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De la Maison-Blanche à la prison : quel avenir pour Donald Trump après son inculpation ?

Les charges retenues contre Donald Trump n’ont, conformément à la procédure, pas été rendues publiques – elles ne le seront sans doute pas avant la comparution de l’ancien Président devant un juge pour qu’elles lui soient officiellement signifiées (cette audience pourrait avoir lieu mardi prochain à Manhattan, selon certaines sources). Ce que l’on sait, c’est qu’il s’est trouvé une majorité, parmi les vingt-trois membres du “grand jury” populaire chargé d’examiner le dossier, pour conclure à la nécessité d’inculper le prévenu.

Une relation extraconjugale

On sait aussi que l’affaire concerne les 130 000 dollars versés, pour le compte de celui qui était alors le candidat républicain à l’élection présidentielle de 2016, à une actrice porno, Stormy Daniels. De son vrai nom Stephanie Clifford, cette ancienne stripteaseuse de Baton Rouge, en Louisiane, avait alors menacé de révéler, dans la presse, qu’elle avait eu “une relation sexuelle consentie” avec Donald Trump en juillet 2006, soit un peu plus d’un an après son mariage avec Melania, et quatre mois après la naissance de leur fils Barron.

Pour faire taire l’inoubliable interprète de “Da Vagina Code” ou de “Girls on Top”, l’avocat de Donald Trump, Michael Cohen, négocia un accord financier et fit le paiement, quelques semaines avant l’élection. Le secret fut bien gardé, jusqu’aux révélations du “Wall Street Journal” en janvier 2018. Dans l’émission “60 Minutes” de CBS, Stormy Daniels les confirma deux mois plus tard, avant de publier, en septembre, “Full Disclosure” (“Déballage total”), le récit détaillé et pimenté de sa relation avec celui qui était entre-temps devenu le 45e président des États-Unis.

“Perp walk”, empreintes et photos judiciaires : l’humiliation que redoute Donald Trump

Les cochonneries de Trump

Donald Trump a toujours nié avoir entretenu cette liaison. Le paiement, en revanche, ne fait plus aucun doute depuis que Michael Cohen a reconnu, dès février 2018, l’avoir effectué, en “avançant l’argent” pour son illustre client – en avril, le FBI fit sensation en perquisitionnant les bureaux new-yorkais de l’avocat. Jusque-là son homme de confiance, sinon son homme à tout faire, Cohen est alors devenu l’ennemi juré de l’ancien Président. Entendu par le “grand jury” dans le cadre de l’enquête menée pendant des mois par le procureur Cyrus Vance Jr et poursuivie par son successeur Alvin Bragg, il avait déclaré sans ambages, le 13 mars dernier, que Trump devait “rendre des comptes pour ses cochonneries”.

Si l’arrangement trouvé avec Stormy Daniels ne constitue pas en soi un délit, ses modalités, en revanche, sont susceptibles de conduire à une condamnation, plus ou moins lourde selon la qualification des faits. Dans le meilleur des cas, Donald Trump pourrait se voir reprocher une fraude en ayant dissimulé le versement, sous couvert de “frais d’avocat”, dans la comptabilité de ses entreprises. Mais, dans le pire des scénarios, il pourrait tout aussi bien être accusé d’avoir enfreint la législation sur le financement des campagnes électorales.

Dans l’ultime ligne droite de la campagne, en octobre 2016, l’image du candidat était déjà ternie par le scandale de l’enregistrement dans lequel on l’entend se vanter de “saisir les femmes par la chatte” (“Grab them by the pussy”). Une nouvelle affaire scabreuse, montrant l’infidélité et l’immoralité du héraut du Parti républicain, était de nature à ébranler la droite religieuse, sans laquelle Donald Trump savait ne pas pouvoir l’emporter. L’achat du silence de Stormy Daniels, en renforçant les chances du candidat, peut donc s’apparenter à un financement non déclaré de sa campagne.

