Belgique

Ce bébé de 3 mois ne pleure plus, ces trois frères « deviennent fous d’être ici »: « Les enfants placés à l’hôpital sont malmenés »

Sarah Simon et Marie-Beéatrice Vanderplas, psychologues au service de pédiatrie de l'hôpital Ambroise Paré à Mons
Sarah Simon et Marie-Béatrice Vanderplas, psychologues au service de pédiatrie de l’hôpital Ambroise Paré à Mons ©An.H.

La famille des gamins, en grande précarité psychosociale, gardait la tête hors de l’eau tant qu’il y avait des services autour d’elle. Le Covid a bousculé le fragile équilibre. Sans plus de regard extérieur, les parents se sont isolés, renfermés avec leurs enfants et leurs problèmes. Les petits n’étaient plus scolarisés. Un juge a décidé de les retirer de leur foyer. Faute de places dans une institution de protection de la jeunesse, ils ont été hospitalisés.

”Je deviens fou d’être ici…”

Vendredi dernier, il a fallu annoncer à la famille que les trois garçons seraient désormais pris en charge, pour un an, dans un service résidentiel pour enfants victimes de maltraitance. Un moment douloureux pour tout le monde. “Les parents sont arrivés excités, en remontant les petits contre l’hôpital. Ils ne faisaient plus la part des choses. Parce que tout leur échappe. Pour eux, on a participé à l’enlèvement de leurs fils. Les enfants étaient collés à eux. Face à l’émotion de leurs parents, qu’ils ressentaient sans pouvoir la décortiquer, ils sont devenus très agressifs envers nous. C’était terrible”, raconte Sarah Simon. Tout d’un coup, l’hôpital devenait mauvais.

Pour gérer ces enfants présents en permanence pendant trois mois et demi dans le service de pédiatrie, les deux psychologues ont dû, comme leurs collègues, dépasser leur mission première pour devenir aussi nounous, éducatrices, shampooineuses (ah, les poux !), encadrantes pendant les visites en famille… “On a été mises à toutes les sauces. On a été malmenées mais ce sont d’abord les enfants placés à l’hôpital qui sont malmenés, insiste Marie-Béatrice Vanderpas. Il n’y a pas les conditions, ici, pour leur assurer un environnement adapté”.

Les enfants l’ont exprimé à leur manière au cours d’une activité organisée par les psychologues. Sur le panneau coloré où ils ont écrit et dessiné leur ressenti par rapport à l’hôpital, les mots sont déchirants : “Prison”, “Je deviens fou d’être ici” ou encore “Sortez-moi d’ici”.

”Je voulais rentrer au pays pour relever le défi de créer un hôpital pédiatrique”

”L’hôpital devient inhospitalier. C’est le monde à l’envers”

Devant la chambre des garçons, désormais vide, un parc avec un Maxicosy encombre le couloir. Dedans, une toute petite fille se réveille doucement. Léa (prénom d’emprunt), trois mois depuis deux jours, a déjà passé la moitié de sa courte vie à l’hôpital. Une technicienne de surface marque l’arrêt, agite la main. “Coucou chouchou”. Avant de reprendre son chariot. Léa, victime de graves négligences, a elle aussi été placée dans le service de pédiatrie parce qu’il n’y avait pas d’autre solution pour elle.

Que va-t-on mettre en place pour ce bébé ? Il doit apprendre à être patient bien avant l’heure. Quand l’infirmière est prise pour un geste technique auprès d’un enfant malade, elle doit attendre pour recevoir son biberon, être changée, être portée. On voit déjà que ce bébé se met en retrait relationnel. Elle ne pleure plus. Elle se fait oublier”, décrit Marie-Béatrice Vanderpas.

Sarah Simon enchaîne : “On retire ces enfants de leur milieu où ils sont maltraités pour les mettre dans un environnement qui devient malmenant. L’hôpital devient inhospitalier pour ces enfants. C’est le monde à l’envers. C’est complètement révoltant”.

Le service de pédiatrie de l’hôpital Ambroise Paré, à Mons, soutenu par les autres milieux hospitaliers wallons, les pédopsychiatres francophones et les équipes SOS enfants, a adressé une lettre ouverte à tous les ministres concernés. Un cri d’alarme sur les conditions d’accueil et d’encadrement subies par des enfants placés dans des services de pédiatrie pour des raisons psychosociales. Jusqu’ici, sans aucune réaction de leur part.

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