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Guerre en Ukraine : A Kiev, le cinéma œuvre à tenir le « front culturel »

Entre tapis rouge et tranchées, le cinéma ukrainien continue à créer. A plus de 600 kilomètres du front et du tumulte des canons, le groupe SOTA Cinéma, fondé en 2006, s’inspire de la guerre pour ses nouvelles productions. « Il y a une ligne de front militaire mais aussi une ligne de front diplomatique, informatique et culturelle », assure Oleg Kokhan. Le producteur et fondateur du groupe SOTA Cinéma est arrivé légèrement en retard à cause d’une alerte bombardement à Kiev. « On ne pouvait pas traverser le pont », s’excuse-t-il en s’installant dans une salle de réunion, dont un pan de mur est recouvert de petites boules multicolores.

« En avril, des rumeurs ont commencé à courir, assurant que l’Ouest était fatigué de la guerre en Ukraine. Nous avons rencontré les cybervolontaires [l’IT army of Ukraine], dans un centre géré par le ministère de la Défense, qui nous ont dit qu’il fallait créer de nouveaux contenus pour informer l’Ouest sur l’invasion », relate Oleg Kokhan. Depuis son invention en 1895, le cinéma a appris à jouer son rôle dans les conflits. De nombreux films ont pris position en temps de guerre. Certaines scènes sont même devenues iconiques comme celle du Dictateur où Charlie Chaplin, dans une parodie d’Adolf Hitler, joue avec le monde, représenté par un globe terrestre qui finit par éclater entre ses mains.

Le rôle discret des animaux

« La Russie ne se bat pas contre nous que sur le front militaire, on se rend compte qu’ils mettent aussi beaucoup de ressources dans leurs films », note Oleg Kokhan. « Le cinéma n’est pas seulement une source de revenus mais aussi une source d’information », abonde Oleksandr Tkachenko, le ministre de la Culture. Conscient de ce rôle essentiel, Oleg Kokhan s’est penché avec ses équipes sur les évènements qu’ils voulaient immortaliser. Le groupe travaille actuellement sur deux projets distincts. Celle d’un acteur de théâtre qui devait jouer une pièce à Lviv le 24 février 2022, jour de l’invasion russe, mais est parti à la mobilisation. Et onze péripéties d’animaux qui ont été affectés par la guerre, un recueil d’histoires véridiques pour voir La guerre dans les yeux des animaux.

« Elles sont toutes vraies », précise Svitlana Mashovets. Sur Internet, les animaux sont une arme d’attendrissement massif. « On a été surpris de voir le nombre d’informations sur les animaux pendant la guerre, c’était très frappant », souligne Oleg Kokhan. Le groupe SOTA Cinéma s’est toujours intéressé à l’environnement et évoque un « écocide » provoqué par la guerre en Ukraine. « Plus de 10 millions d’animaux sont morts, 55.000 dauphins ont été tués, des millions d’oiseaux, 400.000 vaches », énumère le producteur avant d’ajouter que, malheureusement, « certaines espèces sont perdues pour toujours ». Ce recueil se penche sur les aventures de ces animaux qui ont joué un rôle, presque invisible et pourtant parfois essentiel, dans cette guerre européenne.

La chèvre espionne et le lapin mort de peur

Chèvre, loup, lapin, vache… A chaque espèce son histoire. « La cinquième nouvelle parle d’une chèvre et d’une grand-mère. Elle laissait sa chèvre se balader librement et se servait de ses errements pour s’approcher des forces russes et les compter », raconte Svitlana Mashovets. Grâce à cet improbable binôme, les forces ukrainiennes ont pu identifier une centaine de véhicules armés russes. Malheureusement, « la grand-mère a été tuée », explique la directrice du groupe SOTA Cinéma. Le groupe a aussi voulu raconter l’histoire d’un producteur et de son lapin. « Malheureusement, son lapin est mort de peur à cause des bombardements. Son cœur s’est arrêté. Nous avons pensé à arrêter le tournage mais, finalement, nous avons acheté un nouveau lapin et, à la fin du film, il y aura un mot d’hommage pour lui », relate Oleg Kokhan.

Les conditions de financement et de tournage sont plus délicates en temps de guerre. « Nous avons malheureusement des moyens limités pour soutenir le cinéma mais nous sommes en discussion avec la France afin d’ouvrir un fond international », rappelle le ministre de la Culture. En marge de la Berlinale en février dernier, un fonds de soutien européen au cinéma ukrainien, doté d’un million d’euros pour 2023, a en effet été lancé par les ministres française, allemande et luxembourgeoise de la Culture. « Ce n’est pas seulement une guerre avec des armes très dangereuses, c’est aussi une guerre contre la culture », avait alors estimé la ministre allemande Claudia Roth.

Des explosions contrôlées aux festivals de cinéma

« C’est difficile en ce moment parce que le cinéma a besoin de beaucoup de financements et ce n’est pas la priorité », concède Oleg Kokhan. « Mais nous avons des amis qui comprennent que le fait culturel n’est pas moins important et que les films resteront après la guerre », souligne-t-il, évoquant des « mécènes européens » qui restent discrets. Tourner en temps de guerre présente aussi des particularités. L’équipe a dû demander l’autorisation à l’armée d’utiliser des véhicules flanqués du « V » ou du « Z » qui représentent les districts militaires russes.

Pour les explosions contrôlées du tournage, « nous sommes passés dans chaque maison afin de prévenir tous les habitants qu’il ne s’agissait que d’un film et pas d’un bombardement », explique Oleg Kokhan. Les acteurs habillés en militaires russes n’avaient pas le droit de s’éloigner pour « leur propre sécurité et éviter de paniquer les habitants ». Malgré ces difficultés, le groupe SOTA Cinéma veut présenter la bande-annonce de son film La guerre dans les yeux des animaux lors du festival de Cannes, qui se déroulera cette année du 16 au 27 mai. La première de ce recueil à plumes et à pelage devrait être diffusée lors de la Mostra de Venise, entre le 30 août et le 9 septembre.