Empreintes, photos, menottes…

À ce stade, le grand jury a décidé que cela méritait un renvoi devant le tribunal, et cela suffit pour promettre à Donald Trump des moments difficiles. La suite des événements ne sera, en effet, pas des plus agréables, a fortiori pour un personnage doté d’un tel ego. L’homme entend, selon son entourage, se rendre volontairement à la convocation du juge, ce qui lui épargnera une descente de police et une arrestation à son domicile. Il sera accompagné en permanence par les agents du “Secret Service”, qui sont affectés à sa protection quoi qu’il arrive. Mais il n’échappera pas aux aspects humiliants de la procédure : la prise d’empreintes et de photos d’identité judiciaires. Il pourrait aussi être menotté et soumis à l’infamante “perp walk” façon DSK, mais d’aucuns doute qu’on soumette un ancien Président à pareille épreuve. La vérité est qu’il n’y a pas de précédent pour guider les magistrats.

Le juge, après avoir donné lecture de l’acte d’accusation, décidera si le prévenu peut rester en liberté dans l’attente du procès, et à quelles conditions (paiement d’une caution, restrictions de déplacement, etc.). Les avocats et le ministère public entreront ensuite avec lui dans des discussions pour fixer le calendrier des prochaines échéances et, par exemple, dresser la liste des témoins à citer. Elles peuvent se transformer en véritable négociation si la volonté est de parvenir à un accord en vue d’éviter un procès – situation ô combien ironique pour celui qui publia jadis “The Art of the Deal”. Donald Trump devrait alors choisir de plaider coupable et le juge prononcerait directement la sentence, qui pourrait être une amende assortie ou non d’une peine de prison (jusqu’à quatre ans, selon toute vraisemblance, dans le cas présent). Qu’il y ait ou non procès, les experts inclinent à penser qu’on n’enverra pas derrière les barreaux un ancien Président, sans casier judiciaire et accusé d’un délit somme toute mineur.

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Un feuilleton médiatique

La véritable interrogation concerne, par conséquent, la campagne présidentielle. Inculpé, et même condamné, Donald Trump peut rester candidat. Ces démêlés avec la justice vont-ils, cependant, lui profiter ou, au contraire, le desservir ? L’ancien Président jouera naturellement dans un registre qu’il affectionne : se présenter en innocente victime d’une odieuse machination politique ourdie par des Démocrates incapables de lui barrer la route autrement. Dans cette logique, il peut avoir intérêt à faire traîner les choses et opter pour un procès aux allures de feuilleton médiatique qui lui garantira une visibilité optimale. Il semble néanmoins compliqué de mener de front deux combats : l’un devant les électeurs et l’autre devant les tribunaux. En d’autres mots, de coordonner une campagne électorale et une défense en justice.

La stratégie, qui plus est, aurait sans doute bien fonctionné en 2016, ou même encore en 2020, mais Donald Trump doit désormais compter avec une indéniable lassitude à son égard, quand bien même il dispose toujours d’une solide base électorale. Une majorité d’Américains, à en croire les sondages, ne souhaite pas qu’il soit le prochain Président et ses rivaux républicains ne se priveront pas d’exploiter la situation. Il leur est facile aujourd’hui de dénoncer “une instrumentalisation de la justice” et d’afficher leur solidarité avec un homme que, pourtant, comme son ex-bras droit Mike Pence, ils détestent : c’est qu’il ne s’agit pas de heurter les inconditionnels de Trump et de s’aliéner leurs suffrages le jour où il sortira de la course. Mais, le moment venu, ils sauront tout aussi facilement se profiler en solution de rechange. Aussi le procès fait à Donald Trump semble-t-il devoir, en définitive, bénéficier aux Républicains plus qu’aux Démocrates, qui peuvent par ailleurs redouter un effet boomerang si les poursuites se révèlent peu crédibles ou non justifiées.