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A un mois d’un scrutin historique, la fébrilité règne en Turquie

Après plus de 20 ans de règne, le président Recep Tayyip Erdogan a incontestablement imprimé une vision islamoconservatrice dans la trajectoire du pays et se présentera à sa réélection pour un 3e mandat. L’opposition dénonce sans relâche sa dérive autoritaire depuis 2013 (lors des manifestations de Gezi park, dans le centre d’Istanbul, NdlR), qui s’est encore renforcée à partir de 2016 (année de la tentative de coup d’État, NdlR).

Un candidat commun

Kemal Kiliçdaroglu, leader du parti Républicain du peuple (CHP, principal parti d’opposition), sera le candidat commun d’une opposition hétéroclite pour un scrutin aux allures de référendum « pour » ou « contre » Recep Tayyip Erdogan. Une échéance qui mêle espoirs de libération dans les rangs de l’opposition, et craintes de déclassement social au sein de la base électorale islamoconservatrice indéfectiblement fidèle au président.

Les noms des quatre candidats à l’élection présidentielle ont été officialisés, le 31 mars, dans une atmosphère extrêmement dégradée dans le pays. Les deux tremblements de terre de Gaziantep et Kahramanmaras (d’une magnitude de 7.8 et 7.6 sur l’échelle de Richter, le 6 février dernier) ont généré une situation d’une gravité sans précédent.

Plus de 50 000 personnes ont perdu la vie (chiffres considérés comme largement sous-estimés), 11 régions du sud-est ont été directement touchées et 13 millions de personnes impactées. Le montant des dégâts pourrait s’élever à plus de 104 milliards (soit 12 % du PIB du pays, NdlR), a déclaré le président turc le 20 mars lors de la conférence des donateurs, à Bruxelles.

Si, comme l’affirme le chef d’Etat, « aucun pays n’aurait plus réagir plus vite que la Turquie », l’arrivée tardive des secours et les lacunes patentes dans la réponse à la catastrophe desservent l’image du candidat en campagne. La direction de gestion des urgences et des catastrophes (AFAD) a été particulièrement décriée pour son manque de réactivité et son manque de moyens.

Alors que le président Erdogan et son gouvernement se targuent d’avoir restauré l’influence turque grâce à une diplomatie active et des interventions militaires dans son environnement régional, le manque de coordination et les difficultés d’organisation sur son propre territoire ont mis à mal ses discours de puissance.

Le président turc devra donc convaincre de sa capacité à remettre le pays sur pied au cours de sa campagne. Il a promis de faire reconstruire 319 000 logements en un an dans la zone sinistrée. Mais au-delà de la gestion à moyen terme des conséquences de la catastrophe sismique dans le Sud-Est, il devra également convaincre de sa capacité à restaurer une économie turque en berne.

Suivant à la lettre la doctrine économique de l’hyperprésident, la Banque centrale maintient des taux d’intérêt bas pour limiter l’inflation, à rebours des théories économiques classiques. La dévaluation de la devise nationale face au dollar a appauvri une population dont le niveau de vie moyen s’était pourtant amélioré au cours de ses deux décennies écoulées.

Restaurer un régime parlementaire et la paix sociale

Allant des nationalistes du Bon Parti (Iyi Parti) aux islamoconservateurs du parti de la Félicité (Saadet partisi), la principale coalition d’opposition, dite « Table des Six », s’est donné pour principal programme de revenir à un régime parlementaire, et de restaurer la paix sociale au sein d’une société extrêmement polarisée. Elle doit quant à elle convaincre sur sa capacité à enrayer la crise économique et à diriger le pays.

L’enjeu est historique et la fébrilité, palpable. Les tensions des dernières semaines quant à la nomination du candidat commun ont laissé craindre une implosion de la coalition qui aurait laissé un boulevard au président Erdogan. Mais c’est bien le leader du principal parti d’opposition kémaliste qui affrontera le « reis » le 14 mai prochain.

Alors que les discussions internes aux coalitions sur la composition des listes électorales pour les élections législatives vont bon train, les publications d’instituts de sondage se multiplient donnant – pour la première fois – une légère avance à l’opposition.

Echaudés à plusieurs reprises lors des scrutins précédents, les adversaires de Recep Tayyip Erdogan s’efforcent cependant de rester mobilisés. Depuis sa prison où il est enfermé depuis 2016, Selahattin Demirats, l’ancien co-président du parti Démocratique des peuples (prokurde, HDP), a manifesté son inquiétude sur de potentielles irrégularités dans la tenue des élections. Seul un écart de points indiscutable pourra convaincre le président Recep Tayyip Erdogan d’accepter la défaite.