coût soit peu élevé en Algérie. Bien qu’il ne soit pas encore normalisé, notre site de Sétif 4 utilise des techniques de construction permettant de maximiser la lumière naturelle et de réduire la consommation électrique jusqu’à 30 % par rapport à un site équivalent. Et ça sera également le cas pour nos futurs sites.

Notre engagement en matière de RSE s’étend également à la sensibilisation interne, avec le recyclage du papier et du plastique au sein de notre administration. Nous partageons les résultats avec nos collaborateurs, mettant en avant nos accomplissements et leur impact sur l’environnement, cette année, par exemple, deux arbres ont été sauvegardés grâce au recyclage du papier.

En termes de projets à venir, nous travaillons sur la valorisation de ressources locales, un domaine sur lequel nous n’avions pas encore investi. Nous sommes en cours de développement de deux projets qui pourraient marquer une première dans l’incorporation de ressources locales dans nos produits, prévus pour 2024.

Faderco emploie plus de 350 personnes à travers Difex. Comment ces initiatives contribuent-elles à l’emploi local et au développement social dans les régions où l’entreprise est présente ?

Notre groupe compte 2100 employés au total, répartis sur six sites industriels, dont un aux Eucalyptus (Alger) et cinq autres à Sétif. En outre, nous avons environ 43 plateformes logistiques entre Difex et les partenaires nationaux, ce qui signifie que Faderco emploie des personnes dans presque toutes les wilayas du pays, à l’exception de deux ou trois wilayas de l’extrême Sud.

Actuellement, notre impact se manifeste à trois niveaux : l’emploi direct, les emplois indirects et les métiers associés aux activités de base de Faderco. La logistique est une part importante de nos opérations. En somme, nous comptons plus de 2000 employés, tandis que ceux collaborant directement et régulièrement avec nous dépassent les 4000. Ainsi, directement et indirectement, environ 6000 personnes travaillent avec notre groupe.

Nous avons reçu des certifications significatives l’année dernière. Le label Best Place to Work a été décerné à notre administration, tandis qu’au niveau industriel, nous avons obtenu une reconnaissance pour nos meilleures pratiques grâce à un cabinet international. Ces certifications témoignent de notre engagement à offrir des conditions de travail optimales pour nos employés, favorisant leur épanouissement dans un environnement de qualité.

Sur le volet commercial, tous nos employés bénéficient d’avantages, y compris une couverture mutuelle. Ils reçoivent également des formations régulières, notamment ceux qui travaillent à distance, avec une session tous les trois mois. Cette approche vise à maintenir une proximité nécessaire avec l’entreprise, surtout pour ceux éloignés géographiquement, afin de renforcer le sentiment d’appartenance, un défi majeur que nous relevons au quotidien.

Avec 1 600 collaborateurs et 11 marques, quelles sont les aspirations de Faderco pour l’avenir ? Comment l’entreprise compte-t-elle maintenir son succès tout en restant alignée sur les tendances du marché et les attentes des consommateurs ?

Notre ambition est clairement définie. D’ici à 2025, nous visons à dépasser les 55 % de part de marché sur notre marché domestique tout en renforçant notre présence sur les marchés internationaux ciblés, où nos marques sont déjà bien établies, notamment en Tunisie, au Sénégal et en Mauritanie.

Notre objectif est d’étendre cette présence à toute l’Afrique de l’Ouest et du Nord. Cette internationalisation est rendue possible grâce au savoir-faire algérien qui, fort de notre segment de marché, nous permet de proposer un rapport qualité-prix compétitif, malgré notre arrivée tardive sur ces marchés.

Sur le plan industriel, notre stratégie repose sur l’intégration. Nous prévoyons, l’année prochaine, de mettre en production une nouvelle unité à Sétif dédiée à une autre matière première. Cette intégration vise à réduire notre dépendance vis-à-vis des importations, à renforcer notre autonomie et à valoriser davantage nos matières premières.

