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Ski extrême : Dix ans après avoir frôlé la mort, Matthias Giraud réussit le premier ski base jump de nuit au monde

Il a pris la remontée mécanique du Mont Joly (Haute-Savoie), presque comme monsieur tout le monde, le 25 mars à 16h30. Sauf que deux heures et demi plus tard, à la tombée de la nuit, Matthias Giraud s’est élancé vers une prouesse aérienne inédite : signer le premier ski base jump de nuit au monde. Et ce en s’élançant de la face ouest de l’Aiguille Croche (2.487 m d’altitude) à Megève, accompagné d’une fusée éclairante et de trois LED pour seules lumières. A 60 km/h, l’athlète de 39 ans a décollé de cette falaise des Aravis qu’il fréquente tant depuis quinze ans. Mais cette fois après en avoir informé la mairie de Megève, et en veillant à partir moins de trente minutes après le coucher du soleil, afin de respecter l’interdiction de voler dans la nuit noire, afin de ne pas perturber le trafic aérien.

Matthias Giraud raconte la préparation de ce saut qui donne lieu à une incroyable vidéo, après avoir skié sur 200 m et s’être envolé une vingtaine de secondes avant d’ouvrir son parachute : « Je voyais à peine le relief, c’était un peu un saut à l’aveugle. De nuit, il est primordial de très bien connaître la voie qu’on emprunte et le bon point de sortie de la falaise ». C’est pourquoi il a testé le spot à deux reprises, la veille et le matin même, tout en s’assurant d’avoir « un manteau neigeux stable ».

« Un gros travail d’orchestration »

Après une minute de vol au total, et un atterrissage sans encombre au pied de Côte 2000, Matthias Giraud revient sur ce sport extrême qu’est le ski base jump, qui ne compte qu’une trentaine de professionnels dans le monde : « C’est selon moi la discipline la plus dangereuse dans le base jump car on rajoute énormément de variables en mélangeant deux sports. On n’additionne pas les risques, on les multiplie. On peut vite emmêler un bâton dans les lignes, et le parachute ne s’ouvrirait alors pas comme prévu. Là, j’avais plus d’anxiété en sautant de nuit car il y avait plus d’incertitudes. C’était un gros travail d’orchestration. Mais un saut de nuit, c’est magique. Et ça m’a permis de découvrir une autre facette de ce spot. » Cet exploit minutieusement préparé a notamment été inspiré par des wingsuiteurs ayant volé avec des fusées éclairantes aux pieds. Ami de Matthias Giraud et cameraman, Stefan Laude, présent le 25 mars tout comme le pilote de drone Lucas Hoarau, livre sa vision de cette performance.

Nous étions tout seuls en pleine montagne et c’était magnifique avec l’arrivée de la pénombre. Dans un tel sport, où on n’a jamais le droit à l’erreur, la joie est aussi grande que le risque encouru. J’ai le cœur qui bat à chaque fois que je filme Matthias car quoi qu’il se passe, il est livré à lui-même. »

Matthias Giraud a alors repensé à Pascal Jacquemoud, son professeur du Ski club de Saint-Nicolas-de-Véroce, qui lui avait appris, à 14 ans, « à skier les yeux bandés pour maîtriser avant tout le ski avec les pieds ». Natif d’Evreux (Eure), l’intéressé a chaussé des skis dès l’âge d’un an et demi. A 9 ans, il se sent déjà attiré par le base jump, et il claque des backflips à 15 ans.

Matthias Giraud partage sa vie entre l'Oregon (Etats-Unis) et les Alpes.
Matthias Giraud partage sa vie entre l’Oregon (Etats-Unis) et les Alpes. – Orazio Guarnieri

« Perdre mon héros, ça m’a foutu un coup »

C’est aux Etats-Unis, où il file à 20 ans pour rejoindre l’une des rares écoles de commerce au monde situées au milieu des montagnes, à Durango (Colorado), qu’il va goûter pour de bon au base jump. Il hérite en même temps en février 2004 du surnom de « Super Frenchie », attribué par le speaker d’une compétition de big air dans laquelle il lâche « un gros salto avec une cape de super-héros aux couleurs du drapeau français ». Ce surnom va rester, tout comme son souvenir indélébile de ses premiers sauts de ski base jumpeur.

