France

« Des stages fourre-tout »… Leur efficacité pour lutter contre le sexisme reste à prouver

« Je pensais avoir affaire à des auteurs d’outrages sexistes, mais je me suis retrouvé face à des proxénètes, des auteurs de violences conjugales et des auteurs de cyberharcèlement. » Jean-Michel Taliercio est perplexe. Depuis deux ans, le président de l’association Dans le Genre Égales organise des stages de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la demande du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Seine-Saint-Denis. « Je me pose pas mal de questions au sujet de ces stages, continue-t-il. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à comprendre leur intérêt. »

Au premier étage de la Cité audacieuse, lieu de réunion des principales associations féministes à Paris, son équipe prépare le contenu des stages. « C’est difficile de proposer des ateliers pertinents quand les personnes qui suivent les stages sont des auteurs de délits différents », regrette-t-il. D’autant qu’ils peuvent être utilisés autant en complément de peine, qu’en alternative aux poursuites.

L’instauration de ces stages, par l’ex-secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa, accompagne la création du délit d’outrage sexiste. Pensé pour réduire le harcèlement de rue, le délit s’inscrit dans la « grande cause du quinquennat » précédent, la lutte contre les violences faites aux femmes. Mais cinq ans après leur mise en place, le gouvernement n’a toujours pas d’outils pour mesurer l’efficacité de ces stages.

« Certains pensent qu’ils n’ont plus de biais sexistes »

« Ces ateliers aident à relativiser le geste, et à se dire que ce n’est pas grave si, finalement, ce n’était pas la bonne », déclare Georges*, évoquant son ex-femme, qui a enclenché une procédure de divorce après sa condamnation pour violences conjugales. « Les formations courtes peuvent s’avérer contre-productives, surtout si elles sont obligatoires », prévient Christian Brouder, directeur de recherche au CNRS. Lorsqu’elles sont suffisamment répétées et variées, elles finissent par avoir un effet positif. Autrement, elles peuvent renforcer un sentiment d’impunité. « Comme ils ont suivi une formation, certains pensent qu’ils n’ont plus de biais sexistes, poursuit-il. Mais quand on les teste, on se rend compte que rien n’a changé. » 

« J’ai une anecdote révélatrice de l’efficacité de ces stages, raconte Anne Bouillon, avocate spécialiste du droit des femmes et des violences conjugales. J’ai assisté à une audience où un prévenu comparaissait en récidive de violences conjugales. A un moment, le président [de l’audience] lui demande ce qu’il a appris pendant ce stage. « Plein de trucs ! », répond le prévenu. « Comme quoi ? » interroge le président. « Je ne sais plus… » » Sans démarche proactive au cours des ateliers, « tout ce qui est enseigné glisse comme l’eau sur les plumes d’un canard », assure l’avocate.

 « Le contenu des stages est libre »

Ces stages sont pourtant de plus en plus utilisés. En 2021, sur 164 condamnations prononcées pour outrage sexiste, 138 étaient accompagnées d’une obligation à exécuter l’un de ces stages. Soit plus du double que l’année précédente. La même année, dix-neuf personnes l’ont suivi en alternative aux poursuites. Cet outil de sensibilisation s’adresse à toute personne ayant tenté « d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité […], soit créé à son encontre une situation intimidante ». Une caractérisation « fourre-tout », selon Jean-Michel Taliercio, qui réduirait l’efficacité des stages.

« Pour que les juges affectent correctement les détenus, il faudrait qu’ils puissent connaître le contenu exact des stages », estime Mégane Le Provôt, formatrice chez Dans le Genre Égales. Mais « leur contenu est libre » assure Lucile Vankemmel, ancienne enquêtrice du service de contrôle judiciaire et d’enquêtes de Lille. Certaines associations les organisent sur trois jours, d’autres en une dizaine d’heures. Et tous ces stages ont la même valeur légale. « Les associations doivent respecter un cahier des charges », nuance un directeur d’un service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), assurant « qu’il y a bien sûr un contrôle de l’efficacité. »

Sollicitée à ce sujet à plusieurs reprises, la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Isabelle Rome, n’a pas répondu à 20 Minutes. Un rapport d’évaluation, rédigé en 2018 à la demande de sa prédécesseure, établit néanmoins que « les peines de stage en matière [de lutte contre les violences sexistes et sexuelles] sont un excellent outil de lutte contre la récidive. Tous les acteurs ayant été entendus s’accordent sur l’intérêt de proposer ce type de peine en complément. »

« Une surenchère pénale qui ne résout rien »

« Mais quel est le bilan [du dispositif] existant ? », interroge Elisa Martin, députée LFI et signataire d’un amendement s’opposant au durcissement de la répression de l’outrage sexiste. Il semblerait qu’il n’y a pas d’enquête sur l’efficacité des stages, ni sur la récidive. « Ou alors, les résultats ne nous sont pas communiqués, et ce n’est pas faute de les avoir demandés », insiste Jean-Michel Taliercio. Le ministère de la Justice ainsi que le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) confirment également « ne pas avoir de données » sur le sujet.

Pour l’élue insoumise, la création de ces stages contre le sexisme relève « d’une surenchère pénale qui ne résout rien ». Un élément également souligné par le Conseil d’Etat estimant que « le contenu du stage de citoyenneté, auquel peuvent déjà être astreintes les personnes coupables d’injures en raison du sexe, […] peut tout à fait être adapté » pour les auteurs d’outrage sexiste.

« Ces nouveaux délits, un peu gadgets sur les bords, entrent en concurrence avec des infractions déjà existantes », regrette Elisa Martin. Le harcèlement de rue peut déjà être puni par le délit d’injure publique, qui prévoit un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende. Soit une peine bien plus élevée que celle punissant le délit d’outrage sexiste. Et ce, même après le triplement de l’amende prévue par la loi LOPMI. L’adoption de cette loi, en décembre dernier, entendait pourtant envoyer un signal fort contre le harcèlement de rue.

*Le prénom a été modifié