Belgique

Pieter Timmermans tire la sonnette d’alarme: « Après les élections, il faudra d’urgence une coalition de partis prêts à relever cinq défis majeurs »

Il faut trouver 1,2 milliard pour le budget 2024. Mais la Vivaldi ne devrait-elle pas aller plus loin dans l’assainissement des finances publiques ? La dette belge a explosé.

On est en campagne électorale. Ma crainte, c’est que les ministres disent “pas de taxes sur les citoyens” et que ce soient les entreprises qui paient l’addition. En Flandre, par exemple, l’effort budgétaire régional a notamment été financé par la suppression des réductions de charges pour certains demandeurs d’emploi âgés. Au fédéral, idem : à quelques mois des élections, personne ne voudra heurter son électorat. Chaque parti voudra son trophée politique, ce qui se traduit toujours par une dépense, jamais par une économie… En outre, malgré les efforts annoncés, on va droit dans le mur.

C’est-à-dire ?

Le coût du vieillissement de la population est énorme, la croissance des dépenses publiques évolue plus vite que la croissance des recettes. Le défi budgétaire restera important et va s’aggraver dans les prochaines années. Je ne suis pas d’accord avec certains économistes qui disent que le taux d’endettement n’a pas d’importance. En Belgique, on a une dette publique de plus de 105 % du Produit intérieur brut (PIB). Au Danemark, le taux d’endettement est de 30-35 %. Conséquence : les Danois soutiennent quatre ou cinq fois plus leur industrie que les Belges. Quand le taux d’endettement est moins important, vous avez beaucoup plus de possibilités d’action. Les problèmes de notre économie sont comme un iceberg : la partie visible n’est pas si inquiétante mais, en dessous, la compétitivité s’effondre, il y a l’endettement public, il y a le paramètre prémonitoire du nombre d’intérimaires en baisse, les problèmes sectoriels dans la chimie, dans la construction…. Je vois des signaux d’alerte partout. Le prochain gouvernement fédéral et les prochains gouvernements régionaux devront mener une politique de redressement budgétaire. Qu’on le veuille ou non.

guillement

Le prochain gouvernement fédéral et les prochains gouvernements régionaux devront mener une politique de redressement budgétaire. Qu’on le veuille ou non.« 

Comment faire ? Plus d’économies ? Où sont les marges dans un État moderne ?

La Belgique est le pays le plus inventif quand il s’agit de créer de nouveaux impôts. Tout est taxé sauf l’air qu’on respire… Pour chaque type d’impôt, on est dans le top trois européen. La solution pour chaque problème, c’est une taxe. Personne ne se demande si les dépenses que l’on fait sont encore nécessaires. Je suis un grand fan du “budget base zéro” : chaque année, on repart d’une feuille blanche pour composer le budget et il faut alors justifier chaque dépense. Ce système, couplé à des réformes structurelles, me semble indispensable si on veut assainir les finances publiques. En plus, il faut un budget en équilibre pour les dépenses courantes. C’est seulement pour des investissements productifs que l’on peut faire appel à l’endettement.

« Le seul gagnant de l’indexation automatique des salaires, c’est l’État »

En 2024, après les élections, il y a un risque d’instabilité politique majeure, inédite : une extrême gauche et une extrême droite si puissantes qu’elles pourraient rendre ce pays ingouvernable. Cela vous inquiète-t-il ?

C’est une grande crainte pour nous. Les marchés financiers pourraient très mal réagir à cette instabilité. Après les élections, il faudra d’urgence une coalition de partis prêts à relever cinq défis majeurs : la compétitivité, l’énergie, le marché du travail et le vieillissement de la population, le budget de l’État et la transformation de notre économie en une économie circulaire.

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Après les élections, il faudra d’urgence une coalition de partis prêts à relever cinq défis majeurs : la compétitivité, l’énergie, le marché du travail et le vieillissement, le budget de l’État, la transformation de notre économie en une économie circulaire.« 

Prenons le marché du travail. Quelle serait votre mesure prioritaire ?

Il faut agir en trois étapes pour éviter que les entreprises quittent la Belgique, faute de main-d’œuvre. D’abord, il faut un contrôle plus aigu des chômeurs. Ensuite, il faut agir à l’égard des 500 000 personnes en maladie de longue durée ou qui ont décidé de ne pas travailler. Ensuite, il y a la question de la migration.

Les chômeurs ont près de 3 fois plus de risques de mourir dans les trois ans que les travailleurs

Pieter Timmermans FEB
Pieter Timmermans, administrateur-délégué de la FEB. ©Jean Luc Flemal

”Nous avons besoin d’une migration économique encadrée”

La question de la migration ? Vous prônez une migration dite économique afin de combler les besoins du marché du travail belge ?

Oui, nous avons besoin d’une migration économique encadrée. Pas une migration “de la porte ouverte”. Il faut fixer des paramètres en fonction de ce que nous pouvons absorber. Il faut permettre une migration intelligente, qui ne donnerait pas le signal au reste du monde de venir à Bruxelles.

Faut-il régulariser les “sans papiers” en vue de les intégrer au marché du travail belge ?

Je n’ai pas d’idée tranchée sur ce point, je ne suis pas un spécialiste. Mais si on lance une régularisation, cela veut dire que d’autres personnes vont venir en plus après. Ce n’est pas normal que des milliers de migrants viennent à Bruxelles tandis qu’une dizaine seulement veut aller au Portugal, pays de taille comparable au nôtre.

