Suisse

Le principal matériau de construction de Peter Zumthor est la lumière

Christian Beutler/Keystone

Une quarantaine de maquettes de Peter Zumthor sont actuellement à découvrir au Bregenzerwald, dans un bâtiment qu’il a conçu. À l’instar de l’œuvre de l’architecte suisse, ces dispositifs expérimentaux dégagent une atmosphère intense, en réponse à chaque étape de construction.

Ce contenu a été publié le 12 août 2023 – 08:00




Los Angeles County Museum of ArtLien externe. Le chemin aurait été assez long pour ses trois enfants et ses six petits-enfants. Mais ce n’était pas la raison du changement de plans.

Plus que Le Corbusier

Notre série estivale dresse le portrait d’architectes suisses influents et décalés des cent dernières années. Quelle a été leur réflexion marquante sur l’espace? Où ont-ils laissé des traces dans le monde? Et quels sont les bâtiments qui nous impressionnent encore aujourd’hui?

End of insertion

Des difficultés de livraison dues à la pandémie, des découvertes archéologiques dans les «Tar Pits», les lacs d’asphalte noir sur le site du musée à L.A, et d’autres retards ont fait que les Angelinos doivent encore attendre avant de découvrir les espaces du plus grand musée jamais construit par Peter Zumthor.

Le Lacma ne sera probablement pas achevé avant 2025. C’est également le cas du deuxième chantier de Peter Zumthor en cours pour un musée d’envergure internationale, la Fondation Beyeler près de sa ville natale de Bâle.

Le rayonnement des pierres

Ces deux bâtiments auront des corps de pierre. À Los Angeles, il s’agit d’une figure incurvée en forme de rein en béton apparent, à Bâle d’un monolithe coulé dans un mélange de calcaire jurassique. Ils tirent leur rayonnement d’un silence souligné par la lumière, libérant ainsi un espace pour l’art. Et ce ne sont pas seulement les façades ou les calendriers qui présentent des parallèles, mais aussi les installations globales. Dans les deux musées, les édifices de Peter Zumthor font face à des bâtiments que le lauréat italien du prix Pritzker, Renzo Piano, a construits il y a quelques décennies.

Ce prix, considéré comme la plus haute distinction en architecture, a été décerné en 2009 à Peter Zumthor, alors âgé de 66 ans, onze ans après l’hommage rendu à Renzo Piano. Il a contribué à ce que le Suisse reçoive des commandes des quatre coins du monde. Malgré sa notoriété internationale, il continue de diriger un atelier à taille humaine à Haldenstein, dans les Grisons, dans un village avec un château, planté dans un décor montagnard pittoresque.

Maquette du nouveau musée prévu à Los Angeles. Atelier Peter Zumthor

C’est là que l’architecte s’est installé dans les années 1970. Il y a construit des maisons d’habitation pour ses collègues et sa famille, ainsi que son atelier. La reconnaissance internationale a suivi, au milieu des années 1990, avec la mise en scène des rochers de Vals, issus des carrières de la famille Truffer, pour les thermesLien externe de Vals. Contrairement à l’«anti-objet»Lien externe du siège de l’entreprise Truffer avec les «pierres volantes» de l’architecte japonais Kengo Kuma, les pierres des thermes de Peter Zumthor sont plantées dans la terre, comme taillées directement dans la roche, empilées autour des bassins d’eau, dans une apparente stabilité due à leur poids infini. Ces pièces sont silencieuses et lourdes, elles résonnent, on y entend de la musique – une autre passion de leur concepteur. Beaucoup le considèrent comme un architecte grison, car il travaille depuis cinq décennies dans les environs de Coire. Là, entouré d’amis et de connaissances, de livres et de musique, il travaille dans son atelier avec vue sur les montagnes.

Maquette et étude de matériaux pour les Thermes de Vals. Aldo Amoretti/Atelier Peter Zumthor

Toutes les catégories de poids

Les lourdes pierres ne sont qu’une partie du répertoire du bâtisseur Peter Zumthor. Dix ans après le chef-d’œuvre de Vals, le musée d’art de l’archevêché de Cologne a été une autre création au rayonnement international. Nommé d’après la martyre canonisée au nom onomatopéique de Kolumba, la lumière et les pierres s’y entremêlent dans un jeu qui semble parfois défier la gravité.

Et ce jeu, Peter Zumthor le maîtrise dans tous les matériaux. En bois, il l’a montré en 1989 dans la chapelle Sogn Benedetg dans la Surselva grisonne. Puis dans la structure sonore du pavillon suisse à l’Expo 2000 de Hanovre, où des empilements de planches créaient des rythmes spatiaux.

Cela ne se passe pas toujours bien. À Berlin, par exemple, le concours remporté par Peter Zumthor en 1993 pour un mémorial qui devait rappeler les horreurs du régime national-socialiste s’est soldé par une ruine et a occasionné un long conflit. Cela n’a pris fin qu’en 2004, avec une démolition et un dédommagement.

