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Élections en Turquie : la surprise du “Reis”

D’après les derniers chiffres provisoires de l’agence Anadolu, Recep Tayyip Erdogan a obtenu 49,5 % des voix, avec quatre points d’avance sur Kemal Kiliçdaroglu qui recueille 44,89 % des votes. L’Alliance de la nation tente de rassembler ses troupes avant le deuxième tour, mais la déception est palpable dans les rangs de l’opposition.

Les sondages démentis

Ces dernières semaines, une douzaine d’instituts de sondage donnaient en effet le candidat de l’opposition en tête dans les enquêtes d’opinion. Jeudi 11 mai, l’institut de sondages Konda, l’un des plus respectés, créditait Kemal Kiliçdaroglu de 49,3 % des voix contre 43,7 % pour le président sortant, Recep Tayyip Erdogan. Le nom du candidat d’opposition a pourtant été annoncé tardivement, un mois et demi à peine avant le scrutin, tandis que le président Recep Tayyip Erdogan, fort de ses relais médiatiques, faisait campagne sur sa capacité à redresser l’économie.

La ferveur populaire soulevée par le discours de réconciliation (hellalesme), le succès des vidéos diffusées ces dernières semaines intitulées “Kurdes” et “Alévi” (brisant des tabous sociaux, NdlR) et le désistement de dernière minute de l’un des quatre candidats à la présidentielle, Muharrem Ince, laissaient augurer une victoire possible de M. Kiliçdaroglu au premier tour.

Présidentielle en Turquie: Erdogan en position de force avant le second tour

Dans le camp d’en face, les électeurs de l’AKP, biberonnés à la communication gouvernementale, n’attribuent pas la crise économique au gouvernement mais y voient les conséquences d’une crise économique mondiale. Les franges les plus modestes et conservatrices de la société continuent de voir en Recep Tayyip Erdogan un homme du peuple leur ayant rendu une dignité malmenée par les kémalistes laïques républicains. Enfin, le développement de l’industrie de la Défense notamment (drones), et la politique d’autonomisation du pays face aux “puissances étrangères” fait la fierté de son électorat.

Je n’ai pas réussi à interpréter correctement la société dans laquelle je vis”, admettait le journaliste Mehmet Y. Yilmaz, sur le site d’information en ligne T24, au lendemain du scrutin. “Bien qu’Erdogan et son parti aient perdu un nombre de voix conséquent comparativement aux élections précédentes, ce sont indéniablement les vainqueurs de l’élection”, écrivait-il.

Les votes des ultra-nationalistes décisifs

À l’heure de l’autocritique, l’opposition renouvelle son équipe de communication de campagne pour préparer le second tour : le très populaire Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul, et le président du CHP à Istanbul, Canan Kaftancioglu sont pressentis. L’enjeu des prochaines semaines résidera cependant moins dans la communication auprès de l’électorat que dans les tractations en coulisse.

Le troisième candidat ultranationaliste issu de l’extrême droite Sinan Ogan a créé la surprise en obtenant 5,2 % des suffrages. S’il venait à donner une consigne de vote en faveur de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu aurait encore une chance de l’emporter, mais l’homme fait déjà monter les enchères et la marge de manœuvre apparaît serrée. “Nous avons déjà expliqué que la lutte contre le terrorisme et le renvoi des réfugiés faisaient partie de nos lignes rouges”, a-t-il déclaré à l’agence Reuters.

Si les partisans de l’AKP laissaient s’exprimer leur joie, au soir du 14 mai, l’avance confortable dont bénéficie le parti sur les formations politiques concurrentes ne cache pas un certain effritement de ses soutiens. En 2018, Recep Tayyip Erdogan avait emporté l’élection présidentielle dès le premier tour avec 52,54 % des voix et son parti était entré avec 295 sièges au Parlement de Turquie. Avec 35,58 % des suffrages, l’AKP obtient cette fois 267 sièges et n’accède à la majorité que grâce aux sièges de ses alliés de la coalition, dont la couleur islamiste s’est affirmée avec l’arrivée du Yeniden Refah et du Hüda-Par (parti islamiste présent dans les régions kurdes).

Les grands vainqueurs de la présidentielle sont indéniablement les électeurs attachés aux valeurs nationalistes, une tendance qui n’a pas été suffisamment bien saisie par les observateurs et les enquêtes d’opinion. Les thèmes chers à cette frange de l’électorat seront aux centres des tractations avec Sinan Ogan, et sont amenés à définir les grandes orientations politiques pour lesquelles optera le prochain locataire du palais présidentiel de Bestepe, à Ankara.