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Peut-on dire que l’influenceur Dylan Thiry s’adonne à du trafic d’enfants, comme l’en accuse Booba ?

Dans son viseur cette fois-ci, Dylan Thiry, instragrameur luxembourgeois devenu dubaïote, déjà visé par des plaintes pour abus de confiance. Mais pas que. « Et toi ma belle t’es dans une sacrée sauce aux champignons avec ton front énorme et tes pieds d’yéti vous allez tous payer bande de diables », écrit Booba en s’adressant à Jazz, personnalité incontournable de la téléréalité française, protagoniste d’une émission centrée sur sa vie de famille avec Laurent et leurs enfants – la JLC Family. Mardi, soit vingt-quatre heures plus tard, le puzzle s’assemble à la publication d’une vidéo : elle révèle des enregistrements audio du premier impliquant la seconde, à propos d’un projet d’adoption potentiellement illégale à Madagascar. Depuis, les deux trentenaires sont accusés de faire du « trafic d’enfant »» par des centaines de personnes. Deux députés ont déjà saisi la procureure de la République de Paris « afin que la justice enquête ». Qu’en est-il ?

« Je prends un gros billet et ça sauve un enfant »

Les vocaux, dans lesquels la voix de Dylan Thiry est aisément identifiable, sont choquants : « Jazz elle m’avait écrit […] pour savoir si j’avais un contact pour adopter, moi je peux faire en sorte qu’elle adopte, […] j’avais pensé à leur demander 100 000 euros, minimum hein c’est vraiment le minimum. Je leur dis de venir à Madagascar, ils me donnent 100 K et moi je fais tout pour qu’ils puissent adopter et du coup sauver un enfant, dis moi ce que t’en penses. » La destinataire du message audio invitée à donner son avis est identifiée par Dylan comme étant Sandra, son ancienne « agente » et « très bonne amie », qui lui a tourné le dos depuis plusieurs mois. De fait, l’ancienne vice-présidente de l’association Pour Nos Enfants – fondée par l’influenceur pour financer ses voyages humanitaires polémiques – a fini par se retourner contre lui et déposer une plainte contre X pour « détournement de fonds » et « abus de confianc »», comme le révélait Libération en janvier.

« D’un je prends un gros billet – enfin je dis pas que c’est pour moi, je dis qu’il y a environ 150 000 euros de documents à régler avec les avocats, alors que je prends tout dans ma poche – et de deux ça sauve un enfant, voilà ce sont les deux trucs positifs », détaille encore l’influenceur dans un second vocal, lui aussi transféré par ladite Sandra au collectif d’aides aux victimes d’influenceurs, donc à Booba, avec qui ils œuvrent de concert. Contactés, ni l’influenceur ni son ancienne confidente n’ont répondu. Sandra s’est exprimée dans le Space – débat en live sur Twitter – du collectif AVI dans la nuit du 25 au 26 avril pour affirmer qu’elle était « à chaque fois, la personne qui le dissuadait de faire ce genre de choses ». De son côté Dylan Thiry ne nie pas avoir tenu ces propos, qui étaient à l’entendre un simple brainstorming, dans « l’intimité » d’une discussion privée, après la proposition d’un tiers lors de son dernier voyage humanitaire, soit l’été dernier. « Une fois, à Madagascar, il y a des Français qui s’occupaient des procédures d’adoptions, et l’un m’a dit ‘écoute Dylan si jamais tu connais des familles qui ont de l’argent et qui sont prêts à adopter, toi tu peux t’en mettre plein les poches », racontait ouvertement l’intéressé en story Instagram dès dimanche, pour tenter de prendre les devants sur les révélations de Booba.

Dans un laïus voulant tourner en dérision les pires idées qui lui ont traversé l’esprit dans sa drôle de vie de personnalité des réseaux, il continuait d’un ton serein : « Je dis ‘ah ouais comment’ ? Il me répond ‘si tu nous ramènes quelqu’un tu peux prendre cinquante ou cent mille’. Je me dis ah ouais cool, en plus ça permet à un enfant d’être sauvé ! Surtout que dans nos milieux y’a des gens qui ont de l’argent, et je savais que Jazz voulait adopter. Après je réfléchis, je me dis, mais en fait je vais quand même pas prendre un billet sur l’enfant ? Ok tu prends de l’argent facile parce que t’as fait le contact, mais en fait c’est comme si t’avais vendu un enfant, c’est bizarre ! Du coup j’ai jamais contacté Jazz ni personne »»

De la même façon, il dit avoir songé un moment à gérer les comptes MYM – plateformes payantes de contenus pornographiques – de jeunes filles contre 80 % de leurs revenus, avant de comprendre que « c’est du proxénétisme, c’est une dinguerie ! » Des mauvaises graines plantées dans son esprit par ce qu’il décrit comme des personnes malveillantes. « Le mec te baratine ça tous les jours, il te parle d’argent, de 200 000, 400 000 euros. Après tu te remets en question […] mais j’y ai pensé, c’est grave. » Des confessions qui avaient déjà choqué les internautes.

