France

Féminicide dans le Nord : Le calvaire de Sandra, morte sous les coups de son compagnon malgré plusieurs alertes

Sur son lit d’hôpital, un peu avant 1 heure du matin, Sandra Helleputte livre aux policiers un récit glaçant. La quadragénaire a le visage tuméfié, le corps recouvert d’ecchymoses. Le 11 juin 2014, elle a été agressée par son compagnon, Hocine Hamoudi, alors qu’elle se trouvait dans sa voiture, sur un parking, à Croix (Nord). Il l’a notamment frappé au bras avec un tournevis. La raison ? Elle venait de lui annoncer qu’elle ne voulait plus être obligée à se prostituer pour lui dans le vieux-Lille.

Cet homme, qu’elle a rencontré en 2011, n’a pas toujours été violent avec elle. A l’époque, elle travaillait comme « hôtesse de bar » en Belgique : Sandra vendait de l’alcool et son corps. En 2012, il l’a suivi lorsqu’elle a passé la frontière et déménagé dans le Nord de la France. Les coups ont commencé à pleuvoir en février 2014, de plus en plus souvent. Sandra a même coupé ses longs cheveux bruns pour éviter qu’il les tire quand il la bat. Et son fils aîné a dû quitter le domicile car il ne supportait plus de voir sa mère avec des bleus. Hocine Hamoudi fait régner la terreur et effraie le jeune homme, qu’il force à vendre du cannabis.

« Il menaçait tout le monde et elle se faisait battre »

Craignant des représailles, Sandra hésite cette nuit-là à déposer plainte. Cette mère de quatre enfants se laisse finalement convaincre par les policiers. Quelques semaines plus tard, elle retourne pourtant au commissariat de Roubaix et revient sur ses déclarations. Étonnamment, elle soutient avoir menti et avoir accusé son compagnon pour se venger parce qu’il l’avait trompé. Les agents ne cherchent pas à en savoir davantage, et la procédure est classée sans suite par le parquet de Lille. S’ils avaient poussé les investigations, ils auraient découvert son calvaire, vécu sous l’emprise physique et psychologique de cet homme déjà très connu de la justice pour des faits de vol et de violences avec arme.

« A chaque fois qu’elle essayait de déposer plainte ou de trouver refuge dans sa famille, il menaçait tout le monde et elle se faisait battre », confie Me Blandine Lejeune, avocate de la famille de la victime. « On ne peut pas nier que la situation a évolué, poursuit-elle. Aujourd’hui, on aurait approfondi les raisons pour lesquelles elle a retiré sa plainte, ça attire l’attention de la police. Et il y a des moyens, comme le téléphone grave danger, qui n’existaient pas à l’époque. Ce n’est pas pour autant qu’on ne pouvait pas éviter le drame qui s’annonçait. Il aurait fallu qu’il soit interpellé dès les premières violences. »

Un acharnement sur la victime

Par la suite, les policiers se rendent à au moins trois reprises chez Sandra Helleputte parce qu’il l’insulte, la menace, ou refuse de partir. Lors de l’une de ces interventions, le 16 avril 2015, les fonctionnaires demandent à Hocine Hamoudi de quitter les lieux et de laisser Sandra tranquille. Ce qu’il fait. Mais une heure après, elle se présente au commissariat couverte de sang. Après leur départ, il est revenu à son domicile et a jeté un vélo à travers la fenêtre, ce qui l’a blessé.

Un procès a eu lieu pour ces faits six semaines plus tard, le 11 juin 2015. « Il a été condamné à six mois de prison. Mais elle était déjà morte », souffle Me Lejeune. En effet, le 1er mai 2015, le corps dénudé de Sandra est retrouvé dans son appartement par son fils. Touffes de cheveux arrachés, dent cassée, lésions anales, fractures du nez, du tibia, des deux poignets, des côtes, du sternum… Elle a été massacrée.

Hocine Hamoudi est interpellé le lendemain. Devant les enquêteurs, il explique s’être « embrouillé légèrement » avec la victime le jour des faits. Il reconnaît lui avoir donné des claques parce qu’elle le menaçait avec un couteau et l’avoir frappé avec un pied de chaise. Mais il assure qu’elle s’est infligé elle-même ses autres blessures avec une tasse cassée et qu’elle s’est arraché les cheveux en hurlant qu’elle était moche. Il ajoute qu’elle avait glissé sur de l’eau et du café, ce qui pouvait expliquer ses différentes fractures. Hocine Hamoudi nie en tout cas toute intention criminelle et toute agression sexuelle. Des explications que le juge d’instruction a bien du mal à croire. Le 4 mai 2015, l’homme est mis en examen pour meurtre sur conjoint et placé en détention provisoire.

D’autres violences

Six mois après les faits, l’avocat d’Hocine Hamoudi soulève un vice de procédure. Le dossier transmis à ses défenseurs était mal numérisé et incomplet. Conséquence : la cour de cassation ordonne sa libération en novembre 2016. Mais son contrôle judiciaire tourne court. Le 23 août 2018, il comparaît devant le tribunal judiciaire de Lille pour avoir frappé et forcé sa nouvelle compagne à se prostituer. Coups, brûlures, morsures… Il est condamné à quatre ans de prison et placé sous mandat de dépôt. La peine sera ramenée à trois ans en appel. En novembre 2019, il écope de huit mois de prison supplémentaires pour avoir ébouillanté son codétenu. Le juge d’application des peines de Lille le remet pourtant en liberté le 3 avril 2020, une décision justifiée par l’état d’urgence sanitaire lié à l’épidémie de Covid-19. Deux jours après sa libération, une habitante de Ronchin qu’il importunait dépose plainte contre lui.

Huit ans après la mort de Sandra, cet homme sans emploi de 35 ans est jugé cette semaine devant la cour d’assises du Nord, à Douai, pour viol et meurtre sur conjoint. Il encourt la prison à perpétuité. Son avocat, Me Damien Legrand, n’a pas souhaité s’exprimer avant l’audience. La famille de la victime s’attend elle à vivre « un moment très douloureux », confie leur avocate, ajoutant qu’ils sont « un peu rassurés » à l’idée de savoir qu’ils ne le « croiseront pas libre » dans les couloirs du tribunal. En effet, Hocine Hamoudi a été de nouveau interpellé et placé en détention provisoire en septembre 2021 : il est accusé par une ancienne compagne de viol et de violences.