Belgique

Face aux enfants qui sont placés à l’hôpital sans être malades, les soignants bricolent: “On n’a pas de protocole médical pour les bobos du cœur”

Pas besoin de surveiller la température

”Ça fait vide…”, lâche Valérie Fouquart, infirmière en chef du service de pédiatrie. Et pour cause. Depuis la mi-janvier, les trois garçons, en pleine forme, étaient dans les jambes du personnel soignant du matin au soir. “Ils étaient là tout le temps avec nous. On ne s’en rendait même plus compte. Ils allaient partout dans le service”. Dans la cuisine, la salle de jeux, le bureau des infirmières, les chambres des petits patients dont ils étaient devenus copains… Ils suivaient les infirmières, les psychologues, les pédiatres, les ergothérapeutes, les techniciennes de surface en quête d’attention et de câlins. “C’est comme si on était au travail avec nos enfants”, décrit Valérie Fouquart.

À l’inverse des autres petits patients du service, ils n’avaient pas besoin qu’on prenne leurs paramètres ni qu’on surveille leur température. “On devait faire quelque chose de complètement différent”. Une prise en charge finalement plus complexe parce que rien n’est prévu, dans un service de pédiatrie générale, pour gérer la colère, la tristesse et l’incompréhension des enfants hospitalisés alors qu’ils ne sont pas malades. “Il n’existe pas de protocole médical pour soigner les bobos du cœur”, ajoute l’infirmière en chef.

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Valérie Hanquart
Valérie Fouquart, infirmière en chef du service de pédiatrie. ©An.H.

En balade au parc, “pour les sortir d’ici”

Ces enfants abîmés, en manque de repères éducatifs, testent les limites des adultes. “Il fallait remettre un cadre dans tout ça. Ils n’étaient pas spécialement heureux d’être là. Ils n’avaient rien demandé. Ils avaient surtout besoin des soins qu’offre une famille”.

L’ensemble du personnel du sixième étage s’est mobilisé, déployant des trésors d’énergie et d’imagination pour adoucir le séjour des trois garçons en pédiatrie. En semaine, de 9 heures à 15 heures, les trois frères allaient à la “petite école” au sein du service, où une institutrice maternelle organisait bricolages et remédiation pour leur donner le goût de retourner sur les bancs. L’un ou l’autre soignant les emmenait parfois en balade au parc, “pour les sortir d’ici”. Pendant le congé de Carnaval, le trio a été inscrit en stage dans l’école voisine des Ursulines. Valérie Fouquart les y conduisait, tous les matins. “Comme j’ai aussi trois garçons, on croyait que j’amenais mes enfants, s’amuse-t-elle. J’estime qu’on leur a apporté quelque chose. Tout le monde y mettait du cœur. On se sentait utile. Mais ce placement à l’hôpital, c’est très violent pour eux”, s’indigne l’infirmière. D’autant que ces gamins séparés de leurs parents étaient aux premières loges pour observer ce qui se passait dans les autres chambres – la maman ou le papa qui reste dormir à côté du petit malade. “Ils voyaient bien que les autres avaient tout et, surtout, de l’attention”.

Il ne leur reste que ça : être ensemble entre frères

Les enfants qui ne requièrent pas de soins médicaux passent après les autres patients. “Combien de fois leur a-t-on dit : attends ou après ?” Parce qu’il fallait faire une prise de sang ou s’occuper d’un petit opéré qui remontait du bloc. Tant pis pour le jeu de société interrompu en pleine partie. Ou le besoin d’être serré dans les bras. “Parfois, avec le temps, on devient maltraitant”, soupire l’infirmière en chef. “Ils avaient un lit, le couvert et la sécurité. Mais il faut autre chose aussi pour ces enfants”. Le soir, en rentrant chez elle, elle n’arrivait pas à les sortir de sa tête.

Même si c’était très compliqué pour l’équipe, le personnel était unanime : on garderait les trois garçons aussi longtemps qu’il le faudrait pour qu’ils intègrent la même institution. “On ne voulait pas qu’ils soient séparés. Il ne leur reste que ça : être ensemble entre frères”.

Des pizzas, des jouets, des tenues de foot

Trois garçons qui courent dans un service hospitalier, devenu leur seul terrain de jeux, ça se remarque. Une solidarité s’est installée à l’étage. Un soir, un papa a commandé des pizzas en plus pour les frères, ravis. Ils ont reçu des vêtements, des chaussures, des jouets. Un pédiatre leur a amené des sacs et des tenues de sport, offerts par son club de foot. Les enfants, qui étaient arrivés avec juste ce qu’ils portaient sur le dos, sont repartis avec de nombreux bagages. Ils n’ont pas pu tout emporter. L’infirmière en chef a entassé les sacs qui restaient dans le coffre de sa voiture. “J’irai les déposer au centre ce soir après mon service. Je n’habite pas loin”.

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