International

L’Europe est appelée à imaginer l’avenir au-delà la croissance

La question n’est plus ignorée au plus haut niveau politique

Initiateur de l’événement, le coprésident du groupe des Verts au Parlement européen, Philippe Lamberts, se souvient de l’accueil glacial qu’il avait reçu en 2018 de la précédente Commission, présidée par Jean-Claude Juncker, que le Belge avait sollicitée pour participer à une conférence intitulée “Post-croissance”. Seule la commissaire à la Concurrence, Margrete Vestager, avait accepté de figurer au casting. Cinq ans plus tard, la conférence “Au-delà de la croissance” a été ouverte par des discours de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, et de la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola. N’eût été un conflit d’agenda, le président du Conseil européen, Charles Michel, aurait été de l’événement de clôture.

Les vice-présidents de la Commission Sefcovic (Prospective), Dombrovskis (Économie et Commerce), les commissaires à l’Économie Gentiloni et à l’Environnement Sinkevicius étaient au nombre de quelque 160 intervenants issus des milieux politiques, académiques, syndicaux, économiques et de la société civile. “Que la participation de leaders politiques à la conférence soit beaucoup plus large qu’il y a cinq ans illustre le fait qu’il est important de tenir ce débat, même si nous n’avons pas encore toutes les réponses aux questions que nous nous posons”, fait remarquer à La Libre Jonathan Barth, cofondateur du Zoe Institute pour des politiques adaptées à l’avenir.

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Un travail de déconstruction

Le thème “au-delà de la croissance” permet d’ouvrir le débat au-delà des cercles de la gauche, des anticapitalistes, des partisans de la décroissance… “Nous n’avons pas assez d’amis, nous ne devons pas nous aliéner les personnes qui viennent vers nous”, a plaidé l’économiste britannique Ann Pettifor. “La croissance, dans l’inconscient collectif, c’est le bien-être”, fait observer Philippe Lamberts.

L’un des objectifs de la conférence est de déconstruire cette idée, en exposant comment la recherche de la croissance économique infinie épuise les ressources, limitées, de la planète, cause de graves dégâts environnementaux et entraîne le dérèglement climatique. Ou de poser que le modèle économique actuel, basé sur la croissance, a échoué à répartir inéquitablement les richesses et à venir à bout des inégalités. Puis, une fois les constats posés, de voir que l’ont fait ensuite.

Le coprésident du groupe des Verts, Philippe Lamberts, pendant la première session plénière de la conférence "Au-delà de la croissance".
Beyond Growth 2023 Conference – Pathways towards Sustainable Prosperity in the EU – Opening plenary ©© European Union 2023 – Source : EP

Ce qui est clair pour la présidente von der Leyen, c’est que “le modèle de croissance fondé sur les combustibles fossiles est tout bonnement obsolète”, comme elle l’a déclaré dans son discours inaugural, mettant l’accent sur les politiques menées par l’Union, pour s’en détacher. À commencer par le Green deal, qui sert à l’Union de plan d’action climatique et de protection de la biodiversité, mais aussi… de stratégie de croissance. La conservatrice allemande insiste encore sur le fait que l’indicateur du produit intérieur brut ne suffit pas dresser le bilan de santé d’une économie et d’une société. Ces dernières années, la Commission a d’ailleurs multiplié les indicateurs et tableaux de bords pour mesurer l’évolution vers la réalisation par les États membres d’objectifs environnementaux ou sociaux. “La Commission ne présente désormais plus un examen annuel de croissance, mais un examen annuel de croissance durable”, pointe Philippe Lamberts. N’en reste pas moins que la croissance du produit intérieur brut reste l’alpha et l’Omega de la proposition de révision des règles budgétaires récemment déposées par l’exécutif européen. “Le super tanker européen est sur sa ligne. Le but du débat et de voir comment l’en faire dévier”, avance le Belge.

”Nous aurons toujours besoin de croissance”, a affirmé le commissaire Gentiloni, jeudi. “L’alternative au modèle traditionnel ne peut pas être la décroissance. Une économie qui rétrécit aura moins de ressources pour investir dans la protection de l’environnement, les soins de santé, les infrastructures, l’éducation…” avait défendu l’Italien. À la fin de son intervention, des coups de sifflet se sont échappés des bancs de l’hémicycle. Pour les partisans de la décroissance, le discours de Paolo Gentiloni est à côté de la plaque.

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Pour Jonathan Barth, le débat croissance durable vs décroissance est une perte de temps, d’autant que les conditions ne sont pas réunies pour que décroissance ne soit pas synonyme de récession et de perte de bien-être. “Le problème est que nos économies sont très dépendantes de la croissance économique. Nos systèmes de sécurité sociale sont basés sur une croissance infinie, comme nos politiques budgétaires. Comment gérer la dette publique dans une économie en récession ? Comment combattre les inégalités, a fortiori quand le gâteau rétrécit ? Nous devons arriver à une situation où cela n’a plus d’importance que l’économie croisse ou se rétracte, parce que le bien-être des gens n’en dépend plus. Comment y parvenir ? C’est la question cruciale que nous devons résoudre.”

La conférence ne fournit pas de réponses définitives, pas plus qu’elle n’accouche d’un programme ou d’un manifeste. De nombreux intervenants sont par ailleurs conscients que si le débat prend de l’ampleur, les idées qu’ils portent ne sont pas dominantes. “Le but, c’est d’irriguer la bulle bruxelloise. C’est une entreprise de contagion culturelle”, glisse Philippe Lamberts qui parie sur les vertus “de l’intelligence collective”.