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Dans le golfe du Bengale, une île mystérieuse inquiète l’Inde

Dans le golfe du Bengale, une île mystérieuse inquiète l’Inde
Dans le golfe du Bengale, une île mystérieuse inquiète l’Inde ©IPM

Des travaux aux airs de “déjà-vu”

La polémique a éclaté le 31 mars avec la publication d’un article de l’influent centre de réflexion britannique Chatham House. L’étude détaille, à l’appui de photos satellites prises en janvier et mars, des travaux qui rappellent ceux que Pékin a réalisés sur des îles en mer de Chine pour y affirmer sa souveraineté dans les années 2010. Une piste d’atterrissage construite par la Birmanie il y a trente ans a été rallongée pour atteindre 2300 mètres, selon le Chatham House. Une distance suffisante pour poser un avion de transport militaire ou de surveillance maritime. “Deux nouveaux hangars sont visibles”, relève l’étude qui note la construction d’une route pour relier Coco à une île adjacente au sud. On aperçoit aussi un radôme (un abri imperméable utilisé pour protéger une antenne des intempéries mais aussi des regards). “L’Inde pourrait se retrouver avec une nouvelle base aérienne dans un pays de plus en plus lié à Pékin”, ajoutent les auteurs.

Il n’en fallait pas plus pour affoler New Delhi. “Les capacités d’interception électromagnétiques sont en train d’être renforcées sur l’île Coco, qui n’est qu’à 55 kilomètres des îles Andaman et Nicobar. […] Le Myanmar n’a aucun besoin stratégique ou sécuritaire de faire ça, si ce n’est pour satisfaire Pékin”, accuse l’Observer Research Foundation, un centre de réflexion proche du gouvernement pour qui cette capacité d’interception permettra à la Chine “d’espionner les communications venant des Andaman, d’observer les vols de surveillance de la marine indienne ainsi que ses schémas de déploiement”.

Le gouvernement indien aurait, selon l’agence Bloomberg, demandé des explications à la Birmanie. New Delhi reproche à Naypyidaw de laisser des travailleurs chinois installer du matériel d’écoute et d’observation. Un porte-parole du régime militaire a qualifié ces soupçons d’“absurdes”.

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La crainte d’un encerclement

Ce n’est pas la première fois que l’île Coco tracasse New Delhi. Déserte pendant des siècles, la Birmanie en a fait un pénitencier aussi redoutable que la prison d’Alcatraz en 1959. L’établissement fut fermé en 1971 après l’évasion de trois détenus puis une grève de la faim des prisonniers. Deux décennies plus tard, l’armée birmane y a installé un radar et une piste d’atterrissage. Les analystes indiens sont alors persuadés que la Chine opère des équipements d’écoute et d’observation, ce que le chef de la marine indienne, Arun Prakash, dément en 2005. “Les Birmans nous avaient invités sur l’île à l’époque. La seule antenne existante était une antenne de télévision”, raconte cet amiral aujourd’hui à la retraite. Il reste sceptique quant à l’existence de capacités d’interception: “La présence d’un radôme ne veut pas dire grand-chose. Cela peut cacher un radar météo”.

Alors comment expliquer la nervosité indienne? Voilà près de vingt ans que la Chine multiplie les travaux sur des ports dans l’océan Indien, que ce soit à Gwadar au Pakistan ou à Hambantota au Sri Lanka. Sans oublier la construction d’un corridor économique en Birmanie pour relier la province chinoise du Yunnan au golfe du Bengale. De plus, Pékin est le deuxième fournisseur d’équipements militaires de Naypyidaw derrière la Russie, d’après l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. D’où la crainte en Inde d’un encerclement que les tensions récentes entre les armées chinoises et indiennes à la frontière et au Ladakh, dans l’ouest de l’Himalaya, nourrissent un peu plus. Surtout, l’archipel d’Andaman et Nicobar, ainsi que l’île Coco, sont à un carrefour des lignes de transport maritime entre le golfe Persique et le détroit de Malacca où transite le commerce chinois. La marine indienne organise régulièrement des exercices dans la zone, y compris avec son homologue américaine.