La réforme du marché de l’emploi, la flexibilité, c’est votre priorité ?

J’ai donné un graphique au Premier ministre. Il explique tout. Dans une étude de l’OCDE portant sur la facilité de restructurer dans les entreprises, la Belgique est le plus mauvais élève. Nous avons le marché du travail le plus rigide au monde. Comment voulez-vous que nos entreprises s’adaptent à ce monde qui tourne à 200 km/h ? En Belgique, il faut aussi plus de mobilité géographique des travailleurs. Si on veut maintenir la solidarité, la sécurité sociale, cela implique des obligations pour les citoyens. Je suis un grand défenseur d’une sécurité sociale forte et nationale ; avec un équilibre entre droits et obligations.

L’obligation de prendre un emploi de l’autre côté de la frontière linguistique lorsqu’on est un chômeur wallon, par exemple ?

Oui, j’y suis favorable.

L’aile gauche de la Vivaldi appelle à une taxation des “surprofits” des banques et veut imposer un taux d’intérêt minimum sur les comptes d’épargne. Bonne idée ?

La victime la plus importante en démocratie, c’est celui qui ne peut pas voter aux élections : les entreprises… La grande réforme fiscale de la Vivaldi a été abandonnée et, maintenant, on la saucissonne, on fait du cherry picking, en cherchant la victime la plus faible et, hop, on lui présente l’addition. Dire que les banques gagnent plus d’argent car les taux sont plus élevés, c’est un argument trop facile. Le monde de la finance est beaucoup plus compliqué que cela. Les taux d’intérêt vont augmenter, j’en suis convaincu, mais de manière graduelle. Cela voudrait cependant aussi dire que les gens payeront aussi davantage pour leur prêt hypothécaire. Il faut réfléchir aux conséquences de ce qui est proposé.

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La victime la plus importante en démocratie, c’est celui qui ne peut pas voter aux élections : les entreprises…« 

L’impôt des sociétés (Isoc) de base a quand même été ramené à 25 %

Oui. Et les recettes fiscales ont augmenté de 9 à 16 milliards.

Faut-il encore baisser l’Isoc ?

C’est naturellement le rêve de chaque patron de la FEB. C’est mon projet pour le prochain gouvernement.

L’inflation a provoqué l’augmentation des salaires en Belgique via l’indexation automatique. Est-ce un problème majeur ?

Oui. En 2014, le handicap salarial de la Belgique était de 15 % par rapport aux pays voisins. En 2019, il était de 9 %. En 2025, il sera à 14 %. Tous les 10 ou 15 ans, le même problème revient et le prochain gouvernement aura l’obligation d’intervention. Ma proposition est la suivante : pourquoi est-il impensable que les partenaires sociaux gèrent maintenant cette question plutôt que d’attendre que le gouvernement intervienne plus tard de manière draconienne ? C’est une habitude en Belgique : on attend le dernier moment avant d’agir… On doit modifier le système d’indexation automatique des salaires pour qu’il colle mieux à la conjoncture.

”Ce qu’on a gagné en réformant les pensions de 2010 à 2019 a été largement neutralisé par tout ce qui a été décidé par la Vivaldi”

Nous arrivons à la fin de la législature. Est-ce que vous êtes satisfait du bilan de la Vivaldi ?

Je suis satisfait de ce qu’a fait la Vivaldi pendant la pandémie et lors de la crise énergétique due à la guerre en Ukraine. Par contre, où sont les mesures structurelles ? On a eu deux ou trois conférences sur l’emploi sans qu’aucune n’ait eu comme thème la manière d’atteindre les 80 % de taux d’emploi. Alors que c’est l’objectif clef de ce gouvernement ! Et les pensions ? Oui, il y a eu la réforme de la péréquation pour les fonctionnaires. OK, c’est une très bonne chose. Mais pour le reste, désolé, hein… Ce qu’on a gagné en réformant les pensions de 2010 à 2019 a été largement neutralisé par tout ce qui a été décidé par la Vivaldi.

Y a-t-il un mal belge dans la prise de décision politique ? On est loin d’être dans un État optimal.

Non. Mais je voudrais nuancer : dans les autres pays de la zone Euro, ce n’est pas optimal non plus. Notre pays est complexe. Quand il n’y a pas un facteur externe qui nous oblige à collaborer, en Belgique, on se perd vite dans des blocages. Au comité de concertation, il suffit qu’un niveau de pouvoir dise “non” pour que tout soit paralysé. Je ne dis pas qu’il faut refédéraliser des compétences, il s’agit d’un slogan. Mais il faut trouver une solution pour donner à quelqu’un le pouvoir de décider et de trancher en cas de blocage. Ça ne peut pas continuer comme cela car on perd de l’influence à l’international. Cette paralysie politique, c’est parfois grave pour les entreprises : depuis combien d’années, parle-t-on de la 5G ? Bruxelles est presque la dernière capitale à ne pas avoir d’accord à ce sujet. Mais, allez, quelle image…

guillement

Cette paralysie politique, c’est parfois grave pour les entreprise : depuis combien d’années, parle-t-on de la 5G ? Bruxelles est presque la dernière capitale à ne pas avoir d’accord à ce sujet. Mais, allez, quelle image…«