Belgique

Quand les profs ne sont pas là, les élèves trinquent : en janvier, il manquait 700 enseignants de secondaire pour remplacer les absents

L’enquête a une validité sérieuse. Environ deux tiers des écoles secondaires ont en effet envoyé leur bilan détaillé pour la semaine du 23 au 27 janvier 2023 (soit plus de 300 écoles en tout, scolarisant environ 230 000 élèves).

“La situation est tendue”

“La situation est tendue, résume Eric Daubie, directeur pour l’enseignement secondaire au Segec. On voit qu’en moyenne, près d’un temps plein et demi d’enseignant n’a pas pu être remplacé par école, cette semaine-là, alors qu’il était dans les conditions pour l’être.” Rappelons qu’un remplacement peut être organisé à partir de quinze jours d’absence. Le chiffre ne tient donc pas compte des éloignements de plus courte durée, pendant lesquels les cours n’ont pas pu être donnés non plus. Et comme c’est une moyenne, elle cache d’importantes disparités, avec des écoles qui souffrent plus que d’autres.

En extrapolant les données reçues à l’ensemble des écoles secondaires de l’enseignement libre, cela représente près de 400 enseignants impossibles à trouver pour remplacer des absents, cette semaine-là. Ou, encore, près de 700 profs de secondaire sur l’ensemble de la Fédération Wallonie-Bruxelles, partant du principe qu’il n’y a pas de raison que cela se passe autrement dans les autres réseaux.

Eric Daubie tient à relativiser. “Il faut préciser que l’enseignement n’est pas le seul à souffrir d’une pénurie de personnel, dit-il. C’est aussi le cas dans d’autres secteurs. En outre, la difficulté de recruter des enseignants n’est pas propre à la Fédération Wallonie-Bruxelles.”

Il n’en reste pas moins qu’en matière d’apprentissage, la situation se paie cash pour les élèves.

“Des carrières encore mal connues”

Comment expliquer cette situation ? Le responsable évoque d’abord l’attractivité du métier. “Ce sont des carrières encore mal connues et souvent mal présentées, estime-t-il, dont les côtés positifs devraient être mieux mis en avant.” Exemple : pour qui est en quête de sens à son engagement, l’utilité et la richesse humaine du métier sont évidentes. “C’est ce qui peut motiver des professionnels d’autres domaines à rejoindre les classes.”

Une partie de la solution pourrait dès lors venir d’une valorisation correcte de leur expérience passée (mais à ce stade, il n’en est tenu compte que pour les maîtres de langues dans le fondamental, vu l’urgence d’en trouver des centaines de plus à la rentrée prochaine, quand la première langue moderne sera enseignée partout à partir de la 3e primaire).

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“À l’étude ou à la maison”

En attendant, les écoles se débrouillent. Alors que se passe-t-il pour les élèves quand leur prof ne peut pas être remplacé ? “Pendant la semaine étudiée du 23 au 27 janvier, plus de huit sur dix dont l’enseignant était absent se sont retrouvés à l’étude ou sont rentrés chez eux.” Pour les autres, la solution est en partie venue de collègues d’autres classes qui ont accepté de prester des heures supplémentaires (14 pc). “On voit que ça, c’est une bonne mesure”, considère Eric Daubie. Même si elle a évidemment ses limites.

Enfin, dans une petite partie des cas (environ 4 pc), des bénévoles sont occasionnellement venus prêter main-forte. “Mais se pose alors parfois la question de la qualité du cours…”

“2 500 élèves du degré inférieur privés de français”

Quand on entre dans le détail des cours non donnés, ce qui frappe c’est qu’aucune matière n’est plus épargnée. On sait depuis longtemps que les langues (néerlandais en tête) et les sciences sont particulièrement touchées, mais d’autres matières importantes se sont révélées aussi -voire plus- problématiques, cette semaine-là. Le français, par exemple, avec un gros pic de plus de 2 500 élèves de 1e, 2e et 3e secondaires privés de cours. Sortent également du lot pour le secondaire inférieur, les mathématiques et la religion, ainsi que l’éducation à la technologie, le latin et même l’éducation physique. Comme, à partir de la 4e, la géographie, l’histoire et les sciences humaines notamment.

Le relevé du Segec détaille encore une ventilation par province qui confirme (ce n’est pas une nouveauté) le “cas” de Bruxelles, où les cours qui n’ont pas pu être donnés sont bien plus nombreux qu’ailleurs. Eric Daubie mentionne deux pistes d’explication. “La proportion d’enseignants qui travaillent dans la capitale en habitant en province est très élevée. Quand ils ont la possibilité d’enseigner plus près de chez eux, ils n’hésitent pas. Par ailleurs, Bruxelles compte plus d’établissements à encadrement différencié où le nombre de profs est plus élevé et où beaucoup d’élèves sont en difficulté avec l’école…”

La situation n’a pas empiré

La question de l’attractivité se pose dans certaines provinces. C’est le cas aussi, par exemple, dans le Luxembourg où les enseignants préfèrent passer la frontière pour profiter des conditions plus avantageuses au Grand-Duché.

Un point positif quand même. La comparaison de ces résultats avec un relevé effectué à la même période il y a trois ans (en février 2020, avant le Covid) montre que le problème n’a pas empiré (il y a même un très léger recul des absences non remplacées).

Mais l’enquête détaillée ci-dessus ne remplit pas tous les critères d’une étude scientifique. Attention à ne pas tirer de conclusions hâtives. Elle a néanmoins le mérite d’exister en l’absence d’autres travaux. La situation mériterait bien un état des lieux exhaustif et à large échelle si l’objectif est de trouver les bonnes solutions.