LIEGE. AUX ARDENTES, BOOBA. Photo Michel Tonneau
Booba, de rappeur à « lanceur d’alerte » ©MICHEL TONNEAU

« Des paroles et pas des actes »

Depuis, l’indécence de ses vocaux, couplée à la puissance médiatique de Booba, a attisé la polémique. Il n’a repris la parole que pour insister : s’il a bien envisagé, au moins le temps de cette conversation, de prendre une commission à six chiffres sur une adoption, il aurait laissé tomber. « Ce sont des paroles et pas des actes, tout ce qui a été dit n’a pas été fait », affirme-t-il. Une version qui ne convainc pas ses détracteurs, pour qui rien ne prouve qu’il n’est pas allé au bout de ses idées.

Jazz confirme cependant ses dires. Contactée par Libération, l’instagrameuse qui s’estime « victime dans cette histoir »», a répondu dans l’heure. « Cela fait plus de quatre ans que j’essaye d’adopter un enfant, dans n’importe quel pays du monde. Effectivement il y a deux ans, quand j’ai vu Dylan s’impliquer dans l’humanitaire, j’ai trouvé ça super et je lui ai demandé s’il connaissait des associations en lien avec des orphelinats sur place, pour nous mettre en relation. Il a dit qu’il me tiendrait au courant puis il ne m’a jamais donné de nouvelles, affirme la maman de trois enfants, enceinte d’un quatrième. Alors même qu’elle le relance en le croisant à Dubaïil ne donne jamais suite. « Donc en découvrant la note vocale, j’étais abasourdie. Forcément ça m’a vexée d’entendre ses intentions de me voler, et de me rendre complice d’une chose horrible… mais au final il ne m’a jamais contactée pour me faire croire qu’il y avait une possibilité d’adopter, ou encore que ça allait me coûter 150 000 euros. »

Si elle avait reçu une telle proposition, elle aurait « évidemment refusé » : son projet d’adoption est toujours d’actualité, « mais il n’a jamais été question d’acheter un enfant ! » Elle précise aussi que Dylan Thiry s’est excusé auprès de Laurent, son mari. « Il a confirmé qu’il nous en a jamais parlé parce qu’il a eu conscience tout de suite que c’était pas bien du tout. » Si la jeune femme se sent « un peu humiliée, utilisée et salie », elle veut croire « qu’il n’est pas allé au bout de ses mauvaises pensées ». Reste que le couple reçoit depuis des messages « très graves » faisant mention « de trafic d’humains ». Le terme s’est en effet rapidement imposé sur Twitter en réponse à la vidéo de Booba et est utilisé par tous les commentateurs depuis.

Le député des Français à l’étranger Stéphane Vojetta s’est notamment fendu d’un tweet trente minutes après la publication des enregistrements : « C’est inacceptable. Cela s’appelle du trafic d’enfants et pas besoin d’attendre une loi influenceurs pour poursuivre ceux qui s’en rendent coupables. » Mercredi 26 avril, il a annoncé avoir saisi la procureure de la République « en vue d’une situation s’apparentant à du trafic d’enfants ». Une démarche au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, engagée avec Arthur Delaporte, le député socialiste du Calvados avec qui il a corédigé la proposition de loi visant à lutter contre les dérives des influenceurs et les arnaques sur les réseaux sociaux. Problème : si les projets envisagés par Dylan Thiry sont, sans équivoque, totalement immoraux, les députés et autres critiques pourraient s’être précipités sur l’aspect juridique.

Des faits peu précis

« Des déclarations dévoilées depuis quarante-huit heures dans les médias pourraient constituer un trafic d’enfant », écrivent les parlementaires à la procureure Laure Beccuau. Dans les retranscriptions des enregistrements audios – publiés la veille et seulement sur les réseaux – certains extraits n’ont encore jamais été rendus publics. « Si je veux sauver une fille à Madagascar, je vais prendre le passeport d’une pote à moi qui a une fille noire, lui va faire une déclaration de perte, et avec ce passeport-là c’est comme si j’étais venu avec elle, et je repars en Europe », peut-on ainsi découvrir dans la saisine des députés.