Par ailleurs, la culture d’entreprise reste un pilier essentiel sur lequel nous investissons. Nous préparons actuellement nos équipes dirigeantes pour les phases 2026-2027, en formant des jeunes talents qui deviendront le moteur du groupe dans les années à venir. Nous prévoyons également des développements l’année prochaine, restant fidèles à notre domaine d’activité dans les produits d’hygiène, mais en étoffant notre offre pour offrir plus de valeur ajoutée aux consommateurs, d’abord en Algérie puis à l’international.

En outre, nous nous orientons vers la spécialisation des produits. En Algérie, la distinction entre produits grand public et produits professionnels n’était pas toujours claire, surtout dans les domaines d’importation. Depuis trois ans, nous avons lancé la marque Cotex pour le papier grand public et une marque professionnelle distincte, répondant aux besoins spécifiques des professionnels. Nous constatons une croissance significative cette année et prévoyons un développement industriel accru dans les années à venir, notamment en répondant mieux aux besoins du consommateur algérien, en proposant de nouveaux produits plus adaptés à ces demandes.

En tant que Directeur du développement des affaires, comment voyez-vous le rôle de Faderco dans le paysage économique et social de l’Algérie dans les années à venir ?

En 2017, comme nous l’avons souligné, chaque pays a ses particularités en matière de développement et de vente. L’Algérie bénéficie d’un avantage certain, grâce à la taille de son marché intérieur et à son potentiel de croissance. Malgré une population d’environ 45 millions d’habitants, la capacité de consommation est notablement élevée.

Nous sommes le premier marché d’hygiène féminine en Afrique, ce qui témoigne d’un fort taux de consommation. De même, nous occupons une position de premier plan sur le marché de l’hygiène adulte en Afrique. Ces statistiques indiquent des perspectives prometteuses pour le marché local.

Notre rôle est double : local et international. D’abord, démontrer qu’en tant que groupes locaux, nous pouvons apporter une approche différente, éloignée des schémas traditionnels de développement familiaux. Assumer un leadership sur le marché local va au-delà du volume ; cela implique d’incarner nos marques et nos pratiques pour atteindre des normes internationales. Il s’agit de prouver qu’en Algérie, des entreprises locales peuvent rivaliser avec des groupes internationaux.

Ensuite, nous ambitionnons de faire de l’Algérie un hub pour certains segments de marché, y compris le nôtre. L’avantage en termes de coût de l’énergie est un atout que nous devons exploiter. Dans notre cas, la production de papier nécessite une consommation énergétique significative, ce qui nous rend compétitifs par rapport aux pays voisins, qu’il s’agisse de l’Europe du Sud ou de l’Afrique du Nord. Nous souhaitons capitaliser sur cet avantage pour faire de l’Algérie un centre de production majeur, notamment pour la ouate de cellulose et d’autres produits de notre secteur.

Il est important de mentionner que nous avons été pionniers en tant que premier groupe local à participer à des foires à Dubaï (EAU) et à divers événements en Europe pour notre segment de marché, un domaine dans lequel l’Algérie n’avait jusqu’alors aucune représentation. Cela démontre notre volonté de placer le nom de Faderco comme une entreprise algérienne et en tant qu’acteur majeur dans ce secteur.

Un mot pour la fin ?

Enfin, un dernier point essentiel à souligner est que dans les prochains jours, nous devrions réaliser nos premiers chargements à destination de l’Amérique du Nord. Avant la fin de l’année, nos produits phares seront disponibles sur les marchés d’Europe et d’Amérique du Nord en tant que produits finis, une avancée majeure pour nous. Cette opération ne vise pas uniquement les marchés ethniques, mais une grande chaine de distribution locale à grande échelle, et l’année prochaine, nous étendrons également nos activités en Europe.

Pour conclure, je tiens à répéter quelque chose que j’affirme lors de toutes mes réunions, notamment celles avec les administrations. L’Algérie regorge d’opportunités, à condition que les moyens soient mis à disposition et que les individus croient en leurs projets. Ce que je partage aujourd’hui résulte de ces quinze dernières années passées au sein du groupe, durant lesquelles j’ai été témoin de nombreuses évolutions. Rien n’a été acquis sans travail acharné. Il est maintenant crucial que chacun croie en ces opportunités et reçoive le soutien nécessaire pour les concrétiser.