Suisse

Le Gesda peut-il positionner Genève sur les défis du futur?

Peter Brabeck, président du Gesda, lors de l’ouverture le 11 octobre du troisième sommet de la fondation à Genève. Porté par le gouvernement, le Gesda doit permettre à la Genève internationale de se saisir des enjeux de gouvernance futurs. © Keystone / Martial Trezzini

La Suisse entend miser sur la diplomatie scientifique pour faire de la Genève internationale un pôle de la gouvernance des technologies. Une volonté qui se matérialise par le Gesda, dont le sommet annuel vise à réunir les communautés scientifique et diplomatique internationales. Mais après quatre ans d’existence, l’organisation doit encore faire ses preuves.

Ce contenu a été publié le 13 octobre 2023 – 13:28




une plateformeLien externe, accessible en ligne, cataloguant les plus importantes percées scientifiques attendues au cours des cinq, dix et 25 prochaines années dans plusieurs domaines de recherche. Ses résultats se basent sur les réflexions de plus de 1500 scientifiques sondés à travers le monde.

«Le défi, c’est d’amener ce radar d’anticipation aux personnes pertinentes, indique Johan Rochel, chercheur en droit et éthique de l’innovation à l’EPFL. Développer les scénarios, c’est un premier objectif. Mais les faire vivre et les amener aux décideurs et décideuses politiques, ça, c’est le deuxième gros objectif.»

Mais alors que la coopération multilatérale est au point mort en raison des tensions géopolitiques – rivalité Chine-États-Unis, guerre en Ukraine et désormais guerre israélo-palestinienne – le Gesda doit faire face à de forts vents contraires.

«Est-ce qu’on peine à s’inscrire dans le débat ambiant? Peut-être, a reconnu Jean-Marc Crevoisier. Mais on est une fondation qui démarre, on a un produit qui est reconnu comme étant pointu, et on débat chaque année de ces questions.» Et d’ajouter que six ministres étrangers sont attendus au sommet du Gesda cette année. Un effort d’atteindre les capitales du monde que la fondation entend poursuivre, même s’il est, pour l’instant, difficile de quantifier l’impact mondial de la conférence. Une visite à celle-ci par SWI swissinfo.ch confirme une forte présence scientifique internationale, mais un faible nombre de diplomates.

«Évidemment, on n’a pas les moyens de visiter toutes les capitales du monde et de faire une promotion du radar comme on le voudrait», a indiqué Martin Müller, directeur exécutif de la science d’anticipation du Gesda. En 2022, la fondation disposait d’un budget dépassant à peine 4 millions de francs et employait douze personnes. «Je pense que le message commence un peu à se diffuser aussi dans les différentes capitales via les représentations permanentes ici à Genève», a-t-il néanmoins ajouté.

Genève est proche d’atteindre l’universalité en matière de représentations diplomatiques installées sur place. 180 États sur les 193 que reconnaît l’ONU y sont établis de façon permanente, notamment en raison de la présence du siège européen des Nations unies et de celui de l’Organisation mondiale du commerce. Quelque 750 organisations non gouvernementales y sont aussi établies. Sur une vingtaine de représentations contactées, dont les principaux pôles de recherche et puissances mondiales et régionales, seules celles du Royaume-Uni et du Japon ont répondu à nos sollicitations et confirment que des diplomates feront le déplacement depuis leurs capitales respectives.

Quel futur?

«Le Gesda est une stratégie d’influence ou de ‘science pour la diplomatie’ par laquelle le DFAE cherche à promouvoir des objectifs politiques qui vont au-delà de la science, explique Leo Eigner, chercheur en diplomatie scientifique au Centre pour les études de sécurité (CSS) de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). Le problème de cette approche est qu’il est très difficile de mettre sur pied de telles initiatives et de le faire rapidement.»

Darius Farman, codirecteur du laboratoire d’idées foraus à Genève, pense également qu’il faudra attendre encore «quelques années pour pouvoir tirer un bilan et évaluer les résultats concrets» du Gesda. «Ces prochaines années, il risque d’y avoir une demande de plus en plus forte de pays dit du ‘Sud global’ pour que le multilatéralisme se désoccidentalise, qu’il devienne plus représentatif de leur force démographique et économique croissante […] Le Gesda va devoir travailler avec un nombre très important d’acteurs à l’international et adopter un casting extrêmement diversifié s’il veut atteindre son objectif de mobilisation», ajoute-t-il.

Alors que les atouts historiques de la diplomatie suisse, sa neutralité et sa politique des bons offices, semblent aujourd’hui peiner à convaincre sur la scène internationale, la Suisse continue de bénéficier d’une excellente réputation dans le domaine de la recherche, avec la présence notamment de deux grandes écoles polytechniques et du CERN. Un pari sur la diplomatie scientifique pourrait donc s’avérer payant, estiment plusieurs experts. Mais Genève n’est pas seul à vouloir se positionner comme pôle de la gouvernance des technologies, d’autres centres du multilatéralisme tels que New York, Paris, ou Bruxelles souhaitent aussi se profiler.

«Le Gesda vient de toute façon jouer un rôle dans des écosystèmes beaucoup plus larges. C’est Genève et ses acteurs qui doivent se coordonner et se mobiliser. D’autres villes cherchent à attirer le même type d’organisations», souligne Johan Rochel.

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin

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