France

Ils inventent une guitare démontable pour y ranger les affaires de voyage

« On a tous en tête l’image du guitariste nomade qui se pose ici ou là, à la cool, avec son instrument. Mais dans la réalité, c’est loin d’être aussi facile. » Louis Morel sait de quoi il parle. A l’été 2019, il participe à un road trip en van avec des guitaristes. « Le fait de sortir la guitare, ça permettait de créer de supers moments de partage avec les gens. Mais les guitares étaient trop encombrantes, c’était un peu la galère, on ne pouvait pas les emmener en balade à la journée. Le plus souvent, on se contentait d’une enceinte Bluetooth qui, elle, se glissait facilement dans le sac à dos. »

A son retour, le jeune ingénieur angevin est convaincu : il va inventer une guitare prenant le moins de place possible pour voyager. Il s’associe avec un ami ingénieur et musicien, Antonin Girardeau, et étudie ce qui fait déjà sur le marché. « Des guitares avec le manche démontable, ça existe, surtout aux Etats-Unis. Mais elles ne sont pas simples d’usage, elles coûtent très cher et ne permettent pas de gagner tant de place que ça. »

« Tous nous disaient que ce n’était pas possible »

Les deux acolytes, 26 et 27 ans, décident donc de pousser le concept plus loin : non seulement le manche pourra être retiré, mais le fond de la guitare aussi, afin de pouvoir utiliser « l’énorme espace vide de la caisse de résonance ». « Les guitaristes à qui on en parlait nous disaient que ce n’était pas possible d’ouvrir la caisse, on allait forcément dégrader l’acoustique. On s’est rapproché d’un luthier réputé, Fred Pons, qui y a cru », raconte Antonin. L’Institut technologique européen des métiers de la musique (Itemm), au Mans, apporte, lui aussi, ses compétences au projet et, après « un an de travail », la première guitare folk Mogi (contraction de Morel et Girardeau) est née.

Son corps est en composite biosourcé à base de fibre de lin, son manche en acajou et sa table d’harmonie en épicéa. « Le composite est apparu comme le meilleur matériau pour résister aux variations de température et d’humidité. Et ça sonne bien. » Pour s’assurer des performances acoustiques, Louis Morel et Antonin Girardeau enchaînent les tests avec des guitaristes expérimentés. « Tous ont approuvé. A aucun moment, ils nous ont dit que le son était décevant. C’était un grand soulagement. » « Le son est très agréable, les sensations aussi », confirme Thibault, guitariste confirmé, qui a essayé l’instrument des « dizaines de fois ».

En quelques manipulations, la guitare se démonte en trois parties et s’emboîte dans un sac à dos spécifique au format bagage cabine. « On peut y ranger des vêtements, une serviette, une trousse de toilette, des accessoires, un ordinateur… Le compartiment fait 24 litres. Les affaires sont accessibles facilement par la face avant. La guitare peut aussi être transportée dans un autre sac mais ça sera moins optimisé », explique Antonin Girardeau. Le remontage est presqu’aussi rapide et « n’impose pas de tout réaccorder ».

« Devenir l’acteur numéro un dans le monde »

Avec cette innovation, la start-up Mogi espère séduire les « jeunes qui se déplacent beaucoup en soirées ou le week-end », ainsi que les « guitaristes confirmés qui voyagent régulièrement ». Une campagne de prévente sera lancée en juin avec une version « plus aboutie » et « plus légère » de la guitare. Son coloris sera noir et son ouïe décalée pour « renforcer son originalité » et diffuser un son plus proche du musicien. La fabrication s’effectuera en France et en Belgique. Le tarif, en cours d’évaluation, avoisinera 1.000 euros. « On espère pouvoir descendre plus bas et se rapprocher des 600 euros. C’est hyper important pour démocratiser le produit. Les autres guitares de voyage, elles, coûtent entre 1.500 et 2.000 euros. »

Les premières livraisons sont espérées pour fin 2023-début 2024. La commercialisation à grande échelle pourra ensuite débuter. « Il y a beaucoup de curiosité et de marques d’intérêt pour ce projet. On a déjà une liste d’une trentaine de personnes qui attendent l’instrument. C’est très encourageant. »

Quelque 400.000 guitares neuves se vendent chaque année rien qu’en France. « D’après nos enquêtes, un tiers des guitaristes déplorent des difficultés de transport. Hors le marché de la guitare démontable ne représente aujourd’hui que 0,7 % des ventes. Il y a un vrai potentiel. On veut devenir l’acteur numéro un de la guitare de voyage dans le monde. » A plus long terme, Louis Morel et Anthonin Girardeau réfléchissent à dupliquer le concept pour des guitares électro-acoustiques, des ukulélés, voire des violoncelles ou des contrebasses.