France

Pourquoi le Rassemblement national met en avant son combat contre « le monstre du wokisme »

Le Rassemblement national s’est trouvé un nouveau combat. Le parti de Jordan Bardella a en effet créé la semaine dernière une association d’élus pour lutter « contre le poison du wokisme ». Ce terme, venu des Etats-Unis, est utilisé par ses défenseurs pour illustrer le « réveil » nécessaire contre les injustices et les discriminations (woke signifiant éveillé). Pour ses contempteurs, au contraire, il s’agit d’une idéologie visant à « déconstruire » la civilisation occidentale et à censurer la liberté d’expression. 

Le RN, qui organise ce vendredi un colloque consacré à ce sujet à la Maison de l’Amérique latine, à Paris, n’avait jusqu’ici pas pleinement traité cette thématique. Et cet engagement, déjà mené par plusieurs partis de droite et d’extrême droite en Europe, n’est probablement pas étranger à la volonté de couper l’herbe sous le pied d’Eric Zemmour, et ce à un an des élections européennes.

« Le wokisme est un monstre à plusieurs têtes »

Pour justifier son nouveau mantra, le RN n’y va pas de main morte. « On a décidé de lutter contre cette menace mortelle, cette sorte de religion, qui vise à déconstruire tout ce qui fait notre civilisation, qui fonde notre mode de vie, notre histoire, notre identité », assure Gilles Pennelle, directeur général du parti. « Le wokisme est un monstre à plusieurs têtes, qui agit dans notre école, au cinéma, à l’université et dans certains médias. Cela va de la cancel culture, des déboulonnages de statues à l’effacement des pages de notre Histoire. De l’écriture inclusive à la négation du sexe des personnes », ajoute le responsable en charge des fédérations, des élections et de la formation. 

Plus concrètement, le parti à la flamme dit vouloir, à travers sa nouvelle association d’élus, agir sur le plan législatif. « Il y a une réflexion intellectuelle, mais aussi des cas précis sur lesquels nous déposerons des propositions de loi pour interdire l’écriture inclusive dans un appel d’offres de marchés publics, par exemple, ou pour réfléchir à la question transgenre dans le sport », illustre l’eurodéputé RN Philippe Olivier, sans donner plus de précision. « C’est un angle mort de la politique actuelle, car pour beaucoup, le wokisme n’existe pas », ajoute ce proche conseiller de Marine Le Pen.

Pour une partie de la classe politique, notamment la gauche, ce terme de wokisme est une manière de délégitimer les combats pour les droits des minorités et ceux qui les portent, comme l’expliquait notamment Sandrine Rousseau, régulièrement visée par ses adversaires. « Je ne me suis jamais revendiquée woke. C’est un mot qui est utilisé pour éteindre le débat […] on m’a plaqué ce mot-là. « Woke » veut dire « éveillé aux injustices », il n’y a pas de grande révolution derrière ça en réalité », estimait ainsi la députée écologiste pendant la campagne présidentielle.

Siphonner l’électorat Zemmour avant les européennes

Lors de la présentation du projet, la semaine passée, Roger Chudeau, député du Loir-et-Cher, et les eurodéputés Philippe Olivier et Patricia Chagnon ont dit vouloir créer un organisme transpartisan. Mais pour le moment, l’association ne rassemble qu’une quarantaine de membres, surtout des députés et parlementaires européens du RN. Ce chiffre peu élevé, et les missions encore floues de l’association, pourraient laisser penser que l’objectif réel est bien plus politicien. « Certains ricanaient au RN quand nous avons lancé le collectif « parents vigilants »  pour combattre l’endoctrinement à l’école. Mais finalement, ils s’y mettent aussi…», ironise Stanislas Rigault, président de Génération Z et cadre de Reconquête. « Zemmour parle de ces sujets depuis des années, et on sait bien que ce n’est pas dans la matrice de Marine Le Pen… mais il y a des stratégies politiques, nous ne sommes pas naïfs », dit-il.

En chassant sur les terres de son rival identitaire, le Rassemblement national espère donc siphonner son électorat avant les élections européennes, prévues l’année prochaine. « Ces initiatives visent sans doute à faire contrepoids à Eric Zemmour et ses troupes, dont beaucoup, chez les jeunes notamment, sont venus à la politique sur ces thématiques », relève Jean-Yves Camus, codirecteur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès. 

« Ces questions de genre, d’école, de famille n’ont qu’un impact électoral marginal chez l’électorat populaire du RN, mais elles peuvent susciter l’intérêt de la droite conservatrice et religieuse. L’objectif est probablement de faire passer Reconquête sous les 5 % pour l’empêcher d’avoir des élus européens, ce qui compromettrait l’avenir du mouvement », ajoute le politologue. Ce « combat contre le wokisme » aurait-il donc pour mission d’« éveiller », avant tout, l’électorat du rival ? Au Rassemblement national, bien entendu, on préfère botter en touche. « Ce thème appartient à tout le monde, balaye Philippe Olivier, on ne fixe pas notre agenda par rapport à Eric Zemmour ».