Un verbatim de Dylan Thiry envoyé en amont à Stéphane Vojetta et publié plus tard sur le compte de Booba. Le courrier indique que « ces déclarations, si elles ont été suivies d’effets, s’apparenteraient à du trafic d’enfant notamment interdit par la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) de 1989″. Ce texte ne comporte aucune mention ou définition du trafic d’enfant. Le plan décrit par Dylan Thiry pourrait néanmoins « être une violation de l’article 21.D de la CIDE« , analyse Guilherme Karakida, responsable des programmes internationaux d’Unicef. Il impose aux Etats signataires, dont Madagascar fait partie, de « prendre toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d’adoption à l’étranger, le placement de l’enfant ne se traduise pas par un profit matériel indu pour les personnes qui en sont responsables ». Autrement dit, il est interdit de se faire de l’argent sur une adoption. Mais quid d’adopter un orphelin après l’avoir sorti de son pays avec de faux documents ?

Dans le cas de l’ancienne affaire de l’Arche de Zoé – où des enfants devaient être exfiltrés du Tchad vers la France – les poursuites étaient de l’ordre de la tentative d’enlèvement, car ils n’étaient en réalité pas orphelins, rappelle Ingrid Metton, membre de l’Alliance des avocats pour les droits de l’Homme. « Cela pourrait être de l’enlèvement d’enfant : quand bien même il n’aurait plus de famille, chacun est censé respecter les procédures d’adoption, estime également Manon Bracco, avocate spécialisée en droit de la famille et procédures d’adoption. Concernant les poursuites, tout dépend de la législation du pays concerné, et d’un certain nombre d’éléments : les gens qui sont censés être titulaires de l’autorité parentale ont-ils autorisé le déplacement géographique de l’enfant ? Reconnu l’individu qui part avec l’enfant comme un tiers de confiance ? Les autorités étaient-elles informées des manœuvres frauduleuses utilisées pour emmener l’enfant ? » La liste des possibilités est longue. Les avocates consultées estiment difficile de qualifier pénalement des faits si peu précis, encore plus car ce sont à ce stade de simples allégations. « Pour caractériser l’infraction, il faut qu’il y ait au moins tentative. Or de ce que l’on sait, il n’y a pas eu de commencement d’exécution », précise Hélène Massin-Trachez, experte en droit pénal international.

« Extraterritorialité des réseaux sociaux »

« Mais le trafic d’enfants, en droit international, c’est la vente ou le transfert d’enfant dans un objectif d’exploitation, pour de la prostitution par exemple, prévient Ingrid Metton, avocate en droit pénal, droit des étrangers et droit d’asile, du cabinet Chango. Dans un cas comme celui-ci, où l’enfant a vocation à être adopté et accueilli par une famille, on ne peut pas qualifier les faits de trafic. » Les définitions données par les textes référents sont de fait, exhaustives : « La traite des enfants est caractérisée dès lors qu’il y a eu une action telle que le recrutement, l’achat et la vente ; et que cette action avait pour fin spécifique l’exploitation. En d’autres termes, il y a traite si l’enfant est soumis à tout acte, tel le recrutement ou le transport, dont la fin est l’exploitation de cet enfant », explique clairement la fiche d’information sur les droits de l’Homme et la traite des êtres humains des Nations unies. L’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) indique de fait que « le trafic d’êtres humains a lieu à des fins spécifiques, telles que l’exploitation sexuelle, l’exploitation par le travail, la criminalité forcée et le prélèvement d’organes, entre autres formes d’exploitation ».

« C’est un abus de langage, même si c’est l’expression qu’on a envie d’utiliser spontanément, le terme trafic d’enfants n’a pas de réalité juridique dans la situation présente », confirme Hélène Massin-Trachez, avocate au barreau de Lyon. « C’est une notion générique, qui peut englober plusieurs infractions, complète Manon Bracco. Rien d’anormal, au demeurant, de viser large dans un signalement au procureur ». Le problème selon ces expertes, est plutôt que la justice française n’a – a priori – aucune raison de s’impliquer, puisque Dylan Thiry est Luxembourgeois, réside à Dubaï, et aurait envisagé de commettre ses délits à Madagascar. Pour des personnes de nationalité étrangère, la compétence des juridictions françaises ne concerne que des infractions commises en France.

« Je me suis posé la question, c’est toute la difficulté de l’extraterritorialité des réseaux sociaux, mais il semble qu’il y ait des Français impliqués dans cette histoire, donc notre pays pourrait être à même de transmettre des éléments aux services de polices internationaux », justifie le député Stéphane Vojetta. Un souhait irréaliste, selon Manon Bracco : « Il peut y avoir une coopération entre les pays, mais ça suppose que soit relevée une problématique générale d’ordre international. Je comprends que ce soit pris au sérieux, mais ce sont des paroles, potentiellement en l’air, d’un influenceur. C’est une chose est de faire un signalement, une autre d’amener des éléments matériels pour permettre au procureur de préciser les infractions. »