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Importations de céréales d’Ukraine : l’Union européenne dénonce les interdictions “inacceptables” de certains États membres, mais cherche des solutions

La Pologne gagne en influence, mais rate l’occasion de devenir un poids lourd de l’Union européenne

Lundi, la Commission a commencé par mettre les points sur les i et rappelé que la politique commerciale était une “compétence exclusive de l’Union”, qualifiant d’“inacceptables” ces décisions unilatérales, dont la base légale n’est “pas claire”. L’exécutif européen s’est cependant gardé de parler de sanctions, disant vouloir chercher des solutions et dégager un nouveau paquet d’aides pour les pays concernés. “Les États membres, dont la Pologne, ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour aider l’Ukraine. Notre objectif n’est pas de créer des difficultés pour les populations de l’UE”, a précisé Eric Mamer, porte-parole de la Commission.

Des efforts inédits

Les mécanismes inédits, mis en place en un temps record pour fluidifier les échanges commerciaux avec l’Ukraine et soutenir son économie, sont censés faire la fierté des pays européens. Le 4 juin, les droits de douane et les quotas pour tous les produits venant d’Ukraine ont été suspendus pour un an. Et “des voies de solidarité” ont été créées, pour faciliter l’importation et le transport (par train, routes ou rivières) des marchandises sur le territoire européen.

Cela vaut notamment pour les exportations de céréales ukrainiennes, dont le transit par la mer Noire a été profondément affecté par l’agression russe. L’enjeu était de soutenir l’économie de l’Ukraine, les produits agricoles représentant 20 % de ses recettes d’exportation annuelles. Mais aussi de pallier la crise alimentaire, provoquée par la pénurie de céréales ukrainiennes bon marché, destinées en grande partie à l’Afrique.

L’Europe se presse d’aider l’Ukraine à exporter ses céréales malgré le blocus russe, un « défi gigantesque »

La Commission s’est efforcée lundi de rappeler ce succès européen, qui a joué un rôle dans la “chute significative” des “prix du blé sur les marchés mondiaux”. En 2022, les exportations agroalimentaires de l’UE ont augmenté de 31 % par rapport à 2021, à destination de pays comme l’Algérie, le Maroc, l’Égypte et le Nigéria. Ces chiffres incluent les céréales ukrainiennes qui, une fois sur le territoire de l’UE, intègrent le marché européen (et ses statistiques) et peuvent y circuler librement.

Un défi politique

D’où aussi le problème que rencontrent actuellement les pays d’Europe centrale et orientale. Les céréales et autres produits d’Ukraine étaient censées transiter par l’Union, avant d’être exportées vers d’autres régions du monde. Mais en pratique, l’acheminement vers les ports européens rencontre des difficultés logistiques, tandis que la demande mondiale semble connaître une baisse. Résultat : les marchandises ukrainiennes s’entassent dans les États membres voisins et finissent par se retrouver sur les marchés de ceux-ci, au grand dam des agriculteurs locaux qui voient alors le prix de leurs produits baisser. En effet, l’UE ou les États membres “ne déterminent pas qui sont les clients des produits” ukrainiens, a précisé lundi M. Mamer, ajoutant que “la destination finale” est “l’affaire des acteurs économiques”.

En janvier, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie avaient donc tiré la sonnette d’alarme au niveau européen. En mars, la Commission a mis sur la table un paquet d’aides de 56,3 millions d’euros pour la Roumanie, la Bulgarie et la Pologne, pour “compenser” les pertes financières des agriculteurs. Mais le mécontentement a continué d’enfler notamment en Pologne, dont le ministre de l’Agriculture a démissionné et où des agriculteurs ont tenté mercredi dernier de bloquer une ligne ferroviaire à la frontière avec l’Ukraine.

À l’approche des élections générales de cet automne, les ultraconservateurs au pouvoir à Varsovie ont donc voulu marquer le coup : l’interdiction s’appliquera jusqu’en juin aux importations de céréales, mais aussi à des produits comme le sucre, la viande, les fruits et légumes, ou le lait venant d’Ukraine. La Slovaquie se dirige également vers des législatives en septembre. La Hongrie affiche, elle, une posture de plus en plus ambivalente sur la guerre en Ukraine, maintenant une certaine proximité avec la Russie. Quant à la Bulgarie, le pays peine encore à sortir de l’instabilité politique et à se trouver un gouvernement après les élections du 2 avril.

La question des importations de céréales ukrainiennes est “surtout politique”, notait un fonctionnaire européen lundi. À plus long terme, elle illustre aussi les défis énormes que posera l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne, dont elle serait le cinquième plus grand pays. Alors que, note la même source, ce sont justement les pays d’Europe centrale et orientale, à commencer par la Pologne, qui appellent à faire rentrer l’Ukraine dans l’Union “déjà hier”, à savoir le plus rapidement possible.