Belgique

On ne peut pas faire abstraction du fœtus pour déterminer le délai légal d’une IVG: “Sinon, il n’y aurait pas de limites”

Pierre Bernard
Pierre Bernard ©D.R.

Pourquoi 80 % des gynécologues placent-ils le pivot à 18 semaines maximum ? “L’argument, c’est la croisée entre deux courbes : celle, descendante, du nombre de patientes demandeuses d’une IVG tardive, et celle, montante, du développement du fœtus qui rend cette interruption éthiquement, anthropologiquement, psychologiquement et techniquement plus difficile”, explique le médecin.

Seuls 20 % des gynécologues francophones adhèrent à l’idée d’autoriser l’avortement au-delà de 18 semaines de grossesse

Plus la grossesse avance, moins il y a de demandes d’IVG

Une étude a évalué le nombre de patientes qui, chaque année, sont redirigées vers des cliniques spécialisées en Hollande où on pratique des IVG chirurgicales jusqu’à 22 semaines. De 2015 à 2018, en moyenne, 493 femmes y ont ainsi été orientées chaque année. Ce chiffre est actuellement en diminution, précise le Pr Bernard.

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“Un des arguments pour étendre à 22 semaines (24 SA), c’est d’atteindre 90 % des patientes enceintes qui se trouvent en dehors du délai légal actuel et qu’on veut aider en Belgique. Si on avance l’âge de la grossesse à 20, 19 ou 18 semaines, ce pourcentage diminue. Moins on va loin, plus on laisse de femmes sur le carreau”, poursuit le gynécologue.

Mais plus l’âge de la grossesse avance, moins il y a de patientes concernées par une IVG. Les résultats de l’étude montrent que 21 % des avortements tardifs ont lieu à 12 semaines de grossesse (14 SA) ; 10 % à 13 semaines… Quand on arrive à 17 semaines, on tombe à 5 % ; à 18 semaines, à 4 % ; à 19 semaines, à 4 %.

Entre 40 et 50 femmes par an

“L’augmentation du pourcentage à 20 % dans l’étude quand on arrive à 20 semaines et plus est liée à un biais d’interprétation”, poursuit le président du Collège des gynécologues obstétriciens francophones. “On l’a compris en interviewant les centres hollandais. La plupart de ces patientes, en situation précaire, devant la difficulté de l’IVG en elle-même, du déplacement à l’étranger, des frais engendrés,… attendent alors le dernier moment où elles savent que c’est légalement possible pour se décider”.

Si on plaçait la limite à 18 semaines de grossesse (20 SA) en Belgique, et pas à 22 semaines, comme en Hollande, il y aura sans doute le même phénomène autour de 18 semaines, raisonne le professeur Pierre Bernard. Pour lui, il serait plus juste de considérer qu’à chaque semaine qui passe au-delà de 18 semaines de grossesse, il y aurait 4 % de patientes supplémentaires qui ne seraient pas aidées en Belgique. Ainsi, si on pousse l’extension à 20 semaines de grossesse au lieu de 18, 8 % des 500 femmes en moyenne par an concernées par une IVG tardive en plus pourraient avorter légalement en Belgique. Soit, en chiffres absolus, entre 40 et 50 femmes supplémentaires par an, “ce qui représente 2 à 3 pour mille des IVG pratiquées en Belgique”.

Viabilité, prise en charge…

Mais il faut aussi tenir compte de l’autre courbe : “la lourdeur croissante de l’IVG au fur et à mesure que le fœtus vieillit, se mature et grossit”, ajoute le professeur Bernard.

Il existe différents critères pour évaluer le côté éthique d’interrompre un fœtus d’un certain âge, détaille-t-il. Un : l’âge de viabilité du fœtus, fixé à 20 semaines post-conception (22SA), selon la définition officielle de l’OMS. “Cette limite n’a pas changé depuis très longtemps. Ce qui change, c’est l’âge auquel on prend raisonnablement en charge, qui est de 22 semaines (24 SA). En Belgique, après discussion avec les parents, la porte est ouverte pour prendre en charge à partir de 21 semaines de conception. L’évolution de la médecine fait qu’on se rapproche pratiquement de la limite officielle de viabilité. Avec les progrès de la médecine, le pronostic de ces grands prématurés est censé s’améliorer. Même si on est encore loin d’avoir des résultats très encourageants”.

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Le développement du fœtus

Deux : le développement neurologique du fœtus, souvent abordé dans la littérature médicale par le biais de la perception de la douleur. “Le rapport des experts évoque un rapport du comité consultatif de bioéthique, remontant à une dizaine d’années, qui considérait que le fœtus ne percevrait la douleur qu’après 22 semaines (24 SA). Une étude très récente, de 2021, montre que le fœtus pourrait percevoir de la douleur dès 15 semaines (17 SA)”.

Trois : le poids et la taille. À 18 semaines (20 SA), un fœtus fait 350 grammes et 22 cm. Deux semaines plus tard, à 20 semaines (22 SA), il fait 500 grammes et 24 centimètres.

“Ces trois paramètres entrent en considération pour comprendre le fait que les gynécologues ne sont que 20 % à envisager le principe qu’on aille au-delà de 18 semaines pour une IVG. Actuellement, en Belgique, ils sont les seuls à interrompre des grossesses à ces âges tardifs ou même plus tard, pour des raisons médicales”, prolonge le docteur Bernard.

Les interruptions médicales de grossesse (ou IMG) des 2e et 3e trimestres sont en effet exclusivement effectuées par des gynécologues, en milieu hospitalier. “Les gynécologues ont une expertise : ils connaissent les fœtus parce qu’ils leur font des échographies et des prises en charge, tandis que les interruptions chirurgicales dans les plannings sont surtout faites par des généralistes qui n’ont pas une approche du fœtus. La plupart des personnes qui préconisent d’aller jusqu’à 22 semaines n’ont pas cette pratique”.