« Je voulais que cet environnement a priori hostile devienne mon terrain de jeu et d’épanouissement », résume celui qui côtoie outre-Atlantique une légende du freeride, le Canadien Shane McConkey, jusqu’à son décès en 2009, lors d’un base jump dans les Dolomites (Italie). « Perdre mon héros, ça m’a foutu un coup, confie Matthias Giraud. Pour moi, c’est Superman qui mourait. C’était un super pro, je le voyais indestructible. » Il cherche depuis « à faire perdurer sa mémoire » en réalisant des sauts parfois repérés par Shane McConkey, mais qu’il n’a pas pu réaliser, en raison de son brutal décès à 39 ans.

« Cette épreuve a testé ma passion »

Après avoir échappé de peu à une énorme avalanche en 2011 aux Aiguilles Croches, en déployant son parachute juste à temps (plus de 10 millions de vues pour cette spectaculaire vidéo), le 27 mars 2013 a marqué un tournant dans la vie de Matthias Giraud, lors d’un saut au niveau de la pointe d’Areu, dans le massif des Aravis, toujours en ski base jump. « Le vent m’a fait taper à quatre reprises la falaise, se souvient-il. J’ai volé sur 1.500 m en étant inconscient et je me suis écrasé dans un arbre. J’ai été en hémorragie cérébrale pendant trois jours, et j’ai eu une triple fracture du fémur. Pendant un an et demi, je n’arrivais pas à parler normalement. La montagne m’a rappelé à l’ordre ce jour-là. » Pour autant, celui qui devenait père de famille pour la première fois, trois semaines après ce terrible accident, est retourné faire du ski base jump dès début 2014, après « une longue reconstruction ».

Est-ce que je devais tout arrêter parce que j’avais failli mourir ? Non, ce que je veux apprendre à mon fils, c’est de vivre ses rêves pour être épanoui. Cette épreuve a testé ma passion et mon dévouement à la montagne. »

Notamment sponsorisé par GoPro, « Super Frenchie » enchaîne depuis les records du monde, comme en juin 2019 avec le saut le plus haut jamais réalisé en ski base jump, en s’élançant depuis les Rochers rouges (4.359 m d’altitude), tout près du sommet du Mont-Blanc. L’an passé, il est également devenu le premier homme à partir du dôme du Goûter (4.304 m) en skiant un sérac de 80 m, avant de s’envoler à 4.000 m entre l’aiguille du Goûter et l’aiguille de Bionnassay.

« On annule environ un saut programmé sur deux »

Chacune de ces performances depuis dix ans reste marquée par le douloureux souvenir de la pointe d’Areu, comme le rappelle son ami Stefan Laude. « Il y a eu un avant et un après, évoque ce moniteur de parapente. J’avais personnellement refusé de l’accompagner ce jour-là et le premier truc qu’il m’a dit à l’hôpital, avec sa bouche déformée, c’était « J’aurais dû t’écouter ». Il avait alors sous-estimé la puissance du vent. Depuis, je suis un peu devenu sa caution, et il est lui-même hyper vigilant quant au vent. On annule environ un saut programmé sur deux. »

Le fameux saut de nuit de l’Aiguille Croche aurait d’ailleurs dû avoir lieu l’an passé. « Mais les conditions n’étaient pas réunies donc j’ai remis ça, précise Matthias Giraud. Mon approche de chaque projet est plus approfondie désormais et je skie de façon moins explosive. » Devenu franco-américain en 2016, et partageant sa vie entre l’Oregon et les Alpes, « Super Frenchie » se serait presque rangé. Enfin, presque quoi.