Un projet allemand ultérieur, la chapelle Bruder-Klaus-Feldkapelle en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, est beaucoup plus petit et pourtant célèbre dans le monde entier. D’une commande directe a résulté un haut volume en béton pilé, à l’intérieur duquel plus de cent troncs d’épicéa ont été brûlés, créant ainsi un espace à l’atmosphère presque indescriptible. Sur les surfaces noircies et structurées se déploie désormais un espace à la fois sensuel et contemplatif, qui résonne toujours dans l’œuvre de Peter Zumthor.

Des modèles comme outils

L’architecture de Peter Zumthor est une œuvre qui n’a pas peur du pathos, mais qui joue toujours sur des notes subtiles et les savoure avec une pleine résonance. C’est une architecture pour les sens, qui est également conçue avec les outils de la perception. Ainsi, les matériaux jouent un rôle important non seulement dans les bâtiments réalisés, mais aussi dans le processus de création. Les modèles de l’atelier de Peter Zumthor s’articulent à partir des matériaux et, en tant qu’instruments déterminants dans le développement du projet, ils parlent d’eux-mêmes.

L’exposition actuelle dans le bâtiment conçu par Peter Zumthor lui-même au Bregenzerwald donne un aperçu du processus de travail de l’architecte. Glas Marte/Werkraum

Exposition

Actuellement. une expositionLien externe se tient au Werkraum Bregenzerwald, à Andelsbuch, en Autriche. Elle est organisée par l’architecte finlandaise Hannele Grönlund, en collaboration avec Peter Zumthor (jusqu’au 16 septembre 23), et présente un «des espaces pensés de manière artisanale». Les artisans du Bregenzerwald ont en effet trouvé dans leur propre passion pour le travail de la matière des points communs avec l’art de construire de Peter Zumthor et avaient invité l’architecte suisse en 2009 à concevoir une salle de spectacle pour leur association. Sur 700 mètres carrés, une exposition montre la diversité des modèles architecturaux, tous pensés et réalisés de manière sensuelle, qui ne se contentent pas d’utiliser le matériau, mais le font agir dans toutes ses variantes.

End of insertion

L’éventail des matériaux de Peter Zumthor est large. Outre le bois et l’argile, il y a aussi le béton apparent, comme pour le Kunstmuseum Bregenz (KUB), une œuvre précoce et importante datant de 1997. Dans le bâtiment du musée de Bregenz, un cube revêtu de verre gravé, la lumière joue le rôle principal à l’intérieur comme à l’extérieur. À l’extérieur, la surface capte le ciel et l’environnement dans des ambiances toujours différentes. Et à l’intérieur, elle filtre et dirige la lumière de manière à ce qu’elle tombe uniformément sur les plafonds lumineux des salles d’exposition en béton brut.

Les modèles de l’atelier de Peter Zumthor parlent du matériau . . . Dominic Kummer/Werkraum

À Bregenz aussi, Peter Zumthor a déjà présenté son propre travail et, ce qui est peut-être plus important, le panorama de ses intérêts et de ses références. Il y a six ans, à l’occasion du vingtième anniversaire du KUB, il a invité des personnalités de la littérature, de l’art et de la philosophie à réfléchir sur le monde. Cet échange d’idées a ensuite été publié sous forme de livre, sous le titre de «Dear to Me» (in Deutsch und Englisch, Scheidegger & Spiess, 2021)Lien externe. Les dialogues avec d’autres artistes et intellectuels qui y sont reproduits mettent en relation le monde spirituel de l’art et le monde matériel de la construction d’une manière que peu d’autres architectes ont réussi à faire jusqu’à présent.

Les matériaux sont des instruments décisifs dans le développement de projets. Dominic Kummer/Werkraum

Sans compromis

De même que la lumière, et non la substance physique, est en premier lieu le matériau de construction de Peter Zumthor, ce sont les ombres qui maintiennent les pierres en équilibre à Vals et à Cologne, qui font flotter les planches de bois à Hanovre et qui articulent les contours de l’espace à Bâle et à Los Angeles. Le concepteur et le public doivent encore attendre les effets de ces deux derniers projets.

Envisager les points culminants de sa propre création à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire est un privilège qui a toujours été accordé aux architectes, car la planification et la construction sont des processus de longue haleine. Malgré tous les hommages internationaux, l’œuvre de Peter Zumthor est restée modeste, notamment parce que les compromis n’ont jamais été sa tasse de thé.

Sabine von Fischer est architecte et critique d’architecture. En octobre 2023, une sélection de ses textes pour la presse quotidienne sera publiée sous le titre « Architektur kann mehr. Von Gemeinschaft fördern bis Klimawandel entschleunigen » aux éditions Birkhäuser.

Traduit de l’allemand par Françoise Tschanz

Articles mentionnés

En conformité avec les normes du JTI

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative