Suisse

Bâle expérimente la dépénalisation du cannabis récréatif

Après avoir été confrontée à cette question pendant des années, la Suisse a décidé d’étudier l’impact de la dépénalisation du cannabis à usage récréatif. Keystone

La Suisse a démarré cette année la vente de cannabis légal dans plusieurs villes. L’objectif est d’évaluer les avantages d’une réglementation de l’offre de cette drogue récréative. Pour observer comment se déroule le premier projet pilote, SWI swissinfo.ch s’est rendu à Bâle, où le cannabis est disponible dans certaines pharmacies.

Ce contenu a été publié le 07 novembre 2023 – 13:49




a déclaré une commission fédéraleLien externe l’an passé. C’est ce que les services de santé locaux tentent de faire en collaboration avec les universités, les instituts de recherche et d’autres organisations spécialisées dans des villes comme Bâle.

Des essais strictement contrôlés

Les autorités sanitaires du canton de Bâle-Ville ont choisi la pharmacie Klybeck et huit autres officines pour vendre du cannabis dans le cadre du projet pilote. Depuis janvier, ces dernières proposent six produits – quatre types de fleurs de cannabis et deux sortes de haschisch – à des concentrations variables. Le cannabis cultivé biologiquement dans le pays est produit par l’entreprise suisse Pure Production et vendu sous des noms tels que «Purple Gas», «Lemon Tart» et «Diesel Pollen».

Les produits à base de cannabis mis à la disposition des personnes participant au projet à la pharmacie Klybeck, dans le centre de Bâle. swissinfo.ch

Le pharmacien Markus Fritz est un partisan enthousiaste du projet pilote. «La prohibition ne fonctionne pas. Vendre de l’herbe en pharmacie est intéressant, car les produits sont de haute qualité biologique. Les consommatrices et consommateurs savent ce qu’ils achètent», relève-t-il.

L’étude sur le cannabis est étroitement contrôlée. Les participantes et participants sélectionnés, principalement des hommes (80%) âgés de 18 à 76 ans, ne peuvent acheter que deux paquets de cinq grammes à la fois pour leur usage personnel, dans la limite de dix grammes de THC pur par personne et par mois.

Les paquets stockés dans le coffre de la pharmacie contiennent des produits dont le taux de THC varie entre 4,5% et 20%. Les prix sont alignés sur ceux du marché illégal. Un gramme coûte entre 8 et 12 francs, selon le taux de THC. Les participantes et participants à l’étude peuvent être en possession seulement de cannabis dans son emballage d’origine scellé autorisé et le consommer personnellement.

Un sachet de cannabis « Purple Gas » (teneur en THC de 12 %) en vente dans certaines pharmacies bâloises dans le cadre du projet pilote. Keystone

Les gens fument partout

Sur les rives du Rhin, qui traverse la ville, les gens profitent des rayons du soleil automnal. Les grands-parents distribuent des collations aux enfants et, près du bord de l’eau, une odeur sucrée flotte dans l’air.

«À Bâle, les gens fument partout», indique une serveuse qui débarrasse la table d’un café voisin. «Ici, sur les rives du Rhin, c’est très ouvert et la police passe deux ou trois fois par jour en été. Quand il y a du monde après le travail, on sent la drogue partout. Mais lorsqu’un policier arrive, les gens la jettent dans le fleuve.»

La Suisse a progressivement dépénalisé la consommation modérée de cannabis: en juillet dernier, le Tribunal fédéral a statué que la police n’était pas autorisée à confisquer et à détruire des quantités de cannabis inférieures à dix grammes s’il n’y a pas de preuve qu’un délit a été commis et si le produit n’est pas réellement consommé au moment de la constatation de l’infraction.

Le cannabis destiné au projet pilote de Bâle est cultivé et préparé en Suisse par l’entreprise helvétique Pure Production. Christian Beutler/Keystone

L’opinion publique suisse favorable à la légalisation du cannabis

Les projets pilotes disséminés dans toute la Suisse bénéficient du soutien de l’Office fédéral de la santé publique, de la plupart des autorités municipales et d’une majorité de la population. Selon un sondage réalisé en 2021, 70% des Suisses considèrent que la loi fédérale en la matière devrait être réformée, contre 58% trois ans plus tôt. Les personnes interrogées citent la limitation du marché noir et l’amélioration de la sécurité des consommatrices et consommateurs comme des raisons importantes pour la légalisation du cannabis.

Néanmoins, les projets pilotes ont aussi leurs détracteurs. L’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) bâloise soutient l’utilisation du cannabis à des fins médicales, mais rejetteLien externe catégoriquement les études scientifiques sur l’usage récréatif: «Il n’appartient pas à l’État de promouvoir aux frais du contribuable des stupéfiants illégaux dans le cadre de projets controversés.»

Lien entre cannabis et maladies mentales

Le lien entre le cannabis et les problèmes de santé suscite également des inquiétudes. Un organe de contrôle des stupéfiants des Nations Unies a avertiLien externe, au début de l’année, que les mesures prises par les gouvernements pour légaliser l’usage récréatif du cannabis avaient entraîné une augmentation de la consommation et par là même des problèmes de santé. Le gouvernement bernois s’est opposéLien externe à un essai d’usage récréatif dans la capitale pour de telles raisons.

Une étudeLien externe publiée l’an dernier par l’Université de Berne a révélé une forte augmentation du nombre d’admissions en hôpital psychiatrique pour des diagnostics liés au cannabis. La plupart des cas concernaient des adolescentes et des adolescents ainsi que des jeunes adultes (âgés de 15 à 44 ans), avec une hausse plus importante chez les hommes que chez les femmes.

Le projet «Weed Care» de Bâle vise à prévenir les habitudes de consommation à risque, à détecter rapidement l’usage problématique et à réduire les dommages, souligne Lavinia Baltes, codirectrice du projet et responsable de la recherche dans une clinique psychiatrique du canton d’Argovie.

Elle cite l’exemple du Canada, où le cannabis a été légalisé il y a cinq ans. La loi canadienne sur le cannabisLien externe met fortement l’accent sur la santé et la sécurité publiques en imposant des restrictions à la vente aux jeunes, en limitant les taux de THC, en apposant des avertissements sanitaires clairs et complets sur les produits, en informant le public et en menant des recherches sur la consommation de cannabis.

«Grâce à cette approche, nous pouvons observer un changement dans la méthode de consommation: du tabagisme, les gens passent à des formes de consommation moins risquées telles que le vapotage», signale Lavinia Baltes.

Les lois sur le cannabis dans le monde

Depuis 2014, l’usage du cannabis à des fins récréatives a été légalisé dans de nombreux États américains, ainsi qu’en Uruguay depuis 2012 et au Canada depuis 2018.

En 2022, la Thaïlande est devenue le premier pays d’Asie du Sud-Est à dépénaliser le cannabis, mais en l’absence de mesures spécifiques, le gouvernement a dû édicter à la hâte des règles pour empêcher sa consommation incontrôlée, en particulier chez les enfants.

En décembre 2021, Malte a adopté une loi autorisant la culture limitée de cannabis à domicile et dans des clubs de culture à but non lucratif enregistrés, ainsi que sa consommation dans les logements privés. Le système de distribution limitée de cannabis qui existe aux Pays-Bas depuis les années 1970 a connu de nouveaux développements, avec la mise en place récente d’un «circuit fermé d’approvisionnement des coffeeshops».

Entre-temps, les gouvernements de République tchèque, d’Allemagne, du Luxembourg et de Suisse ont annoncé des plans pour la distribution réglementée de cannabis à des fins récréatives. La Suisse a lancé des essais pilotes scientifiques de vente légale de cannabis en janvier 2023.

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À Bâle, les participantes et participants à l’étude doivent prendre part à de nombreuses réunions et enquêtes en ligne pour partager leurs expériences avec des spécialistes de la santé. Les professionnel-les espèrent obtenir des informations importantes concernant l’impact du cannabis sur la santé mentale et physique des personnes, en lien notamment avec la dépression, l’anxiété, le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité, la psychose et la qualité de vie.

Les premières conclusions seront publiées en janvier prochain. Jusqu’ici, les autorités sanitaires cantonales indiquent que treize kilogrammes de cannabis ont été vendus dans le cadre du programme au cours du premier semestre 2023 et qu’il n’y a eu «aucun effet indésirable».

Selon le pharmacien de l’officine Klybeck, les produits les plus forts sont les plus populaires. De son côté, Markus dit avoir essayé plusieurs types de cannabis au cours du projet. Il fume la même quantité qu’auparavant. «Mais je tenterai d’en consommer moins au fil du temps», déclare-t-il.

*Nom modifié à la demande de la personne. Le nom réel est connu de l’auteur.

Relu et vérifié par Sabrina Weiss et Veronica De Vore, traduit de l’anglais par Zélie Schaller

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